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Afghanistan : les "forces de paix " détournent le personnel d'un hôpital vers la guerre

Hôpital d'Emergency à Lashkar-gahEn l’espace de deux mois, l’hôpital d’Emergency(1) à Lashkar-gah perd 14 infirmiers, attirés par les très riches rémunérations promises par les troupes anglaises. Ils abandonnent les soins aux victimes de la guerre pour aider ceux qui, la guerre, la font. Mais ils ne le comprennent que trop tard et ne peuvent plus revenir en arrière.


L’argent de la guerre

« Chaque jour, pour aller de chez nous à l’hôpital, nous parcourons la même route, accompagnés par un chauffeur et un garde désarmé. Durant le trajet, nous passons devant deux luxueuses villas entourées de hauts murs bordés de fil de fer barbelé, deux « monuments » qui détonnent au milieu des basses maisons de boue, caractéristiques de cette ville, un étalage de richesse jeté à la figure de ceux qui sont contraints de vivre au jour le jour. Il semble que ce soit des Anglais qui y vivent, on ne sait pas s’il s’agit de l’état-major des troupes en garnison à Lashkar-gah ou d’une ONG qui leur est attachée.

A l’improviste, mon attention est attirée par un des deux hommes de garde – tenue léopard, ceinturon chargé de munitions, kalachnikov et grosses lunettes miroir – qui me salue d’un geste de la main à peine visible pour que son collègue ne s’en aperçoive pas. C’est Amira Jan, encore agent de nettoyage à l’hôpital d’Emergency il y a deux mois.

Précis et diligent, parlant assez bien l’anglais, un jour il ne s’est pas présenté au travail. Un de ses collègues m’a raconté que le « Provincial Reconstruction Team » (PRT) lui avait offert 600 dollars par mois pour qu’il vienne travailler avec eux comme interprète.

 

L’argent, rachat d’un passé de misère, mais aussi hypothèque sur la sécurité du futur

Amira Jan est le dernier des collègues afghans à nous avoir lâchés pour courir après le rêve du « dollar facile » que les Anglais ont commencé à vendre au mois d’avril, quand ils ont pris le commandement de la FIAS [Force Internationale d’Assistance à la Sécurité (2)].

Ici, le salaire moyen est de 40 dollars par mois, nos infirmiers en gagnent 120, les Anglais en offrent 600, en vous relançant de façon systématique à coup de 50 dollars jusqu’à ce que vous acceptiez leur proposition : une tentation trop grande pour un homme qui doit souvent s’occuper d’une famille de 20 personnes.

Et, en effet, en un peu plus de deux mois, 14 infirmiers nous ont lâchés pour aller travailler pour le PRT.

Dans une région où il est très difficile de trouver du personnel compétent, nous nous sommes retrouvés contraints à remplacer une bonne partie de l’équipe des infirmiers, nous repliant sur des élèves infirmiers et des assistants de santé.

Actuellement, à distance de quelques mois, l’équipe est finalement au complet : les nouveaux arrivés ont fait preuve de motivation et sont de plus en plus compétents dans leur travail grâce à l’aide des « vétérans » qui ont contribué à leur formation. Tout le personnel – ancien et nouveau – a même accepté de doubler ses heures de garde, afin de faire front à la considérable augmentation des hospitalisations causée par l’intensification des actions de guerre dans l’ensemble de la province de Helmand.

 

Une collaboration qui devient peur. Des amis qui se transforment en menace possible.

Il y a quelques jours, un infirmier de la « A ward » m’a dit que Jawid – excellent infirmier, le premier à avoir accepté d’aller travailler pour le PRT -, voudrait revenir travailler à l’hôpital. Maintenant que les Talibans sont sur le point d’entrer dans la ville, il a peur que sa collaboration avec les Anglais le mette en danger, lui et toute sa famille.

J’en discute avec notre responsable de la sûreté qui me laisse peu d’espoir : le retour de Jawid pourrait devenir un risque pour nous tous.

Sa réponse m’attriste, mais je comprends. Ce qui m’attriste, c’est de penser à tous ces garçons qui sont partis, éblouis par ceux qui disent qu’ils veulent aider ce peuple alors qu’ils font la guerre en l’appelant par un autre nom.

Jawid, Hamumajdin, Amira Jan, Bagul et tous les autres … avec leurs blouses blanches, voulaient soigner les blessures de leur peuple, et maintenant, déguisés en improbables  « Rambo », ils portent des lunettes sombres pour que, de leur yeux, ne filtre pas la peur dont pas même leur kalachnikov peut les protéger. »

Marina Castellano (Journal d'Emergency n° 40, septembre 2006)

Traduction de l’italien  par ImpasseSud

 

(1) Emergency : depuis plus de 20 ans, cette association apporte, crée, construit, sur place, des hôpitaux ou des services d'hôpitaux de qualité occidentale, spécialisés dans l'assistance médico-chirurgicale aux victimes de la guerre, formant et intégrant du personnel local.

(2) qu’en Occident on aime désigner par les expressions « Force de paix », « Opérations de paix ». « Promotion de la paix »,  « Forza multinazionale di pace », « Peace enforcement », etc…

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Mardi 10 Octobre 2006, 08:02 dans la rubrique "Récits".