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Dans la cage à thons

En ces temps difficiles, chacun d’entre nous a déjà bien assez de chats à fouetter, mais là, c’en est vraiment trop, on ne peut pas faire semblant de rien ! Moi, j’en rêve la nuit. Comment peut-on laissé 27 naufragés aggripés à une cage à thons au centre de la Méditerranée pendant trente-six heures ? Comment peut-on leur refuser secours et asile, et tourner autour d’eux avec des avions et des hélicoptères seulement pour les filmer ? Et si j’avais été à leur place ? Et si vous y étiez ? Et que dire de la barcasse où étaient entassés 57 personnes et que Malte a laissé couler en intervenant délibérément avec six heures de retard malgré les SOS en provenance de plusieurs villes italiennes et même de l'Angleterre et plusieurs tours de reconnaissances ? Mais dans quel monde « occidental » et « civilisé » vivons-nous ?!! Comment a-t-on pu en arriver à une telle cruauté - car on ne peut plus parler d'indifférence -, et même à convertir en délit une loi aussi naturelle et aussi antique que le secours en mer ? La faute des Maltais, cette fois-ci ? Oui, mais pas seulement...

 

Car ce qui se passe presque journellement sur les côtes italiennes, espagnoles, grecques, marocaines, tunisiennes, mauritaniennes, libyennes, aux frontières de tous les pays de l’Union Européenne, dans les aéroports, dans les soi-disant centres d’accueil, dans les rafles et même à la sortie des écoles, avec les persécutions et les exploitations des sans-papiers, tout cela n’est pas joli-joli. Nous sommes tous concernés, et moi, j’ai envie de hurler. "Mon Dieu ! que me fait ce pays? Puisqu'il me rejette, considérons-le froidement, regardons-le perdre son honneur et sa vie", écrirait une fois encore Irène Némirovsky. Aujourd’hui, le pays, c’est l’Union Européenne, et ceux qu’on rejette, ce sont des hommes et des femmes désespérés, ceux pour qui l’Occident a jugé nécessaire d'écrire, il y a bientôt soixante ans, la « déclaration universelle des droits de l’homme ». Mais peut-on encore espérer un peu d’humanité d’une Europe où les pauvres et la classe moyenne votent désormais pour les riches et les racistes ? J’aurais aimé avoir écrit l’article suivant, à propos de la récupération de 18 cadavres cette fois-ci :

 

« Au prochain séminaire de luxe sur les racines chrétiennes de l’Europe, il faudrait qu’on mette, en première file, 21* chaises vides. Auraient pu s’y asseoir les vingt-et-un êtres humains noyés l’autre jour au sud de Malte, sur lesquels la vieille Europe a construit un émouvant numéro de cirque. Malte n’en voulait pas quand ils étaient vivants et elle n’en a pas voulu après qu’ils soient morts, la Libye n’en voulait pas (même morts, c’est le cas de le dire). A la fin, c’est la France qui les a emportés chez elle, sur le navire militaire qui les a trouvés et repêchés.

Nous ne voulons pas d'eux, ni vivants, ni morts : cela est suffisant pour mettre le doigt sur les véritables notes douloureuses et céder un peu à la pitié, qui passerait immédiatement à la rhétorique. Cependant, le fait est que ces 21 cadavres flottants dont personne ne voulait sont bien peu de choses. Plus de 9.000 personnes sont mortes en mer durant ces vingt dernières années en essayant d’atteindre l’Europe, et la moitié des cadavres n’a jamais été retrouvée. Il s’agit de spectres, et quand on les trouve, comme le démontre le repêchage de l’autre jour, ils deviennent un problème.

Que les hommes politiques et les économistes fassent donc leurs calculs élaborés, pour voir, par exemple, si le fait d’accepter que des milliers de morts flottent autour de nous est un prix acceptable, le prix à payer aux inégalités du développement et au fameux « marché ». Que les historiens fassent leurs comptes, en gros, pour voir combien de temps il faut pour qu’une catastrophe devienne une extermination en masse, et s’il s’agit d’un prix acceptable pour notre teneur de vie, même moral. Ensuite qu’ils viennent nous le dire.

En attendant, le ballet autour des 21 cadavres de l’autre jour, les photos des bateaux de pêche qui traînent des hommes au milieu des thons ou les bulletins de noyades quotidiennes en disent bien plus long sur l’Europe que mille beaux discours.

Eux aussi, morts ou dispersés, font partie du coût de la politique (sujet « à la page » [en Italie, NdT]), mais personne n’a l’air de s’en soucier plus que cela. Sans doute parce qu’il s’agit d’un coût mort et flottant. Ou peut-être parce qu’ils ne représentent aucun coût tant qu’il ne faut ni les récupérer ni les enterrer. Toutes choses que, j’en suis tout à fait conscient, ces 21-là expliqueraient beaucoup mieux, de leurs 21 chaises vides, à la prochaines cérémonie européenne en grande pompe.

Alessandro Robecchi « Corto maltese », Il Manifesto du 3 juin 2007
Traduction de l'italien par ImpasseSud

 


La question n’est pas facile, je le sais, mais encore faudrait-il, un jour, se décider à l’affronter d’une façon « honnête ». En attendant, moi, dans la cage à thons, j’y mettrais tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, tirent profit de cette situation. 



* En un premier temps, l'agence de presse italienne ANSA avait parlé de 21 cadavres.


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Ecrit par ImpasseSud, le Mercredi 6 Juin 2007, 17:10 dans la rubrique "Actualité".

Commentaires et Mises à jour :

jojo
07-06-07 à 12:44

C'est sûr qu'on peut faire les comptes pour savoir s'il s'agit d'un génocide ou pas, mais surtout... comment peut-on moralement accepter de vivre dans une société qui laisse mourir des êtres humains de façon délibérée??
Je crois que tout simplement beaucoup de gens ne voient pas ces désespérés comme des être humains, mais plutôt comme une menace.

 
ImpasseSud
07-06-07 à 15:20

Re:

Une menace ? Comment pourrait-il en être autrement vu la politque néolibéraliste du moment ? Il n'y a pas que les immigrés qui sont une menace, mais les pauvres, les salariés, les retraités, les jeunes diplômés à la recherche d'un emploi, , etc... en fait tous ceux qui, autochtones ou immigrés, ne sont pas assez riches pour suppléer personnellement à tous leurs besoins, osent prétendre des emplois en règle et correctement rémunérés, demander à leurs gouvernants de faire en sorte qu'ils puissent se construire une vie ou simplement arriver à la fin du mois, osent avoir recours aux structures publiques et prétendre qu'elles fonctionnent, osent réclamer des logements, osent désirer de l'espoir pour leurs enfants, etc...
Que de prétentions par les temps qui courent, alors qu'au contraire, on fait tout le nécessaire pour réduire les emplois, déstructurer le système-pays, grignoter tous les acquits sécuritaires d'un demi-siècle et vous pousser sous de faux prétextes vers un retour à la précariété ! 

Quant aux immigrés, on fait croire au gens qu'on s'en occupe, mais on s'en moque littéralement. Les seuls programmes qu'on est capables d'élaborer sont des programmes de répression ou de tolérance zéro. En plus, ici, c'est vraiment n'importe quoi. Un jour on interdit tout, on sert la vis, on retarde le renouvellement de leurs permis de séjour à ceux qui ont un emploi et mènent une vie honnête, on crée des queues d'une démesure spectaculairement honteuse, mais on fait en sorte que les clandestins puissent rester clandestins (as-tu lu ceci et cela ?), encourageant ainsi la malhonnêteté, et laissant les mains libres à la pègre et à la délinquance. Puis un beau matin on fait du permis de séjour pour tout le monde : es-tu au courant de cette décision de Giulio Amato ? (A lire jusqu'au bout, ça vaut la peine !!!). Dans ces conditions non seulement les gens sont mécontents, mais il s'en suit obligatoirement une augmentation des injustices et de l'insécurité. Le truc, c'est de faire en sorte que les gens en rejetent la faute sur l'étranger, de le transformer en cause de tous nos malheurs et en bouc émissaire, et nos médias sont de véritables spécialistes en la matière. Ensuite, il ne reste plus qu'à avoir recours aux nationalismes et aux appartenances religieuses, et à brandir des drapeaux ! Un système vieux comme le monde, somme toute.

La seule autorité que je connaisse qui, à mon avis, ait fait un effort honnête et judicieux pour chercher une solution, c'est le maire de Bologne, Sergio Cofferati (j'en ai parlé ici). Mais la gauche lui est immédiatement tombée dessus !!!


 
sarah-k
10-06-07 à 09:15

La cage à thons

Je ne vais rien ajouter, tu as dit l'essentiel !
Je retiens la phrase du capitaine qui pourrait aujourd'hui être une nouvelle devise : "On n'échange pas 1 million de dollars contre un million de problèmes"


 
ImpasseSud
10-06-07 à 09:39

Re: La cage à thons

Elle est tout à fait emblématique, hélas!
Ce n'est pas le capitaine qui l'aurait dit, mais l'armateur. En tout cas, en Italie, depuis quelques années (2003 ? il faudrait que je fasse des recherches), si le capitaine d'un bateau de pêche porte secours et repêche des naufragés, les ramenant ensuite en Italie pour qu'on prenne soin d'eux, il risque d'être formellement accusé de connivence avec l'immigration clandestine.

 
sarah-k
15-01-08 à 09:33

Pour contrer l'horreur

Tu sais à quoi, ça me fait penser, au poème de Primo Lévi

 
ImpasseSud
15-01-08 à 11:23

Re: Pour contrer l'horreur

C'est bien ça : on devrait l'apprendre par coeur à l'école primaire, puis la reprendre au collège. Ça finirait peut-être par entrer dans tous les esprits.