Joueb.com
Envie de créer un weblog ?
Soutenez le Secours populaire
ViaBloga
Le nec plus ultra pour créer un site web.
Débarrassez vous de cette publicité : participez ! :O)

Terzani Tiziano, « Lettres contre la guerre » (2002)
--> A propos du livre, mais aussi de l’actualité guerrière

Ce recueil de lettres écrites entre le 14 septembre 2001 et le 17 janvier 2002, suite aux attentats du 11 septembre 2001 et à la riposte américaine (et de ses alliés) en Afghanistan à partir d’octobre de la même année, il y a des années que j’en connais l’existence. Par contre, étant résolument contre la guerre, je l’ai laissé dormir dans ma bibliothèque, pensant que ce j’y trouverais ne pourrait que confirmer ce que je pense déjà. Mais la recrudescence de la guerre au Proche-Orient m’a incitée à l’en tirer et à le lire, découvrant peu à peu que Tiziano Terzani, grand journaliste et correspondant de guerre pendant 30 ans en Asie, avait, une fois de plus, - cassandre à la longue vue -, prévu les conséquences "de recourir encore à la guerre pour résoudre les conflits et celle de refuser la non-violence, la plus grande preuve de force", avec toute la chaîne des conflits inextinguibles qui ne cessent de s'élargir sous nos yeux. Voilà donc une excellente raison de lire ce livre aujourd’hui, en 2006.

 

On y trouve tout autre chose que les multiples et trop classiques propos exaspérés, exacerbés, désorientés mais aussi trop souvent dirigés, répétés à l'infini parce qu’entendus et lus au lendemain de l’attentat. Ces lettres adressées « A Novalis, mon petit-fils, pour qu’il choisisse la paix », sont une sorte de récit, une longue explication, en progression d’une ville à l’autre et avec la grande douceur de ton qu’utilise un grand-père. Derrière un préambule à propos du 10 septembre 2001 que Terzani surnomme « le jour manqué », le jour sans souvenirs, vécu à la légère, ignare du changement radical que le lendemain allait imposer au monde entier, il y a sept lettres, écrites à Orsigna, Florence (en réponse à Oriana Fallaci), Peshawar, Quetta, Kaboul, Delhi et dans son refuge de l’Himalaya. Car, à 63 ans, bien que malade et vivant en retrait du monde, Terzani est incapable de rester indifférent, il faut absolument qu’il aille voir sur place.
Ce n’est pas sans fondements qu'il se déclare pour la paix. Il s’agit de bien plus que d’une prise de position de circonstance car il sait de quoi il parle : des morts, des souffrances, des ruines, il en a vu plus que son comptant. Il sait que la paix n'est pas chose facile, qu'il faut avant tout faire un vaste et honnête tour d’horizon.

A contre-courant des informations manipulées par nos Etats et nos médias, car « l'unique façon de résister est de s'obstiner à penser avec sa tête et surtout à sentir avec son cœur », Terzani nous raconte l’étroitesse d’esprit américaine ("Les Américains disent tous les mêmes choses, ils pensent tous de la même façon. La différence est que, contrairement aux Nord-Coréens, ils croient le faire librement et ne se rendent pas compte que ce conformisme est le fruit de tout ce qu'ils voient, boivent, entendent et mangent") par rapport à l’Islam, « cette religion grande et inquiétante avec un tradition d’atrocité et de délits (comme tant d’autres par ailleurs) », mais omniprésente dans le monde (et même aux USA où il n’y a pas moins de 1400 mosquées) et qu’ « il est ridicule de penser qu’un cow-boy quelconque, même armé avec tous les pistolets du monde, puisse effacer de la surface terrestre ».

De Peshawar, de Quetta puis de Kaboul, Terzani parle de l’hostilité parfois haineuse perceptible dans les rues et les bazars, générée par des siècles de colonialisme non seulement plein d’abus et de mépris mais aussi plein d’erreurs stratégiques monumentales, par les répétitions des destructions punitives (alors qu’on fait pleurer l’Occident sur les bouddhas de Barmyan), du refus d’une occidentalisation vouée à l’économie, image d’une corruption politique, mentale et morale qui va à l’encontre des principes de l’Islam. Il raconte l’immense dévastation de la capitale afghane, décrit sans complaisance ni préjudices faciles les parcours qui portent au fanatisme pur et dur des Talibans, de ceux qui vont s’engager pour combattre l’envahisseur et ceux des kamikazes, parle des lois ancestrales qui mettent l’hospitalité au premier rang de tous les comportements, expliquant comment Ben Laden et le Mullah Omar, illustres inconnus pour la population locale jusqu’à l’attaque américaine, deviennent des héros à protéger du jour au lendemain. Sans oublier la question des femmes, etc.

Ici, il n’y a aucun faux-fuyant, on fait le tour de la question sans omissions commodes. Arrivé en Inde, ce pays à la tradition pacifiste, Terzani cite souvent Gandhi et le courage de sa non-violence.

 

Il y a quelques jours, grâce à Peacereporter qui en a publié la traduction en italien, j’ai découvert un article d’Yitzhak Frankenthal One Month into the War with Lebanon. Pour ceux qui ne le connaissent pas, Yitzhak Frankenthal est le fondateur du Arik Institute for Reconciliation Tolerance & Peace. Depuis la mort de son fils, tué au cours d’un des attentats de Hamas, il dédie sa vie à la promotion de la réconciliation, de la tolérance et de la paix en Israël. Il est également à la tête d’un groupe, The Parent’s Circle, qui regroupe les familles, israéliennes et palestiniennes, qui ont perdu des êtres chers dans le conflit en cours. Pour ceux qui ne comprennent ni l’anglais ni l’italien, YF dit, en l’essence, qu’il y a longtemps qu’Israël et Hamas auraient trouvé un terrain d’entente si les USA, l’UE et même l’ONU arrêtaient de considérer Hamas comme des terroristes. Quant au conflit avec le Liban, si, pour lui, le Hezbollah avait effectivement une raison d’être durant l’occupation israélienne (1982-2000), il n’a plus aucune raison d’exister aujourd’hui alors que les deux pays voisins et souverains vivaient en paix depuis plusieurs années. Son agression récente contre Israël n’a un sens que si son bras est armé par des puissances comme la Syrie et l’Iran (avec les incohérences que cela sous-entend), c'est la preuve du grand mépris qu’il a pour la population civile libanaise qu’il utilise sans scrupules comme bouclier humain, et que ces résistants d’hier ne sont plus aujourd’hui que de vulgaires terroristes qu’Israël doit éliminer à tout prix pour défendre son droit à l’existence.

 

Combien de choses vraies dans ce point de vue ! Dans les grandes lignes (mais encore plus dans les détails pour ceux qui liront l’article), il bouscule pas mal des idées entières et partisanes que chacun de nous tend à se faire sous la pression des médias ou de la propagande. Il n’en reste pas moins que YF, qui a perdu son fils à cause de la guerre, pacifiste convaincu depuis 1973 et même activiste, se déclare pour la continuation de la guerre. Au nom de…..  Peu importe en fait car quelle que soit la situation, l’horreur ou la douleur, « jeux de logique, jeu de rhétorique », on finit toujours par soutenir implicitement l’idée de « la guerre juste », de « celle qu’il faut absolument faire », car, bien entendu,…. ce sera la dernière. Aurait-on brûlé tous les livres d’histoire ?

 

Ici, il s'agit de l'exemple le plus récent qui me soit venu à l'esprit, et il n'implique. - et je tiens à le préciser -, aucun type de jugement. Mais faut-il signer pour d’autres morts, d’autres pères et mères en larmes, pour d’autres orphelins, d'autres blessés, d'autres tortures, d'autres destructions, d'autres abus, pour d’autres contrats de haine ? Jusqu’à quand ? Y a-t-il plusieurs types de véritable paix ? « What do you say to a man whose family is buried under the rubble? » Même si je n'aime pas beaucoup la réponse qu'il propose, y a-t-il un titre plus juste que celui  que Robert Fisk a choisi pour un de ses articles à propos du Liban, publié le 9 août 2006 dans The Indipendent ?

 
Dans sa dernière lettre, écrite dans la paix himalayenne, Terzani ne voit qu'une seule solution : "Aujourd'hui on utilise la guerre au terrorisme pour militariser nos sociétés, pour produire de nouvelles armes, pour dépenser plus d'argent pour la défense. Nous devons nous y opposer, ne pas voter pour ceux qui encouragent cette politique, faire des contrôles sur les sociétés à qui nous confions nos économies et les retirer si celles-ci ont le moindre rapport, même de loin, avec les industries de la guerre.(...) Encore plus qu'en dehors, c'est en nous que sont les causes de la guerre. Elles sont dans le désir, la peur, l'insécurité, l'avidité, l'orgueil, la vanité. Nous devons nous en libérer peu à peu. Nous devons changer de comportement. Commençons à prendre des décisions qui nous concernent et concernent les autres sur la base de plus de moralité et de moins d'intérêts. Faisons ce qui est juste plutôt que ce qui nous arrange. Apprenons à nos enfants à être honnêtes et non tricheurs. (...) Une civilisation se renforce avec sa détermination morale plus qu'avec des nouvelles armes. Nous devons prendre le temps de réfléchir, de faire silence. (...) Du point de vue du futur, ces-jours-ci font encore partie de ceux où il est possible de faire quelque chose. Faisons-le. Parfois chacun pour soi, parfois ensemble. Voilà l'occasion qu'il fallait.

Le chemin est long et souvent encore tout à inventer. Mais que préfère-t-on ? Celui de l'abrutissement qui se trouve devant nous ? Ou, celui, plus court, de notre extinction ?

Alors : bon voyage! Au dehors comme au dedans."

 

A lire absolument, ne serait-ce que pour remettre un peu d'ordre et de bons sens dans nos esprits trop souvent corrompus par les lavages de cerveau médiatiques.

 

Mots-clefs : , , , , , , ,

Ecrit par ImpasseSud, le Dimanche 20 Août 2006, 17:47 dans la rubrique "Actualité".

Commentaires et Mises à jour :

ImpasseSud
23-08-06 à 07:02

Bon à savoir

Après sa sortie en Italie en mars 2002, ce livre, de par son contenu assez fort mais honnête, a tout d'abord été boycotté par tous les éditeurs de langue anglo-saxonne. L’ambassade des Etats-Unis à Rome a même élevé une vive protestation. Pour contraster cette « censure », Terzani a payé de sa poche la traduction de son livre en anglais et l'a mise gratuitement à disposition sur Internet, affirmant ainsi la liberté absolue de ses propres opinions. De façon assez curieuse, c’est en Inde justement qu'a circulé la première copie en anglais. Par la suite, Terzani en personne racontera cet épisode, amusé, comme preuve que la censure ne peut rien contre la liberté de savoir, répétant ce que sa longue carrière de grand reporter lui a appris, c’est-à-dire que « les faits sont un voile derrière lequel on cache les vérités ». La soif de vérité a fait le reste et son livre a été traduit en plusieurs langues.