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Tsunami 3 : Extraits du journal d’un opérateur de MSF à Banda Atjeh

En Asie, plus de trois semaines se sont écoulées depuis ce terrible 26 décembre et ses vagues meurtrières, et le nombre des morts vient de faire un nouveau bon en avant. On parle désormais de 226.000 morts. Voici quelques pages du journal de Sergio Cecchini, 31 ans, qui travaille depuis 2001 pour Médecins sans Frontières. Il a déjà été en Angola, en Afghanistan, au Tchad, et dans les camps qui accueillent les réfugiés en fuite du Darfour.

 

Un petit mégaphone jaune.

Banda Atjeh, jeudi 13 janvier 2005.

Je suis retourné à Banda Atjeh parce qu’il fallait mettre sur pied une stratégie de communication pour une campagne de prévention contre le tétanos. Maine, une des responsable des opérations de MSF, arrivée depuis peu du quartier général de Bruxelles, m’a dit : « Invente quelque chose, mais il faut faire vite. Les cas de tétanos sont en train d’augmenter ! » Je m’enferme avec Loui, mon infatigable collaborateur indonésien, dans notre petite pièce qui n’est autre que le seul espace encore libre dans le siège de MSF à Banda Atjeh. En effet, il est juste devant l’unique WC.

 

Depuis que le tsunami s’est abattu sur la province d’Atjeh, le tétanos est devenu une des maladies les plus dangereuses. Il suffit d’une blessure infectée pour transmettre cette maladie qui ici est mortelle dans 25 à 30% des cas.

Nous sortons quelques idées sur comment réussir à joindre le plus grand nombre de personnes et sur les acteurs à impliquer : autorités locales et religieuses, autres organisations, moyens d’information locaux. Une fois la liste terminée, nous commençons à définir les rôles, les actions que MSF devra effectuer, et celles qui, par contre, seront à la charge d’autres sujets.

Pendant que je présente mon plan à Alexis, le coordinateur des activités de la province d’Atjeh, Loui part chercher des informations sur les possibilités de faire des affiches à mettre dans les endroits où les foules sont les plus denses, des tracts à distribuer à toute l’équipe locale durant les visites des cliniques mobiles et sur comment équiper avec des mégaphones une voiture qui se déplace dans les zones détruites.

A Banda Atjeh, il est malheureusement impossible de fabriquer quoi que ce soit. Nous demandons à l’équipe de Djakarta de s’en occuper. Cependant, nous trouvons deux petits mégaphones jaunes, ceux des manifestations. En somme, nous avons trouvé quelque chose, mais l’important, c’est de ne pas perdre de temps et de partir.

 

Angelo

Sigli, dimanche 16 janvier 2005

De nouveau à Sigli, sur la côte nord-est d’Atjeh. L’équipe est très occupées à préparer une campagne de vaccination contre la rougeole. L’objectif, c’est de « choper » 10.000 enfants en une semaine. Ce n’est pas facile, surtout à cause de l’éparpillement des communautés de réfugiés, ici et là, par petits groupes. Farida, une infirmière franco-algérienne, est la responsable de cette intervention. C’est une dure, elle est ici depuis le 28 décembre, 2 jours après le tsunami, et elle en a des choses à raconter, même si on a l’impression qu’elle est arrivée hier.

Je rentre au camp de réfugiés de Batee avec une clinique mobile, en compagnie d'un infatigable médecin de Hong-Kong. Il s’appelle Tze (ça se prononce Si), mais tout le monde l’a déjà rebaptisé « Doctor Sigli » Il n’arrête pas un instant, une visite derrière l’autre sans la moindre pause. A quatre heures de l’après-midi, il faut quitter le camp par mesure de sécurité, mais le Doctor Sigli dit : « Juste cette femme et puis on part ». Nous chargeons les kits médicaux sur la fourgonnette et nous repartons pour Sigli.

 

Quand nous arrivons à la base, un édifice à l’intérieur de l’hôpital, il y a une surprise qui m’attend. Angelo m’accueille avec son « r » mou et son accent de Côme, en me demandant si je lui ai apporté deux cappuccinos. C’est bien lui, le mythique Angelo. Cheveux blonds jusqu’aux épaules un peu courbées, des yeux bleus et une grande générosité. Nous nous étions croisés une nuit à Banda Atjeh, mais nous ne savions pas qu’il allait venir ici.

 

« Eh, Sé [Sergio, NDT], on m’a envoyé ici pour faire des chiottes », me dit-il, en écartant les bras et en me regardant, inconsolable. Oui, parce qu’il va devoir faire le « watsan » (water and sanitation), c’est-à-dire s’occuper de la gestion et de la désinfection de l’eau dans les camps de réfugiés autour de Sigli. De façon un peu moins formelle, il est ce que nous appelons un « latrin lover ». Souvent c’est justement par l’eau que les maladies les plus dangereuses se propagent : diarrhée, choléra, malaria. A Batee, 960 personnes vivent dans la boue avec deux uniques latrines, désormais inutilisables.

 

Je me souviens de quand nous nous sommes connu. C’était à Rome, un jour avant son départ pour sa première mission pour MSF. Il allait en Afghanistan. Depuis lors, il s’est fait la Somalie, le Libéria, les alluvions du Bengladesh et j’ai peut-être oublié quelque chose. C’est drôle d’avoir la possibilité de suivre l’évolution de quelqu’un. On aurait jamais pensé que cet Angelo-là deviendrait un centre-avant des urgences. C’est un farceur, et même dans les occasions les plus sérieuse il est capable de lancer de telles réparties qu’on se roule presque par terre de rire. La dernière fois que nous nous sommes vus, c'était à Pise, durant un séminaire sur l’action humanitaire organisé par MSF.

Nous nous asseyons pour fumer une cigarette, désormais c’est l’heure du souper, et il me dit à l’oreille : « E Sé, tu te rends compte que ce boulot me plait vraiment! » Il s’arrête un instant, aspire un peu de tabac, tourne son regard vers le ciel et conclut : « Au fond, qui aurait jamais cru que c'était si important de faire des chiottes ».

 

En liaison avec Bagdad

Banda Atjeh, lundi 18 janvier 2005.

Je me trouve à Ulee Lhue, à quelques mètres de la destruction totale, avec Nathalie, une infirmière belge, et Feye, une psychologue indonésienne. Nous sommes en train de monter un poste pour la prévention du tétanos. Tandis qu’elles déroulent un toile pour faire un peu d’ombre, moi j’essaie de planter deux poteaux comme support. A ce moment-là, le téléphone sonne. C’est Kris, de la base, qui me dit qu’il y a un journaliste de la RAI qui voudrait nous rejoindre. Je mets notre chauffeur en contact avec le sien, pour les échanges d’adresses.

Dix minutes plus tard, une voiture s’arrête juste devant moi. Une portière s’ouvre sur Enzo Nucci, le journaliste du Tg3. Pendant un instant j’ai un flash. Je ne l’ai jamais vu qu’à la télévision, quand il se mettait en liaison depuis Bagdad. Dans mon esprit, je l’associe à une autre crise, la crise iraquienne, mais maintenant il est ici, devant moi, au milieu des décombres et de la puanteur de ce qui reste de Banda Atjeh. Au fond de moi je suis très content de le rencontrer, de savoir qu’en Italie il y a au moins une personne qui a décidé de continuer à suivre ce désastre sur place.

 

Trois semaines après ce 26 décembre et l’explosion de la mer, et Enzo me dit que désormais les médias italiens suivent d’autres thèmes. « Comment ça ? », lui dis-je, « ici, chaque jour on trouve au moins un milliers de cadavres en plus…. Tous les principaux moyens d’information internationaux sont encore ici, de Al Jazeera à la CNN, de la télé hollandaise à la télé japonaise, de la radio norvégienne à l’hebdomadaire allemand Stern… Comment se fait-il que ce qui s’est passé ici ne soit déjà plus à la mode ? » Après ce petit débordement personnel, nous parlons de ce que l’un et l’autre nous trouvons difficile : décrire, expliquer, raconter ce que nous voyons. Comment peut-on arriver à donner la moindre idée d’une, des deux, des trois vagues qui ont balayé des quartiers entiers en quelques minutes ? Comment peut-on transmettre le regard de ceux qui te racontent comment ils ont perdu l’enfant qui a glissé de leurs propres mains ?

 

L’énergie de Feye

Banda Atjeh, mardi 19 janvier 2005

Aujourd’hui Feye part pour Meulaboh. Toute petite, c’est une des personnes les plus énergiques que j’aie jamais rencontrées. C’est une psychologue indonésienne, et elle a déjà travaillé dans les projets d’assistance mentale de MSF. A Ambon, une île au sud de l’Indonésie, elle faisait partie de l’équipe qui travaillait sur le stress post traumatique causé par le conflit entre les chrétiens et les musulmans.

Feye est arrivée à Bada Atjeh le 31 décembre, cinq jours après le tsunami. Son équipe a effectué plus de 100 consultations individuelles. Elle intervient toujours après les cliniques mobiles. Quand une personne se présente à nos infirmiers avec des problèmes psychosomatiques, mal de tête, insomnie, gastrite, ils l’envoient à Feye. Dans une tente sous un soleil cuisant, dans une baraque en bois ou dans le coffre de la jeep, la petite psychologue indonésienne se met « à l’écoute ».

 

Elle m’explique la méthode qu’elle suit. On l’appelle « brief therapy » (thérapie brève). La première phase de cette méthode sert à créer une connexion entre le problème physique dont souffre la personne et son état d’âme. De cette façon, on ouvre une brèche qui permet au patient d’élaborer son problème personnel et d’en prendre conscience. On peut alors aborder la deuxième phase : aider la personne à découvrir ses propres ressources afin de pouvoir se sentir mieux, et lui enseigner à en faire usage.

« Nous lui demandons s’il y a quelque chose, durant ces trois dernières semaines, qui a eu un effet positif sur elle», m’explique Feye, « comme chanter une chanson, jouer avec son propre enfant, parler avec des amis. Une fois que la personne découvre qu’à un certain moment elle s’est sentie mieux en accomplissant une action particulière, notre objectif est atteint. Maintenant, elle saura comment elle peut s’aider elle-même à n’importe quel moment. » Le problème, c’est d’expliquer aux survivants que leurs propres réactions sont tout à fait normales par rapport à un évènement anormal.

 

Après une journée entière passée en contact avec des histoires désespérantes, Feye est toujours là, allègre et affectueuse. L’image  que j’emporterai d’elle dans mes souvenirs, c’est quand, de temps en temps, elle passait la tête hors du coffre de la jeep et nous faisait cadeau d’un sourire.

 

(Publié sur La Repubblica, Traduction de l'italien ImpasseSud)

Mots-clefs : , , Planète Terre

Ecrit par ImpasseSud, le Mercredi 19 Janvier 2005, 18:46 dans la rubrique "Les hommes de bonne volonté".

Commentaires et Mises à jour :

ImpasseSud
09-05-05 à 15:38

4 mois 1/2 après le tsunami, à Banda Atjeh situation CHOQUANTE!

D'après Kuntoro Mangkusubroto, à la tête de l'Agence pour la reconstruction à Adjeth, la reconstruction dans la province dévastée par le raz-de-marée du 26 décembre (128.000 morts et 50.000 disparus) est trop lente et la distribution des fonds pour les victimes est pratiquement nulle. De nombreuses familles manquent de nourriture et vivent encore dans les ruines de leur ancienne habitation. Les routes et les ponts n'ont pas encore été reconstruits. Le gouvernement a prévu un financement équivalent à 613 millions de dollars, mais celui-ci doit encore être approuvé par le parlement, peut-être pas avant septembre prochain. Entre temps l'organisme dirigé par Kuntoro espère pouvoir compter sur les 2 milliards de dollars promis par les grandes ONG et autres instituions privées, mais, là aussi, il faudra encore attendre longtemps avant de pouvoir accéder effectivement à cet argent.
La situation dans laquelle vivent actuellement les habitants d'Adjeh a été définie come CHOQUANTE!

(Source : Peacereporter le 09.05.2005)