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Szabó Magda, « La Porte » (1987)
--> Prix Femina Etranger 2003

Voilà un livre d’une extrême originalité avec une large et belle introspection psychologique au sein des rapports humains. Sa construction en boucle puisque la narratrice commence et finit sur le même rêve récurrent - celui d’une porte impossible à ouvrir -, qui l’obsède depuis qu’elle croit avoir tué Emerence, et le rythme continuel d’un pas en arrière pour deux pas en avant qu’elle imprime à son récit, rendent ce livre presque envoûtant. Par contre, contrairement aux dizaines d’avis exprimés sur la Toile, je ne l’ai pas trouvé bouleversant. Au contraire, je n’ai pas cessé de me sentir mal à l’aise, du début à la fin, car il ne s’agit pas seulement de l’histoire d'une étrange relation entre deux femmes que tout sépare, mais plutôt de la dépendance incompréhensible, pendant vingt ans, d’une jeune écrivaine vis-à-vis de sa femme de ménage.

 

La narratrice, une femme de lettre (quelle est la part d’autobiographie dans ce livre ?) longtemps réprimée par le régime au pouvoir (nous sommes à Budapest à la fin des années 50), voit tout à coup des jours meilleurs et vient, avec son mari écrivain lui aussi, s’installer dans un bel appartement, trop grand pour qu’elle puisse en assurer seule l’entretien. Elle cherche donc une femme de ménage dans le quartier où elle vient d’arriver. On lui recommande Emerence Szeredás, concierge d’une villa voisine, une dame sans âge mais probablement déjà sur la soixantaine, forte, infatigable, silencieuse, précise et intègre, qui fait déjà des ménages dans tout le quartier, cuisine des « plats de marraines » pour ceux qui en ont besoin, balaie la neige en hiver et les feuilles en automne, mais cèle un secret derrière la porte de sa loge qu’elle tient hermétiquement close, même pour les membres de sa famille. La relation entre les deux femmes commence plutôt bizarrement car ce n’est pas la narratrice qui engage une femme de ménage, mais Emerence qui, après avoir pris des références sur ses futurs patrons, décide de « venir laver leur linge sale », imposant immédiatement des conditions capricieuses et indiscutables.

 

Amour ? Bien que ce mot revienne régulièrement dans le récit, il est difficile de définir et même d’élucider la teneur du rapport qui s’établit entre les deux femmes et dont Emerence revendique la barre pour elle seule. Cette grande travailleuse, rêche, imprévisible et emportée, sans instruction, qui ne se laisse jamais approcher et n’accepte rien de personne, fait tout d’abord peur à la narratrice, mais la qualité exceptionnelle de son service et son dévouement lors de l’hospitalisation de son mari (cinq ans se sont déjà écoulés) l’empêchent de s’en séparer. Toutefois, cet évènement marque le début des confidences qui, petit à petit, vont lever le voile sur tous les faits tragiques vécus par ce personnage hors de l’ordinaire que personne n’a jamais réussi à plier, d’une générosité parfois extrême, même au prix de son honneur, mais aux idées terriblement personnelles. Cela lui vaut sans autre le respect du quartier, mais l’enferme dans une profonde solitude, une porte plus solidement verrouillée que celle qu’elle n’ouvre à personne, d’autant plus que, dès qu’elle se sent incomprise ou dès qu’on veut prendre une initiative, elle lance sans scrupules des propos offensifs ou interrompt carrément son service tant qu’elle n’a pas reçu des excuses.

Si affection et confiance s’installent cependant entre les deux femmes, ce système de douche écossaise épuise la narratrice jusqu'à la rendre malade. Toujours est-il qu’Emerence finit par ouvrir « sa porte » à celle qu’elle considère peut-être comme sa fille, et que la narratrice commence à faire des rapprochements avec la mère qu’elle n’a plus, mais que, prenant pour la première fois l’initiative et croyant bien faire pour sauver celle qui a fait partie de sa vie pendant vingt ans, elle trahira le très important sentiment de dignité sur lequel sa femme de ménage a construit la sienne.

 

 

Quelle relation difficile, dérangeante ! Elle est peut-être poussée à l’extrême, mais peut-on parler d’amour quand la générosité est à sens unique, qu’elle n’accepte rien en retour et que l'alternance entre excès et refus se fait tyrannique et rend malade l’objet de ce sentiment ? L’auteur a-t-il voulu mettre l’accent sur l’incommunicabilité entre les êtres ?

D’autre part, combien d’idées reçues et de croyances toutes faites ce livre ne bouscule-t-il pas ! A tel point que je me suis demandée si plus que de raconter une histoire autobiographique, Magda Szabó,  n’a pas, à l’âge où les certitudes se muent en questions (ce livre est sorti alors qu’elle avait déjà 70 ans), plutôt créé le personnage d’Emerence pour lui faire endosser la lourde tâche de traduire ses doutes, ou pour immiscer dans l’esprit du lecteur des lézardes dans des croyances trop faciles ?

 

A lire !

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Lundi 24 Juillet 2006, 13:21 dans la rubrique "J'ai lu".