Parmi les gens que je connais, ceux qui, chaque année, se font vacciner contre la grippe ne passent jamais l’hiver sans l’attraper, et parfois plutôt bien, alors que d’autres, non vaccinés non pas par négligence mais suite à une décision pondérée, passent allègrement à travers, même quand ils font partie de la catégorie « définie » à risque, tout simplement parce que depuis toujours ils sont résistants à la grippe. Dans le premier cas, ce n’est pas tellement surprenant, vu que le vaccin qu’on prépare à l'avance et qu’on vend avec un grand renfort de publicité et de chantage, ne répond pas vraiment au virus qui finit par se présenter.
Quant aux couvertures vaccinales des enfants, elles changent d’un pays à l’autre, même au sein de l’Union Européenne et même quand les pays sont voisins, comme si certaines contagions s’arrêtaient aux postes de frontières. La varicelle, par exemple, dernière maladie d’enfant qui était encore en liberté, a désormais son vaccin, elle aussi. Bien sûr, toute maladie, même bénigne peut parfois donné lieu à des complications, mais de la varicelle, pour ceux qui l’ont eu il ne reste que le souvenir d’un extase vésiculeux avec absence scolaire, et le fait de rester couché, ne ressemblant à une maladie que durant la brève attaque initiale (fièvre et troubles digestifs), pour ensuite devenir un farniente paresseux, du lit au canapé, entre nuages de talc, montagnes de BD, jeux et câlins. Alors pourquoi ce vaccin ?
Notre société d’aujourd’hui est-elle plus saine que celle de nos parents ou même de nos grands-parents (quand les principaux vaccins existaient déjà) ? Les enfants d’aujourd’hui dont beaucoup grandissent aux antibiotiques, sont-ils plus résistants que les enfants d’il y a trente ans ?
De façon générale, on a l'impression que dans l’agitation salutiste d’un Occident stérile (stérile dans tous les sens, c’est-à-dire débarrassé des infections mais aussi des gestations), il y a un « quid » d’efficience malsaine. A chaque épidémie de grippe, on quantifie de façon hystérique les dommages causés aux bureaux vides et à la production qui ralentit, comme si la maladie était un tort infligé au PIB, une désertion sociale honteuse. Et l’abondance de médicaments en tous genres là où il ne s’agit plus de sauver des vies mais seulement de les diriger vers l’obsession salutiste, ne frise-t-elle pas de plus en plus le doping, le coup de pouce chimique afin de pouvoir sauter à pied joint au-dessus des obstacles (la fatigue, l’anxiété et même la timidité) qui désormais sont des syndromes officiels et répertoriés en tant que « maladies » qu’il faut expulser de la société humaine ?
On a tout à coup envie de se poser la question de savoir s’il n’existe pas un acharnement thérapeutique contre le concept de maladie en soi, contre l’improductivité du fiévreux, contre ce moment de tilt du corps qui nous incite souvent - et tout le monde le sait par expérience -, à faire le point sur soi-même, sur les pensées et les habitudes qui sont les nôtres, presque toujours dans le but de les améliorer. La maladie est une expérience, tout comme la convalescence et la guérison. Il est vrai qu’il s’agit parfois d’une expérience douloureuse, et que la douleur, tout du moins dans notre culture moderne et post-pénitentielle, n’est pas souhaitable et qu'elle est affligeante. Mais quand la maladie n’afflige pas, quand elle ne débilite pas, quand elle n’apporte ni humiliation ni subordination, mais seulement une fatigue normale du corps, est-il vraiment nécessaire de l’extirper par tous les moyens possibles, y compris et surtout par des moyens chimiques ?
(photo : "Seigneur, tu es sûr?" demande Noé à Dieu alors qu'il s'apprête à porter à bord de l'arche un bocal avec deux exemplaires du virus de la grippe. "Et ils entrèrent dans l'arche de Noé, deux par deux" Genèse 7:15)
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