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L’enveloppe-surprise de Madame Chreap

« Madame Chreap, 60 ans, d’une stature assez rare chez les Cambodgiens, fait partie de l'équipe de nettoyage de la salle d'opération. Elle travaille avec nous* depuis 1998, et, comme de nombreux habitants de ce pays, elle a eu une vie très dure sous le régime de Pol Pot. Dès ma première mission au Cambodge, ou plutôt dès ma première distribution de salaires, je me suis rendue compte qu’elle ne sait ni lire ni écrire...

 

...A chaque fois que le personnel national, bruyant et détendu, s’approchait du bureau où je distribuais les enveloppes de paie avec Mony, la comptable, Madame Chreap mettait un grand X sur la ligne correspondante. Cependant, à chaque "salary day", le 27 ou le 28 de chaque mois, son comportement ne cessait jamais de me surprendre : quand elle ouvrait son enveloppe, elle était plus ou moins contente de son contenu, comme si, à chaque fois, elle recevait un salaire différent.
Lors de la dernière distribution, Madame Chreap a trouvé le courage de venir me demander, par l’intermédiaire de Mony, si nous étions mécontents de son travail.
Grâce à la traduction de Mony, j’ai finalement compris : sa satisfaction ou son désappointement dépendait du nombre de billets qu’elle trouvait dans son enveloppe. Ce mois-ci, dans son enveloppe, nous avions mis un unique billet de 100 $ au lieu des 2, 6 ou 10 billets habituels. Ne sachant pas compter et recevant à chaque fois des coupures différentes, elle pensait que son salaire variait selon le degré de satisfaction que nous procurait son travail. Cette fois, cependant, elle avait eu l'impression que c’en était trop ! Un seul billet, cela signifiait qu’elle avait vraiment fait quelque chose de grave et elle n’arrivait pas à s’en faire une raison.

Face à ce malentendu, j’ai éclaté de rire et, dès qu’on lui a éclairci la situation, elle a ri elle aussi, surprise.

Il y a donc deux décisions urgentes que nous ne pouvons plus remettre à plus tard : nous allons mettre sur pied un cours d’alphabétisation pour ceux qui, parmi le personnel local, ne savent ni lire ni écrire, mais surtout, Mony va faire en sorte que les prochains salaires de Madame Chreap lui soient toujours payés avec des billets de 1 dollar.»

Sonia, "Giorno di salario al Centro chirurgico di Battambang"

(Traduction de l'italien ImpasseSud)

 


Ne savoir ni lire ni écrire, c’est, malheureusement, un fait encore assez courant dans cette partie du monde, mais en général, on pense volontiers que même les plus ignorants savent compter, surtout quand on touche un salaire depuis neuf ans et qu’on fait des achats journaliers ! Pour nous, il s'agit d'une sorte d'évidence. Mais pourquoi oublie-t-on que si dans un pays comme le Cambodge, un salaire en dollars est une aubaine du fait de sa stabilité, il est tout de suite sujet aux taux de change variables selon les coupures, les nécessités, l’urgence, l’honnêteté, etc. C’est ainsi que tout en recevant un salaire fixe, Madame Chreap a souvent eu l'impression de recevoir un salaire variable. Je me demande tout à coup combien d’évidences de ce genre ne le sont que parce qu’on a tout reçu au départ ?

 

*Emergency-Cambodge

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Ecrit par ImpasseSud, le Mercredi 30 Mai 2007, 14:46 dans la rubrique "Récits".