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A moto à travers l’Albanie : entre passé et présent

«... Les Balkans, c’est nous. Naturellement pour une recherche de soi-même il suffit de décider du voyage, du jour, de la compagnie. Et partir. C’est ce qu’a fait Maurizio Crema, qui, mettant ensemble Easy Rider et la Poderosa du Che, a voulu traverser l’Albanie en moto, le pays le plus poussiéreux et le plus défoncé des pays du sud-est européen, racontant tout cela dans un livret aisé, presque un guide, « Viaggio ai confini dell’Occidente. In moto sulle strade dell’Albania » (Edicicloeditore). [cliquer sur la carte pour l'agrandir] Pourquoi l’Albanie, justement ? L’auteur motorisé l’explique tout de suite : «... parce qu’en Albanie l’immédiat est encore arriéré, le rêve n’est pas encore virtuel... » (...) «  Alors on part? Via ! Albanie, on arrive !

L’auteur se sent comme « Ernest du voyage en motocyclette », mais la moto, une Yamaha 550XT de 1983 ne marche pas bien et on se démet le genou à force d’appuyer sur la pédale. Il aurait fallu partir à plusieurs, en compagnie : rien, à la fin ils se sont tous défilés. Et puis il y avait une femme qui devait venir, et elle a fini par venir, mais...

« L’équipement : une moto ronflante à moitié rouillée, deux rétroviseurs qui ballottent sans arrêt, un réservoir plein d’essence sans plomb, un sac sur le dos... »

Après une erreur de quai, - les ferries pour l’Albanie partent du vieux port de Venise, - la moto a de la peine à rejoindre le bon endroit du départ. Queue d’Albanais qui prennent leurs billets : « Vous allez à Durres ? En moto ? Avec ça ? » Des sourires prophétiques disent que sous leurs yeux il n’y a ni Caronte ni Rossinante, mais quelqu’un qui s’est perdu depuis longtemps. Aussi, on l’abandonne, tout de suite. Oui, parce qu’à l’arrivée, la Yamaha décide, avec une annonce qui ne date pas d’aujourd’hui, de ne plus pétarader, de ne plus bouger, de rester là et d’y mourir, à Durres. Ensuite, la dame qui avait décidé de partir avec lui rentre en Italie à l’improviste, rejoindre son amour. Il s’est agi d’un faux départ. L’unique certitude, c’est d’avoir mis les pieds en Albanie et d’être pratiquement contraint à aller à Vlorë. En autocar, en taxi, au hasard.

 

« Moi aussi, j’ai pris d’assaut le poste de police et commencé à tirer avec mon kalachnikov. Tout le monde le faisait, il fallait que je défende ma famille, ma maison. Et puis, j’étais plus jeune, j’avais quinze ans. Maintenant, j’en ai vingt-et-un, je travaille en Italie, ça ne me viendrait pas à l’idée », raconte Bashkim à Vlorë, tout en reconnaissant qu’à la maison il a encore son fusil, bien caché.

Vlorë, la ville de l’odyssée des désespérés qui fuyaient la guerre civile, la ville qui s’est insurgée contre la fraude du gouvernement représentée par les pyramides financières. Sali Berisha était au pouvoir. Il a été chassé par la révolte populaire, mais ces jours-ci il est remonté en selle à Tirana, il a gagné les élections. A l’époque, les gens qui s’enfuyaient sur des canots pneumatiques vendaient leurs propres vies à des profiteurs mafieux afin d’arriver sur des rives tranquilles. Il s’agissait de bien autre chose qu’un voyage en moto. Mais, au contraire, ils trouvaient la marine de guerre italienne qui éperonnait les rafiots plein de réfugiés pour protéger l’Italie de l’ « invasion ». L’un d’entre eux, le Kater I Rades, coula à pic. Nous avons tué 108 personnes, femmes et enfants. Une fosse commune en mer dont personne ne parle plus et pour laquelle personne n’a jamais payé. Maintenant, les seigneurs des canots pneumatiques se sont recyclés en hôteliers et manager du tourisme. Mais, se sont-ils vraiment recyclés ?

 

C’est justement à Vlorë que le miracle se produit : « Tu as cassé ta moto ? Je te prête la mienne pendant une semaine. » Simple et opulente, une Honda 600XL est prêté à notre Marco Polo par un type du nom de Cristiano, chef de la mission ONU à Vlorë. Voici l’ultime et véritable richesse de l’Albanie (et du Kosovo) : ici, durant les sept dernières années, la communauté internationale a envoyé plus d’aides que dans toute l’Afrique. Ou ont-elles fini ? Dans les mains de qui ?

 

Entre mosquées, bunkers et... trous

On part vers Berat, sans casque : ce n’était pas compris dans le miracle du prêt. Grande avenue, premier croisement, priorités inexistantes, périphéries, routes de rallye avec les trous des bombardements. Peu importe, Ithaque est un voyage fait pour découvrir Ithaque, rien d’autre. Alors, avec la Honda, on laisse la merveilleuse lagune de Narat et son monastère orthodoxe, et ensuite on grimpe sur les collines et les montagnes, avec les bunkers en ciment qui, selon Enver Hoxha, devaient défendre le pays d’une attaque militaire en provenance soit de l’est soit de l’ouest.  Le motonaute dépasse Apollonia, grecque et romaine – ici Octavien apprit la mort de César et commença la conquête du monde connu de l’époque -, dépasse Fier avec les Mercedes sombre des contrebandiers, et grimpe vers les hauteurs de Berat, construite au pied du Mont Tomor, avec le pont antique à sept arches de Kurd Pasha et la petite cellule fermée par des barreaux qui, selon la légende du « sacrifice édificateur », – répandue dans l’ensemble des Balkans -, servait à enfermer une jeune fille qu’on laissait mourir de faim pour plaquer les esprits malins durant la construction.

 

Onufri ! S’il vous plaît, on veut voir Onufri ! Mais la petite église byzantine est éternellement fermée. A l’intérieur, certains trésors peints avec le fameux « rouge d’Onufri », le peintre d’icônes du XVIe siècle dont les Albanais disent qu’il est Albanais, les Serbes qu’il est Serbe ; il est Russe pour les Russes et Grec pour les Grecs. Comme la danse qu’on vous invite à danser lors des mariages balkaniques: quelqu’un fait le guide avec un foulard, alterne avec des petits sauts, et tout le monde suit. On se la dispute : elle est turque, serbe, grecque, albanaise, bosniaque. Comme le café. Partout pareil, mais aussi absolument différent et séparé, on le jurerait, on irait même jusqu’à déclancher une guerre, naturellement.

 

Nous abandonnons finalement Berat et les routes où notre Caronte motorisé est rejoint par une chanson de Rita Pavone. Voilà le passé qui revient.

 

Première, seconde, troisième, première, seconde. Un coup d’embrayage, frein moteur dans la descente, frein postérieur, très peu de frein antérieur pour ne pas glisser, la petite Honda file que c’est un plaisir. Tenue de plage : jeans, chemisette, tennis. Vers Gjirokastër. Si Berat était haute, celle-ci est garnie de tours et blanche de pierre, avec des murs à sec de silex poncé. Elle devrait appartenir depuis longtemps au patrimoine de l’Unesco, mais cette reconnaissance n’arrive jamais. A l’intérieur du château, on peut encore voir un avion à réaction américain abattu dans les parages au début des années 50, quand, depuis la Grèce voisine, l’OTAN essayait d’espionner le « bastion stalinien » Albanie, qui avait rompu avec le philo occidental Tito, qui était sur le point de rompre avec l’URSS dans les années 60, et aurait ensuite rompu avec la Chine en 1978. La Grèce reste à une portée de fusil, l’aire est « borderline » : c’est ici que passait  et passe toute la contrebande de la région, ici que tournent des Mercedes couleur sable, et que sur les montagnes la police – même la police italienne -, cherche les plantations de cannabis.

 

Chez Enée, sans casque

« Sans casque, je lance la moto au maximum de la résistance de la mâchoire, plus ou moins à cent trente… mais je ne prends pas plus de risques, la route est toute droite et presque déserte ».

Nous sommes au sud, à l’extrême sud presque grec et orthodoxe. Tout droit, on arriverait en Grèce, à Ioannina, dernier avant-poste du nationalisme de la Grande Albanie. Voilà Sarandë.

 

« Le jeu est toujours le même, rétrograder en première, seconde, troisième, rarement en quatrième, la cinquième tu n’y penses même pas parce que dès que tu commences à descendre, tu dois contrôler s’il vient quelqu’un pour ne pas aller te coller contre un coffre ou au fond d’un ravin qui, de temps en temps, s’ouvre à ta droite avec des déchirures d’une beauté absolument crue… »

Sur cette route, il est surprenant de voyager au flan du fleuve Bistrica, d’une couleur bleu vif, au milieu du jaune des pierres du cailloutis minime et délabré. Ici, en effet, il y a Syri Kalter (Oeil azur), une des sources du fleuve, dans les fourrés. Les plages sont encore non contaminées, entourées par des bunkers. Ici, en 1997, quand l’Albanie était une urgence de première page, Sarandë fut le berceau de la révolte populaire contre les Pyramides financières. Un berceau bâtard, vu que quand un journaliste finissait pas y arriver après tant d’efforts afin de raconter les mouvements « insurrectionnels », il découvrait pour finir que le chef militaire de la révolte était, en toute tranquillité, un des représentants au sud des infâmes pyramides justement. Bingo à Sarandë. Là, dans un dépôt militaire, en vrac avec des kalachnikovs et des pistolets militaires chinois séquestrés par les révoltés aux soldats albanais, gisait une pièce de musée : une vieille « Oural » militaire des années 50 avec un side-car, ronflante et fonctionnant pour les courses de la caserne.

 

Mais Sarandë est surtout un écrin archéologique et paysagiste. Avec son lac et la ville antique de Butrinti, d’où Enée, d’après la légende et la poésie de Virgile, arrivé ici après sa fuite de Troie, aurait pris la mer pour arriver sur les côtes du Latium. Une tour vénitienne domine les antiques manufactures et à l’improviste la porte de Mycènes s’y dessine. Mais ne se trouvait-elle pas à Mycènes ?  Entre les constructions et les ruines, sur une architrave, la merveille d’un lion ailé en bas-relief. C’est Mycènes, à portée de moto.

 

Rozafat et le dernier des Marubi

« C’est toujours la même histoire, première, seconde, troisième, rétrograder, frein moteur, disques, le piston geint, la chaîne ferraille à force de suivre les bosses et les trous… »

Maintenant on est en train de retraverser l’Albanie, vers le guêpier de Vlorë. On monte, on monte vers le nord, Vers Lezhè, siège de la tombe du héro albanais Scanderbeg (sa biographie, dit, - incroyable -, que sa mère était Serbe). Plus haut, toujours plus haut, jusqu’à Shkodra qui vous accueille avec le château de Rozafat et sa mythologie du « sacrifice édificateur » : une femme y ayant été emmurée à moitié pour conjurer le sort durant la construction, l’autre moitié continua à allaiter, une eau blanchâtre court encore à travers des canaux de pierre ponce. Shkodra, dont le milieu de sa place est encore occupé par le monument aux commandants partisans qui combattirent le nazi fascisme, est la plus réactionnaire de toute l’Albanie. Alex Langer, observateur à Tirana durant les premières élections de 1992, s’y précipitait à chaque fois qu’il y avait de graves violences. Ensuite, en 1998 et 1999, elle a été un des arrière-pays logistiques de la guérilla de l’UCK et de la guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie. Shkodra a elle aussi deux magnifiques joyaux. Le premier, c’est son lac, peu profond, riche en poissons, avec les maisons des pêcheurs presque dans l’eau, et qui rejoint la frontière avec le Monténégro à Honi Hoti. L’autre est caché dans un immeuble anonyme de style balkanique, près de l’ancien bazar. C’était le plus grand bazar des Balkans, mais il a été rasé au sol par les bombardements allemands. C’est le musée photographique des Marubi, un recueil de 100.000 photos prises par Pietro Marubi et par ses descendants. Pietro Marubi, né à Piacenza et garibaldien, s’était réfugié ici en 1850 où il prit le nom de Pjeter, devint balkanique et y mourut. C'est à peine si on peut visiter le musée, on vous montre deux pièces, avec des photos très belles, de militaires italiens mais aussi d’un grand nombre de bandits et de gitans. L’entière collection, personne n’a le droit de la voir. Les gardiens actuels se plaignent du fait que sans moyens ni soins adéquats, ce gisement multiethnique qui n’a pas son pareil risque de disparaître. »

 

« Première, seconde, troisième, quatrième, laissez tomber la cinquième… » Etait-elle vraie l’Albanie que nous avons vue ? Elle était plus vraie que Fatos Nano et Sali Berisha. Mais, est-ce que l’Albanie des « Bar Berlusconi » est vraie, elle aussi ? Ou celle que nous avons fait arriver d’un seul coup au Big Brother du XXe siècle avec l’envoie de 100 militaires à la guerre américaine contre l’Iraq ? Elle est tout à fait réelle. Tout comme le trafic de Tirana (fondée comme le « petit Téhéran »), cloné à celui des heures de pointe des métropoles occidentales. Alors, il nous faut finir ce voyage à la recherche des années 50, perdus dans les Kino Studios, le Joinville de Tirana, la nouvelle Albafilm, qui proposent la fiction comme la seule ressource du pays. Pendant que le magicien des bruits fait apparaître la mer, puis un coup de tonnerre, un galop, la pluie. Quelle symphonie ! Quel paysage ! Que personne n'ose nous ôter l’Albanie et les Albanais....»

 

Extrait de l’article de Tommaso di Francesco « In motociclette in cerca di aquile », Il Manifesto. Traduction de l’italien ImpasseSud.

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Dimanche 14 Août 2005, 18:30 dans la rubrique "Récits".

Commentaires et Mises à jour :

avanaé
15-08-05 à 09:20

Découverte

Découverte de ce blog , beau , riche , intéressant ; J'adopte ! ;) (Bravo pour la traduction !)

 
ImpasseSud
15-08-05 à 14:56

Re: Découverte

Merci!  Je vais de ce pas faire un tour chez toi pour savoir qui laisse un message au sympathique. :-)