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Et quand ça me prend…

Hell's Mouth«Je me cache dans une découpure de la côte en un point de l’île appelé « passage de l’aigle », le point le plus au sud, où les tempêtes, les oiseaux marins, les vagues et le vent vous consomment les oreilles.

Je pêche, je bois de l’eau de pluie, je vole les œufs des nids, la nuit, je fais un feu de tourbe, et je sens la trappe me mordre de tous les côtés, mais je résiste, ce qu’il faut pour vivre. Et je découvre la carcasse d’un voilier, je récupère le bois pour la grotte de mon refuge.

De jour, je reste à l’abris et je regarde la mer.

Je sens que ma vie se durcit pour encaisser le coup et l’accepter. Il n’existe aucune possibilité de fuite, il n’y a plus de terre, il n’y a pas d’autre sud où descendre, il n’y a aucune cale de navire dans laquelle bercer une sommeil sauveteur.

Je vois la mer qui racle les écueils et le blanc des ongles des vagues est la ligne qui la sépare de la terre.

Je vois la ligne rouge du couchant qui sépare le jour de la nuit, je pense que le monde est l’œuvre du roi du verbe diviser et j’attends la ligne qui vient me détacher des jours.

Et la vie est un trait longuement filé, et mourir est un revenir à la ligne sans corps. Et je vois les piqués d’ailes dans le creux des vagues, et pas même le poisson, qui a toute la mer pour se cacher, n'en réchappe.

Et les oiseaux qui volent au-dessus : chacun d’eux est seul et sans aucune alliance avec les autres. Leur famille, c’est l’air, pas les ailes des autres, et chaque œuf déposé est solitude. Et moi, à l’obscurité de la braise, je me fais une omelette de solitudes et je me rassasie.

Et quand ça me prend de sentir qu’il me reste peu de temps, je pense à celui qui, pendant ce temps-là, s’écoule dans le monde qui en a beaucoup et passe à côté du mien : celui des arbres qui sont en train de secouer leur pollen, celui des femmes qui attendent de perdre les eaux, celui d’un garçon qui étudie un vers de Dante, celui des mille clochettes des récréations qui sont en train de sonner dans toutes les écoles du monde, celui d’un vin qui fermente d’avoir été transvasé, et tout cela est en train de se produire en même temps que moi, et ainsi mon temps s’allie avec le leur pour devenir beaucoup."

 

(Tiré de "Tre cavalli", Erri de Luca, Traduction de l’italien ImpasseSud)

 

Ecrit par ImpasseSud, le Vendredi 15 Août 2003, 17:31 dans la rubrique "Bribes perso".

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