Comment cerner ce livre (l'original en italien) posthume ? Le résumer brièvement est impossible car il s’agit tout à la fois d’une autobiographie, d’un essai, d’un roman et d’un livre d’histoire contemporaine. Voilà près de deux mois que je l'ai terminé, mais je n'arrive pas en parler parce ses 450 pages sont tellement denses qu'elles forment un tout inséparable, comme la vie de cet homme hors du commun. La lecture en est agréable, aisée, mais tellement pleine que choisir un chapitre, citer une phrase revient à trahir, diminuer, car ce chapitre, cette phrase, n'ont tout leur sens qu'au sein de l'ensemble. Enfin... je vais essayer, mais on peut être sûr que ce livre est beaucoup mieux que ce que je vais en dire.
Mars 2004. Après Un autre tour de manège de sept ans concédé par le cancer qu’il a depuis 1997, Tiziano Terzani sent qu’il est arrivé au terme de son « voyage ». De la petite gompa en style tibétain qu’il habite au fond du jardin de sa maison à Orsigna, sur les Apennins tosco-émiliens, il envoie, déjà très affaibli, une lettre à son fils Folco qui se trouve à New York, lui demandant de venir au plus vite si cela lui est possible, - car le temps presse -, pour donner suite à une idée à laquelle il a beaucoup réfléchi : « Toi et moi, on pourrait s'asseoir ensemble chaque jour pendant une heure, et toi, tu pourrais me poser les questions que tu as toujours voulu me poser (...) Un dialogue entre père et fils, si différents mais si semblables, un livre testament que toi, tu mettras sur pied. »
C’est exactement ce qui va se passer pendant quatre mois, et ce livre a effectivement été publié il y a quelques mois par son fils.
Ce que cet homme, journaliste, écrivain et philosophe, va raconter, dans une rare symbiose entre père et fils, c’est de l’intimité, pure mais pudique, sans exhibition, c’est « le grand voyage de sa vie », celle d’un gosse, né dans un lit de via Pisana, un quartier populaire de Florence, qui se retrouve plongé dans l’Histoire de son temps – la guerre du Vietnam,
Dans une longue conversation au rythme des forces qui lui restent, au langage spontané et sans frein, entrecoupée de rires, de questions et de commentaires, amicale, présentée telle qu’elle a été enregistrée, Tiziano Terzani porte au grand jour, dans une recherche qu’il veut commune, une foule de détails inédits dans leurs contextes historiques, nous éclaire sur des situations et des états d’esprit jamais évoqués auparavant, sur des évènements personnels, familiaux, professionnels, asiatiques, internationaux, grands et petits, sur les multiples rencontres qui ont eu un impact sur sa vie, sur ses réussites et ses enthousiasmes, sur ses déceptions et ses faillites. Il nous livre les conclusions qu’il tire sur le journalisme et sur ce qui fait la qualité de l’information, sur la révolution, la guerre et la non-violence, la politique, la science, l’évolution, le pouvoir, l’argent, les idéologies, l’amour et l’amitié, etc.
Ce qu’il déroule sous les yeux du lecteur, c’est sa lente transformation au cours des années, transformation active, celle d'un homme qui mûrit et évolue vers un nouveau mode de concevoir et d’imaginer sa vie et celle des autres.
Cela l’incite à s’adresser aux jeunes, pour les supplier d’éviter les sentiers battus ou tout tracés (ceux du monde de la finance en particulier), de s’inventer une vie comme il n’a jamais cessé de le faire lui-même, car il y a beaucoup de joie à tracer son propre chemin. Selon lui, c’est le seul moyen de faire des découvertes extraordinaires, même dans la société d’aujourd’hui, et même si, quand la mort arrive, tous les acquits sont réduits à rien.
Il y a une image que Terzani aimait rappeler, celle d’un moine zen qui s’assied dans le silence de sa cellule, prend un beau pinceau, le trempe dans le mortier où il a versé de l’encre de chine, puis se recueille devant une feuille de papier de riz et, dans une grande concentration, trace un cercle qui se referme, ultime geste de sa main sur cette terre.
Fin juillet 2004, toutes les questions entre père et fils étant épuisées, le récit s’arrête. Le 28 juillet 2004, à 65 ans, Tiziano Terzani « quitte son corps » (expression qui lui était chère), en paix, sans regret, vers rien mais sans rien perdre, parce que l’homme est partie d’un grand tout, d’un cosmos qui se renouvelle et où chaque fin est aussi un commencement.
A lire absolument ! (En espérant qu’on le traduise un jour en français !), car ce livre est bouleversant d'enthousiasme, de douceur et d’universalité.
Mise à jour du 12 juin 2008 : Ce livre est finalement traduit en français "La fin est mon commencement" aux Editions Intervalles/Les Arènes
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