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France : Grandeur d’âme sélective

« M. Chirac veut favoriser l'entrée en France des Africains hautement qualifiés ». Quand ce matin j’ai retrouvé en tête de la Une cet article paru dans Le Monde d'hier, je n’ai pas pu m’empêcher de me poser la question suivante : veut-on nous présenter cette déclaration comme un beau geste ou se moque-t-on carrément des lecteurs? J’ai franchement eu l’impression de lire le résumé bienveillant d'un de ces hauts faits de l'histoire coloniale, donnant un large écho aux déclarations de M. Chirac et aux « bienfaits » de la France, mais ne citant qu’une toute petite phrase du Président du Mali, M. Amadou Toumani Touré, qui, sans doute plus terre-à-terre, réclame d’urgence une conférence Europe-Afrique afin que le problème de l’immigration soit abordé sérieusement, et qu’on mette sur pied un système qui encourage les jeunes Africains à rester chez eux et contrecarre la fuite des cerveaux. « La France facilitera la délivrance de visas de longue durée à entrées multiples pour les entrepreneurs, cadres, chercheurs, professeurs et artistes africains », a répondu à cela M. Chirac. S’il y a effectivement un fond de logique du côté de la France dans le fait de préférer les immigrants instruits (apparemment moins noirs que ceux des banlieues ?) aux immigrants analphabètes, la logique se transforme en un préjudice ultérieur pour l’Afrique, avec la fuite effective de ses cerveaux, si aucune stabilité sur place, aucune hausse substantielle du niveau de vie ne vient rapidement les persuader à rester ou à rentrer chez eux. Et ceci quoi qu’en dise M. Chirac entre propos démagogiques et affirmations contradictoires. En attendant, en Afrique, on appelle déjà cela du néocolonialisme masqué. Sans compter que la France, une fois de plus, présente comme une nouveauté* un système déjà bien rôdé par les USA et la Grande-Bretagne.

 

Car ce n’est pas 20.000 personnes qualifiées (comme l’écrit Le Monde) qui quittent l’Afrique chaque année, mais 70.000 personnes « hautement » qualifiées, attirées par les nouveaux programmes d’ « immigration sélective » lancés par les pays occidentaux, comme la  Green Card Lottery américaine et l’Highly Skilled Migrant Programme britannique. Des données de l’ONU signalent que cette fuite des cerveaux a triplé en l’espace de 40 ans, arrivant même à des situations paradoxales comme celle des médecins de nationalité nigérianes, plus nombreux aux Etats-Unis qu’au Nigeria. L’hémorragie est particulièrement préoccupante dans les secteurs scientifiques et technologiques, dans lesquels les pays africains sont contraints à suppléer au déficit provoqué par l’émigration en masse en important des spécialistes.... des pays occidentaux ( !), pour un coût total de 14 milliards de dollars par an.

 

Les programmes comme la Green Card Lottery et l’Hyghly Skilled Migrant Programme sont nés pour palier à la baisse démographique des pays occidentaux, qui commence à se faire sentir même aux niveaux les plus élevés de la chaîne économique. Ces programmes permettent, grâce à un système complexe de points, de recruter dans le monde entier de jeunes diplômés universitaires dont le niveau est déjà élevé, pour leur consentir de terminer leurs études de spécialisation et de faire des expériences de travail. Ce sont les fameux « Take the best and leave the rest », comme on les a rebaptisé de façon significative. Ensuite, il est rare que ces nouveaux spécialistes décident de rentrer dans leur pays d’origine, d’autant plus que les pays d’adoption garantissent un meilleur niveau de vie pour leurs enfants. C’est ainsi que l’Afrique voit disparaître des générations entières de personnes instruites et dynamiques. Le phénomène concerne tous les pays pauvres, mais touche particulièrement le continent noir. Selon les données du service d’immigration américain, six des dix pays qui « fournissent » le plus grand nombre d’immigrés spécialisés sont africains. L’explication de cette disparité est très simple : les Etats africains sont les plus pauvres, leurs niveaux de salaires très bas, et la corruption omniprésente, surtout dans les hautes sphères, empêche la naissance d’un véritable système de méritocratie. S’ils veulent que leurs capacités et leur valeur leur soient reconnues, bon nombre de spécialistes sont contraints à émigrer dans les pays occidentaux. En plus, les programmes occidentaux permettent aux nouveaux arrivés d’obtenir des visas même sans emplois ou de mettre sur pied une activité commerciale. Objectifs absolument irréalisables en Afrique, où il est très difficile d’obtenir ne serait-ce qu’un simple visa touristique entre un pays et l’autre.

 

Afin d’essayer de mettre un frein à ce phénomène, les Nations Unies ont essayé d'instituer un système de primes qui jusqu’à présent n’a donné aucun résultat appréciable. Certains pays comme l’Erythrée ont recours à des mesures de coercition, prétendant une caution de 15.000 dollars des étudiants qui partent à l’étranger et refusant de leur remettre leurs diplômes tant qu’ils ne sont pas rentrés. Mais il s’agit de palliatifs qui agissent plus sur les symptômes que sur le mal.
L’Union Africaine, elle-même, a décidé d’affronter le problème, mettant sur pied un programme pour l’amélioration de l’instruction et pour une majeure intégration entre les pays du continent. Problèmes pressants même pour le Botswana et l’Afrique du Sud, qui, il y a dix ans, attiraient de nombreux spécialistes africains, mais ont commencé à perdre des points. Le fait qu’une bonne partie des désespérés qui, les mois derniers, ont assailli les « forteresses » de Ceuta et Melilla avait un diplôme universitaire, met en évidence la gravité de la situation. Les programmes agressifs d’immigration occidentale ne sont qu'un côté de la médaille. Si l’Afrique n’arrive pas à améliorer ses propres conditions de vie, il sera impossible de bloquer l’hémorragie.

(Sources : Peacereporter)

 

Voilà sans doute ce que le président du Mali, M. Amadou Toumani Touré a raconté à Jacques Chirac. Voilà sans doute ce dont le président du Mali et ses homologues africains voudraient débattre au cours d’une conférence Europe-Afrique. Le problème n'est pas simple, je le reconnais, mais en attendant, que faut-il penser de l’article de l'AFP repris par Le Monde : s'agit-il du résumé complaisant d’un dialogue de sourds ou, encore pire, d'un journalisme porte-parole du pouvoir ?

 

P.S. Au fait, a-t-on déjà décidé du nouveau nom, système, service ou département du Ministère de l'Intérieur qui délivrera ces visas aux Africains diplômés ?

 

* J'appartiens à la génération qui était fière d'énoncer : "En France, on n'a pas de pétrole, mais on a des idées". Le pétrole manque toujours, mais il m'arrive de me demander si on a encore des idées.


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Ecrit par ImpasseSud, le Dimanche 4 Décembre 2005, 13:50 dans la rubrique "Actualité".

Commentaires et Mises à jour :

Ysengrin
05-12-05 à 14:03

Et ce "pillage de matière grise" est d'autant plus scandaleux que les dites grosses têtes n'arrivent pas en général chez nous pour s'épanouir et être reconnus à leur valeur : ils servent à boucher les trous et à comprimer les frais de personnel et occupent presque toujours des postes inférieurs à leur capacités et sont très mal payés : médecin travaillant comme infirmier, chercheur sous contrat précaire dans les laboratoires universitaires... et d'autant plus corvéables qu'au moindre accident dans leur parcours professionnel ils ne pourront renouveller leur titre de séjour (même pas une carte de séjour, si je comprends les promesses de Chirac mais un simple visa ! ? ! ?) et sont menacés d'une deuxième sanction immédiate . la "reconduite à la frontière".

Tout ça me ferait pencher pour l'option du "journalisme porte-parole du pouvoir". :-(

 
ImpasseSud
05-12-05 à 16:08

Re:

Plus on creuse la question, plus il devient évident que les gouvernements occidentaux, malgré les belles déclarations d'Edimbourg, ne visent qu'à continuer à garder l'Afrique sous leur tutelle, afin de pouvoir, d'une part, continuer à y prendre (matières premières, matière grise) et y vendre (armes, produits finis, médicaments) tout ce qui les arrange, et, d'autre part, l'utiliser, tour à tour et suivant les circonstances, soit comme épouvantail soit comme catalyseur des beaux gestes et des beaux sentiments pour les populations tiraillées entre la peur des effets de la recession et la montée de la conscience planétaire.

Faut-il se réjouir d'avoir finalement commencé à soulever le masque ?


 
PierreDesiles
05-12-05 à 16:10

Nostalgie du temps des colonies...?

« La France facilitera la délivrance de visas de longue durée à entrées multiples pour les entrepreneurs, cadres, chercheurs, professeurs et artistes africains », a répondu à cela M. Chirac.>>

L'Afrique a déjà donné, aux colonisateurs du passé, en matières premières et en matière humaine(esclavage non reconnu encore!) et maintenant elle doit donner ce qu'elle a de meilleure en matière grise!

Mais en échange de quoi au juste???

Merci pour ton article ImpasseSud, j'espère que tu auras de nombreuses réactions!


 
coldbear
05-12-05 à 16:12

Avez-vous vu ce reportage télé saisissant sur les candidats à l'émigration clandestine qui cherchent à ralier les iles canaries à partir du Maroc. Il est clair que seuls les plus motivés, les plus accrochés à la vie, les plus volontaires arrivent à leur fin. Certains font demi-tour, d'autres se noient.
Il n'y a pas de bonne solution. Ces gens veulent partir, quoiqu'il en coute.
Cependant aider les élites de ces pays à deserter va augmenter la corruption et la pauvreté, et encore plus la pression aux frontières. C'est un calcul à bien court terme !


 
ImpasseSud
05-12-05 à 16:24

Re: Nostalgie du temps des colonies...?

Pierre, nous avons posté ensemble, disant plus ou moins la même chose. Il y eut l'esclavage humain, mais comment faut-il appeler les situations dans lesquelles aujourd'hui se trouvent les immigrants dont parle Ysengrin, qu'on contraint à des travaux subalternes sous menace d'expulsion ?

En échange de quoi ? Demandons-le aux députés (mais aussi à ceux qui pensent comme eux) qui ont confirmé l'article 4 de la loi du 23 février 2005 sur les bienfaits de la colonisation. :(

 
ImpasseSud
05-12-05 à 16:44

Re:

Coldbear, plus qu'un calcul à court terme, il s'agit tout simplement d'une absence totale de scrupules, basée justement sur le fait que ces gens-là n'ont aucun autre moyen de s'en sortir.

J'ai vu le documentaire dont tu parles (merci pour le lien!). C'était tellement dramatique et bouleversant que je n'en ai pas dormi la nuit suivante. Le journaliste et le photographe qui ont "émigré" avec eux pour faire ce reportage ont eu un sacré courage.

Il y a quelques jours, j'ai vu un autre reportage sur le Mali. On y a fait parler des jeunes gens qui fréquentent lìécole (collège ou lycée). Ils étaient en train de jouer au foot. L'un d'eux avait déjà en tête son voyage pour l'Europe. Il était parfaitement informé et dans les détails de toutes les énormes difficultés qu'il allait devoir affronter, des risques terribles et même mortels qu'il devrait courir, mais il concluait toutes ses phrase par "Je sais, mais moi j'y arriverai"...