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Italie 2010, ceux qui résistent (6) : Mario Monicelli était l’un d’eux

Mario Monicelli, le dernier des très grands cinéastes italiens s'est suicidé le 29 novembre dernier. A quelques exceptions près(1), ses films ne m'ont jamais beaucoup plu. Le sourire trop amer, vite insupportable, de la comédie humaine à l’italienne de celui qu’on appelait parfois le Balzac du cinéma, cette société d’un conformisme immuable vu à la loupe que rien ne réussit jamais à ébranler, comment cela peut-il faire rire indéfiniment ? Lui-même s’étonnait de son succès, y voyait un malentendu : « J’ai presque toujours décrit des personnages monstrueux. A l’étranger, on n’en revient pas que les Italiens les trouvent aussi sympathiques. » Par contre et bien qu'il soit misogyne(2), de la sympathie, moi j'en éprouvais pour l’homme qu’il était, tout le contraire du monde qu’il dépeignait.

Le meilleur de tous les portaits édités ces jours-ci dans la presse et les médias télévisés, je l'ai trouvé sur Allociné qui, en une petite colonne, a su saisir toute l'essence du personnage : sa passion de jeunesse pour le cinéma ; l'ascension et l'âge d'or de la comédie à l'italienne et son anti-berlusconisme acharné :  « Il avait collaboré à un documentaire sur le sommet du G8 à Gênes en 2001, lorsque des centaines de militants altermondialistes avaient été blessés dans des affrontements avec la police. En juin dernier, il avait encore provoqué une polémique en appelant des étudiants à "se rebeller" contre des coupes dans le budget culture prévues par le gouvernement de Silvio Berlusconi. "Vous devez utiliser votre force pour subvertir, pour protester, faites-le vous qui êtes jeunes, moi je n'en ai plus la force", avait lancé Monicelli, à une assemblée d'élèves de l'Institut d'Etat pour la cinématographie et la télévision. "L'Italie est connue à l'étranger seulement pour sa culture et c'est justement cela qu'on cherche aujourd'hui à combattre" avait-il estimé, dénonçant à l'inverse une "culture de l'enrichissement". « La génération née à la fin du fascisme a reconstruit le pays, s'est retroussé les manches, était solidaire. Les générations suivantes ont transformé l'Italie en un tas de ruines; tout a été détruit et corrompu. C'est justement ce que raconte Gomorra : un pays cynique et corrompu », déclarait-il, amer.


A moi, il ne reste donc plus qu'à ajouter quelques notes.

Son approche avec le cinéma :

Les salles de cinémas des années 20 étaient des petits locaux sombres, en très mauvais état, sauf celles qui coûtaient très cher. En effet, on les appelait "pidocchieti" [littéralement “petits poux” NdT], à Rome tout du moins. On disait : « si va al pidocchietto » [on va au…NdT]. Ça ne coûtait presque rien et les gens s’entassaient dans ces antres obscurs. (…)

Ma mère nous y emmenait, mon frère et moi, pour ne pas nous avoir dans les jambes à la maison. Elle nous enfilait dans ces petits cinés vers 2 heures de l’après midi, et revenait nous chercher vers 20 heures 30. Elle nous laissait là, il n’y avait rien à craindre, c’était une autre Italie. (…) Tout le monde fumait, tout le monde hurlait, criait. Il y avait des femmes qui venaient avec leur enfant au sein. Tout le monde participait à ce qui se passait sur l’écran, devant eux dans l’obscurité, au milieu des hurlements, des enfants qui pleuraient. Le public participait d’une façon merveilleuse, c’est-à-dire qu’il insultait le méchant, applaudissait quand le sauveur arrivait, aiguillonnait les chevaux. Il y avait beaucoup de monde et tout le monde participait. Il n’y avait que des films muets, aucun film parlant. De 1920 à 1930 quand le cinéma parlant est né, je n’ai vu que des films muets…. Mais je n’ai plus jamais retrouvé une telle sonorité, une telle participation.

Moi, j’étais enfant et je ne comprenais rien, je ne savais rien, mais, là, le monde qui vivait sur le mur d’en face, plutôt sale entre parenthèses, là il y avait un monde dans lequel je voulais entrer. Comment, quand ou pour quoi faire, je n’en savais rien. Personne ne savait rien du cinéma, n’est-ce pas. C’était une chose magique, mystérieuse. C’est là que je voulais entrer. Ensuite j’y suis entré et j’y suis encore. (mai 2009)

 

Communiste : "Oui, je le suis encore. Je sais bien que le fait d'avoir voulu imposer le communisme envers et contre tout a été une erreur. Mais c'est une aspiration d'une telle générosité que je ne saurais pas par quoi la remplacer." (avril 2009)

« L’espérance est un piège inventé par les patrons » et « ceux qui te disent que Dieu… Restez tranquille, taisez-vous, priez. Votre rachat, votre compensation, vous l’aurez dans l’au-delà. Donc, restez tranquilles, rentrez chez vous. Vous n’avez qu’un emploi précaire ? Dans deux ou trois mois, si on vous réengage on vous donnera la place, etc… » Alors tout le monde rentre chez soi et reste tranquille. Gardez espoir !!! Mais l’espérance n’arrive jamais, l’espérance est un piège, une infamie, inventée par ceux qui commandent.  (…) Moi j’espère que tout ça finisse par… un beau chambardement, une belle révolution (...) »  (mars 2010)


L'Italie et les Italiens : encore à faire !
: En mai 2009, il affirmait que la seule chose qu’il était sûr d’avoir bien comprise dans sa longue vie, c’est qu’il n’y a toujours ni Italie, ni Italiens. Au moment de l’unité italienne (1861), un certain D’Azeglio avait déclaré : « Maintenant que nous avons fait l’Italie, il faut faire les Italiens ». Pour Monicelli, l’Italie d’alors n'était que le résultat de l’entreprise enthousiaste de Garibaldi qui a apporté la Sicile et le sud de la péninsule à un Piémont régulièrement vaincu et sans projets. Un enthousiasme resté au niveau des promesses, d’après ce qu’on peut encore voir aujourd’hui : « toutes les régions ont des langues différentes, cultures différentes, cuisines différentes, arts différents, rapports sociaux différents. Je ne crois pas qu’il existe un Italien type. En effet, nous sommes divisés, nous nous acharnons tous les uns contre les autres. Jusqu’à présent on n’a rien construit d’important, on va seulement à la dérive… Sauf, immédiatement après la guerre parce que l’Italie était dans un tel état de dévastation et de misère, que la génération qui sortait d’une guerre perdue où tout le monde se retrouvait dans la souffrance, la pauvreté, la faim et le froid, s’était mise à reconstruire ensemble. En l’absence de toute compétition, tout le monde était très solidaire, s’aidait. Dès que le bien-être a fait son apparition tout a changé (…), chacun pour soi. Depuis nous vivons des rentes accumulées par cette génération. Quand elle sera épuisée… »
Ces dernières années, l'homme toujours si réservé qu'il était, s'était mis à prendre position publiquement, se prêtant volontiers, malgré son grand âge, à manifestations, interviews, talk-show où il s'unissait à tous ceux qui protestaient contre Berlusconi, contre la corruption, contre les restrictions de la liberté d’expression, contre l’abandon de L’Aquila, contre le travail précaire et le mépris des jeunes, contre l’inertie d’une société sans plus aucune dignité. Des Italiens d’aujourd’hui, de ses intellectuels et de ses artistes, il dénonçait le même manque de courage que pendant les 20 ans du fascisme : « Les Italiens veulent toujours que quelqu’un pense à leur place. Il n’y a plus aucune dignité, nulle part. C’est pourquoi je parle. Une génération corrompue, malade, dont il faut se débarrasser ! »
 
Mais sans nostalgie du passé : « Dans ce pays ressuscité avec tant de travail, la génération suivante qui en a hérité s’est laissé exalter par la civilisation de la consommation, séduire par la consommation de l’image, cédant aux impératifs du marché et à la corruption qui en découle. Il suffit de regarder autour de soi : notre pauvre péninsule va à la dérive. Penchée sur la Méditerranée qui représente désormais une immense tombe pour ceux qui arrivent du Tiers Monde, attirés par les fausses images du pays de cocagne que lui présentent les médias. Ce que je vois ne m’inspire pas la moindre nostalgie, mais plutôt colère et rancœur ! » (avril 2009)

Le dos droit, des mouvements souples, une touche d’élégance, une rare lucidité, un grand succès,
 il tenait encore à vivre seul dans ses 45m2 au cœur du plus vieux quartier de Rome, Monti,... car la famille te raccourcit l'existence : « L’amour des femmes, parents, filles, épouses, amantes est très dangereux. La femme est infirmière dans l’âme, et si elle a un vieux auprès d’elle, elle est toujours prête à interpréter son moindre désir, à courir pour lui porter ce dont il a besoin. C’est comme ça que petit à petit ce vieux ne fait plus rien, reste dans son fauteuil, ne bouge plus et se transforme en un vieil abruti. Si, au contraire, ce même vieillard est obligé de se débrouiller seul, de refaire son lit, de sortir, de cuisiner et parfois même de se brûler, alors il vit dix ans de plus. » 

 

Athée : il ne croyait pas aux religions. Seuls les dieux grecs et latins avaient droit à son indulgence parce que, bien que canailles, au moins ils étaient allègres : « le dieu de la Bible est dans l’absolu l’un des personnages les plus obscurs de la littérature mondiale. »

 

Cohérent :

Son dernier film, Le rose del deserto, tourné à 90 ans, son dernier documentaire, Vicino al Colosseo, à 94, un cancer de la prostate en phase terminale, une Italie toujours plus indigne qu’il ne supportait plus : « La vie n’est pas toujours digne d’être vécue. Si elle n’est plus ni vraie ni digne, elle n’en vaut plus la peine », avait-il déjà déclaré après la mort de son père, suicidaire lui aussi.

A 95 ans, celui que tout le monde appelait Maestro a donc choisi son heure et sa façon de tirer sa révérence. Selon ses dernières volontés, le véhicule funéraire s'est tout d'abord arrêté sur la petite place de son quartier de Monti, accueilli par une petite foule qui l’aimaient, sur les notes de « Bella ciao » et des cloches de l’église toute proche dont le curée ne s'était pas offusqué. Puis 24 heures au funérarium dressé pour l’occasion dans la Casa del Cinema à Villa Borghese à Rome pour ceux qui voulaient le saluer, une crémation en privé et pas de funérailles.


En Italie, la polémique a tout de suite éclaté, comme d’habitude, irrespectueuse comme d’habitude, pour aboutir à un duel verbal paroxystique à la Chambre des députés, comme d’habitude. Giorgio Napolitano, le Président de la République, lui a rendu hommage ainsi que le maire actuel de Rome et ses deux prédécesseurs, mais aucune des 6 chaînes nationales de télévision sous le monopole de Berlusconi n’a pas passé le moindre des 66 films du dernier des grands réalisateurs de la période glorieuse du cinéma italien ! « L’Italien a un caractère double, à deux faces, pollué par les expédients et les vérités cachées. Et puis, quand il tient le couteau du côté du manche, il est sans pitié. Il n’est jamais généreux, même sous la contrainte. C’est plus fort que lui, il n’en a pas l’habitude » (mars 2010). 


(1) Pourvu que ce soit une fille avec Liv Ullmann, Catherine Deneuve, Bernard Blier, etc., Le marquis s'amuse, Mes chers amis, et sans doute quelques autres.

(2) La réputation de misogynie de Monicelli était si bien assise que quand il appella Liv Ullmann pour tourner Pourvu que ce soit une fille, elle ne voulait pas y croire.
"Italie 2010, ceux qui résistent", tous mes billets précédents
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Ecrit par ImpasseSud, le Mardi 7 Décembre 2010, 19:39 dans la rubrique "Actualité".