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Petit-déjeuner

L'aube à SoveratoPrendre son petit-déjeuner face la mer est un luxe que bien peu de personnes peuvent s’offrir tous les jours. Il ne faut pas manquer la moindre occasion, surtout le dimanche, quand la circulation dort et que les bruits sont étouffés. Allié au parfum d'un café fumant, au pot de lait qui frémit et aux tartines beurrées, c’est le cadeau d’un moment rare, où l’esprit encore libre des agressions journalières, peut errer sans but et faire une provision de beauté et de paix.

 

Après la pluie de cette nuit, ce matin tout était neuf. Les eucalyptus, plus verts, ondulaient doucement. Le ciel d’un bleu incertain était encore émaillé des nuages qu’on ne craint pas, doux, gonflés, étirés, effrangés, indolents. Et la mer était sage, pâle, à peine effleurée par une brise chétive. Seules quelques stries attestaient le récent passage d’une barque.

 

Barques… La voilà la surprise de ce matin! La mer était constellée de barques, comme rarement, comme si, en un accord secret, elles avaient attendu cette fin d’été pour se rassembler. Au premier plan je les distinguais nettement, un ou deux hommes à bord, puis, plus loin des taches de couleur, rouges, blanches mais aussi le bleu cobalt des barques traditionnelles, en bois. Et au fond, une myriade de  points, plus ou moins gros. Le paysage dégageait une impression d’immobilité dans le temps, et on aurait presque pu croire qu’il s’était véritablement arrêté si une nouvelle barque, arrivant de derrière les arbres, n’avait soudain traversé l’écran, sans bruit, pour une destination mystérieuse, avec la même régularité d’un objet virtuel.

 

Je les connais bien ces pêcheurs occasionnels de l’aube ou du crépuscule, ceux qui laissent leur barque près du rivage pendant tout l’été et qui hésitent même à les tirer plus à sec quand les mauvais jours arrivent. Ici, c’est une affaire d’hommes, seuls les touristes emmènent des femmes à la pêche. Quand ils les mettent à l’eau et les poussent en cadence, les faisant glisser sur des traverses de voie ferrée, ce n’est pas au poisson qu’ils pensent, mais au moment qui les attend. S’ils sont seuls, c’est un tête à tête avec la mer et avec eux-mêmes. Au fur et à mesure que la côte s’éloigne le cœur s’élargit, la respiration s’apaise, et l’accomplissement des gestes ancestraux, immuables dans le temps, instille au fond de la gorge une saveur d’éternité. S’ils sont deux, c’est un sentiment de complicité étroite né d’un amour commun, celui de la mer : on ne va pas à la pêche avec n’importe qui, on ne sort pas en mer avec quelqu’un qu’on n’aime pas. Et rejoint le lieu secret de la pêche miraculeuse, chacun s’assoit à une des extrémités de la barque et commence à préparer sa ligne, méticuleux, en silence. Seul fuse, de temps à autre, un mot d’esprit, auquel ne répond qu’un rire bref. Pour se comprendre, ils n’ont pas besoin d’explications ou de confidences, leurs pensées suivent le même parcours. Si le poisson mord, alors ils restent au même endroit. S’il est absent, ils se déplacent de cent mètres, puis une seconde fois, puis une troisième, mais sans énervement, sans anxiété. S’ils rentrent avec du poisson, la joie n’en sera que plus grande, c’est tout.

 

Le café est froid, le pot de lait est vide, le petit-déjeuner, dégusté lentement, est terminé. Le soleil déchire les nuages, la mer vire au gris, devient métallique, et les premières barques commencent à rentrer.

(photo)

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Dimanche 14 Septembre 2003, 14:03 dans la rubrique "Méditerranée".