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Monod Théodore « Terre et Ciel », (1997)

Théodore Monod, voilà un homme qui fait honneur au genre humain ! « Terre et Ciel », voilà un livre que tout le monde devrait lire! Car la photo qu’on a choisie pour la couverture est celle d’un homme perplexe qui, à plus de 90 ans et après une vie utile à l'humanité, se pose encore de nombreuses questions. Ici, il s’agit du recueil de plusieurs entretiens que Sylvain Estibal (un journaliste de l’AFP dont je ne sais absolument rien, mais qui, assurément, est encore de ceux qui savent écouter), a eu avec ce grand homme « séculaire » (1902-2000) quelques années avant sa mort.

 

Il est impossible de résumer ce livre qu’il faut lire sans précipitation et même relire. Théodore Monod, naturaliste, botaniste, océanographe, ichtyologue, amant du désert, et même un peu philosophe y disserte sur le sens de la vie, les raisons de la science, les rapports de l’homme avec la nature et les animaux, le futur de notre civilisation, sur ce qu’il appelle les « Afriques », sur Dieu et de la vie, sur le destin...

« Disserte », ai-je écrit ? En fait il répond à des questions, mais c’est le mot qui me vient à l’esprit, comme quand il faut essayer de faire le tour d’un sujet le plus honnêtement et le plus complètement possible. Mais il n’y a absolument rien de long, d’ennuyeux ou de laborieux dans ce livre. D’un bout à l’autre on y trouve les réponses empreintes de modestie d’un homme qui, parce qu’il a bien rempli sa vie, sait que toutes les questions n’ont pas forcément des réponses, et que les réponses sont bien souvent contextuelles.

Dans ces entretiens, tout est essentiel, et faire une sélection signifierait sans aucun doute laisser dans l’ombre des points importants. Par contre n’en rien dire, ce serait taire mes impressions quand, au contraire, j’ai envie d'en parler.

 

Ce qui m’a séduite en premier lieu, c’est la très large ouverture d’esprit de cet homme en matière de religions et même d’athéismes, d’une honnêteté rare, surtout quand on sait qu’il s’agit d’un profond croyant qui descend de cinq générations de pasteurs protestants, et que s’il avait possédé un don du contact humain plus développé et que sa passion pour la science ne l’avait pas porté vers la recherche, il serait sûrement devenu pasteur à son tour. Il voit, sans jugements, rejets ou exclusions, les choses telles qu’elles sont, fruits d’influences millénaires, historiques et locales. Même un non-croyant se trouve parfaitement à l'aise dans son analyse. Rien d’étonnant pour cet homme qui se déclare « viscéralement pour la liberté ».

Ensuite, sa façon réaliste d’aborder le mystère qui entoure notre intellect fournit des mots aux interrogations souvent refoulées. En effet, si notre présence sur cette terre est pratiquement explicable physiquement parlant, dit-il en l’essence, il reste encore un profond mystère en ce qui concerne le pourquoi de la suprématie de l’homme sur l’ensemble de la planète et le pourquoi de la perception innée qu’il possède de certains concepts comme Dieu, le bien et le mal, alors que la nature, extrêmement cruelle comme ses recherches n’ont cessé de le lui démontrer, que les animaux auxquels il réserve un chapitre, en sont totalement dépourvus.

J’aime qu’il n’y ait aucun optimisme irrationnel dans le regard perçant que Théodore Monod portait sur l’état actuel du monde, avec ses trois faux dieux (la violence, l'argent et le plaisir), toutes les indécisions de la civilisation occidentale et la péremption de tous les cadres qui l’ont crée, tenue sur pied et ont même assez bien fonctionné. Mais j’aime aussi que, justement à cause de cela, il prône l’extrême importance de l’utopisme. J’aime sa philosophie du « quand même » qui était déjà celle de son père, « croire quand même » (pour ceux qui croient bien entendu), mais surtout « espérer quand même, aimer quand même ».

J’ai été agréablement surprise par le fait qu’un homme éminent reconnaisse, face à tous ceux qui croient mener leur vie à leur gré, que « les choses importantes de la vie sont décidées ailleurs. On croit agir mais on est agi. Je ne sais pas par qui d’ailleurs. Ce peut être la Providence, ce peut être le hasard. On s’aperçoit un jour que l’on est engagé dans une direction et qu’il nous est impossible de revenir au stade antérieur. Certains choix fondamentaux orientent votre existence sans que vous vous en rendiez compte sur le moment. Ce n’est qu’au-delà de la bifurcation que vous découvrez que vous étiez à la croisée des chemins… »

Sur le sort de l’Afrique, pour un homme qui a longuement joui des espaces désertiques de ce continent, de ses richesses cachées, qui a aimé les rythmes, approché le mysticisme et partagé la vie de certaines de ses populations, je trouve ses avis trop mesurés. Est-ce l'effet de la modestie qui le caractérise, l'indécision d'un homme qui a vécu la mentalité coloniale ? Je pense au contraire que dans le cas présent, il devait s’exprimer d’une façon plus catégorique que celle du langage qu’il utilise, faite d’une longue suite d’interrogations.

Pour finir, il y a une chose qui m’intrigue carrément chez Théodore Monod, et pas des moindres. Dans ces entretiens où on finit par toucher à tout, il y a cependant un grand absent, le monde des femmes. A part quelques très brèves allusions aux trois femmes de sa vie, sa mère, sa femme, une autre femme aimée dont il a donné le nom à une plante et un non à l'IVG, le grand silence. S’agissait-il de sa réserve habituelle, des restes des coutumes pudiques du XIXe siècle qui ont probablement marqué l’éducation d’un homme né en 1902, ou d’un sujet pour lui sans aucun intérêt ? Que faut-il penser quand un homme déclare : « Il est des choses très personnelles naturellement que l’on ne souhaite pas partager avec ses contemporains, mais quant à l’importance d’une opinion, je crois au contraire que l’on aspire à la faire connaître en nourrissant le secret espoir de la voir un jour adoptée par chacun » ? Pour ma part, je ne crois pas qu’on puisse faire avancer le Royaume de Dieu (pour lequel il reconnaît ne pas avoir assez travaillé) ou même quoi que ce soit d’autre, si on continue à ignorer la moitié de l’humanité.

 

Quoi qu’il en soit, j’aime les gens qui se posent des questions, ceux chez qui le désir de savoir ne se contente pas des réponses toutes faites ou des certitudes établies par d’autres. Face à tous les présomptueux qui aujourd’hui, quand on leur demande de faire un bilan de leur vie déclarent sans hésiter qu’ils ne regrettent rien et que si c’était à refaire ils se comporteraient de la même façon, j’opposerai cette simple réponse de Théodore Monod, pleine d’humilité et que je sens mienne : « Personne ne peut se donner des certificats de bonne conduite. Si c’était à recommencer, ce serait différent bien sûr, mais on ne possède qu’une vie. C’est dommage car on s’instruit au cours d’une existence. Il est des choses qu’on ne referait pas ou que l’on ferait différemment. On est finalement mal préparé à la vie ».

 

Qu’on soit mal préparé à la vie, je le constate assez souvent. Mais le recueil de ces entretiens, qui ne prétendent jamais donner la moindre leçon, répond sans aucun doute à la soif de réflexions existentielles qui nous saisit parfois au sein de ce monde superficiel et consommateur, réveillant nos consciences assoupies et mettant un peu de baume sur nos âmes écorchées.  

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Dimanche 18 Décembre 2005, 16:57 dans la rubrique "J'ai lu".

Commentaires et Mises à jour :

alberto
19-12-05 à 12:46

Quelle famille intéressante que les Monod ! Il semble que l’héritage qu’ils nous lèguent, ici littéraire, touche tout un public dans sa diversité. Alors merci Impassesud de nous faire partager tes impressions sur le livre de Théodore, le savant, et de nous inviter à le lire (je n’ai pas encore ce livre). Par contre, l’autre des Monod, Adolphe, le pasteur, je l’apprécie profondément, comme beaucoup de chrétiens sûrement. L’un de ses livres m’a même accompagné tout au long de l’année dernière.
Pour l’heure, en attendant de te répondre, je retiens ta petite phrase à laquelle j’adhère d’autant qu’on la retrouve dans l’évangile : “Personne ne peut se donner des certificats de bonne conduite”.
A bientôt donc.

 
ImpasseSud
19-12-05 à 13:29

Re:

Quelle famille étonnante en effet, quand on pense que, malgré un père pasteur et une éducation très protestante, le frère aîné de Théodore s'est converti au catholiscisme, le second est devenu agnostique "par sincérité", et que lui-même se qualifiait de mauvais protestant "parce qu'il a passé trop de temps à faire ce qui l'intéressait". Pour moi, c'est la confirmation de ce que je pense, c'est-à-dire que l'éthique n'a pas forcément besoin de religion (et encore moins de prosélytisme), et qu'une religion, qu'on la conserve ou qu'on la choisisse, correspond surtout à un besoin de confort moral .... et parfois même social.