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Abbé Mugnier (Journal de l' 1879-1939)

Ce Journal d’un extrême intérêt n’est en réalité qu’une sélection. « Ce n’est probablement pas, dans sa totalité, celui qu’aurait retenu l’abbé », écrit Marcel Billot dans un avertissement initial. « Plus qu’il ne l’aurait sans doute fait, nous nous sommes attachés à mettre en relief sa personnalité – particulièrement le jeune prêtre dont la justesse de vue, aujourd’hui avérée, porte témoignage sur l’Eglise de France à la fin du XIXe siècle. (…) Et si nous avons fait la part belle à ses rencontres, à ses amitiés littéraires, c’est qu’elles ont été la passion de sa vie et que par lui nous entendons « en direct » ce que disaient Huysmans, Barrès, Proust, Valéry, Cocteau et tant d’autres… et ce qu’on disait d’eux ». Soixante ans de témoignage, de 1879 jusqu’à ce que la cécité ne l’interrompe, en 1939, avec la France en toile de fond, sa vie politique, son évolution religieuse et sociale et ses guerres qu’on vit ou prépare, il s’agit d’un livre vraiment passionnant.

 

L'abbé Mugnier (1853-1944) est donc un abbé peu commun, devenu prêtre sans en avoir la vocation, poussé par une mère pieuse qui croyait lui procurer « la paix » tout en lui ayant fait découvrir Chateaubriand et Georges Sand, mais qui, sincèrement croyant et religieux, se résigne au sacerdoce malgré la tristesse qui l’habite :
22 septembre 1916 : Mon genre de tristesse, au sortir du séminaire et même pendant, n’était pas le même [celui du René de Chateaubriand]. Je n’étais pas dégoûté de la vie. Je souffrais plutôt de ne pas la connaître, de ne pas avoir été mis sur la vraie voie, d’être déjà dispersé, envolé, sans but qui accapare toutes mes facultés. De grands désirs de vie intellectuelle, littéraire, et tous combattus plus ou moins : 1° par les scrupules qui m’empêchaient de penser, de lire, 2° par une instruction insuffisante, sous tous les rapports. Ajoutez à cela le cœur qui voulait s’attacher, aimer ; un certain goût du succès, un besoin d’être distingué par mes maîtres, mes confrères..

Cependant, il accomplit ponctuellment ses fonctions de vicaire dans deux paroisses chic de St Germain des Prés où il avoue « crever de solitude morale », mais la grande indulgence dont il fait preuve avec les humbles et les domestiques, finit par lui amener les maîtres et faire de lui « le confesseur des duchesses ». Ses conférences et prêches ont un certain succès, mais l’ouverture d’esprit qui est sa principale caractéristique ne rencontre pas souvent l’approbation de ses supérieurs qui, après l'avoir envoyé en exil pendant près d'un an finissent par le reléguer comme aumônier au couvent des soeurs de Saint-Joseph-de-Cluny, rue Méchain. Toutefois, cela l’éloigne des sacristies où règne Harpagon, du catéchisme enseigné sans enthousiasme, de la bêtise des dévots et de la vulgarité décorée, sans parler du confessionnal, « cette sorte de terrier », lui laissant plus de temps, même celui de prendre parfois des vacances et de voyager.

Peu à peu, de par la gentillesse, la discrétion et l’esprit parfois ironique toujours dénué de méchanceté dont il fait preuve, on l’invite à tous les goûters et dîners littéraires, dans tous les salons, où il se présente invariablement avec ses gros souliers carrés et sa soutane verdâtre et élimée. Il y connaît Huysmans qu’il finit par convertir, Cosima Wagner, Nietzsche et Picasso, Anatole France, Anna de Noailles, Cocteau, Mauriac, Lucien Descaves et tous les Daudet (il n’aimait pas Léon), Francis Jammes, Proust, Barrès, D'Annunzio, Aristide Briand, Pierre Loti, Céline, Marie Laurencin, Valéry, Gide, les Maritain, Bergson, Giraudoux, Léautaud, Colette, etc. Il est le témoin de leur talent mais aussi de leurs amours et de leurs vices. Car...

 

Voilà un abbé qui ne se perd pas en pudibonderies. « Sa curiosité s’appliquait aussi aux mœurs, aux histoires de cul* (la main baladeuse de Rodin que les femmes trouvaient sur les chaises où elles allaient s’asseoir), aux adultères (la liaison orageuse de Barrès et d’Anna de Noailles), aux pratiques des « sodomistes » à toutes les formes des amours humaines dont il recueillait, au confessionnal ou au dessert, les confidences scabreuses ou désespérées, les récits sulfureux (ceux de Forain décrivant les bordels d’homme, par exemple) ou les vrais chagrins (comme celui de Cocteau à la mort de Radiguet) » peut-on lire ici. Le 18 mai 1916, l'abbé Mugnier écrit : « Je crois que l'instinct sexuel est l'explication de tout, puisque tout en vient. La psychologie doit sortir de là, de cette double étreinte. Mais qui donc approfondit nos origines ? La sotte pudeur ou la sotte luxure empêchent toute étude sérieuse ».

Voilà un abbé qui ne comprend pas qu’on encourage les catholiques à l’antisémitisme, à la haine et au fanatisme dans l’affaire Dreyfus tout d’abord, puis au sein de l’Action Française.

Voilà un abbé qui à propos de la séparation de l’Eglise et de l’Etat (1905) réprouve l’anticléricalisme de Combes, mais qui, le 17 juillet 1904 écrit : « Combes fait fermer je ne sais combien d’écoles, de pensions, tenues par des frères, des sœurs, et d’autre congréganistes. Le Sacré-Cœur, Les Oiseaux, Sion, etc. Tout s’en va. Fin d’un monde ! Mais ce monde avait-il vraiment été fécond ? ». Le bellicisme catholique qui s’en suit lui est désagréable tout comme le durcissement des formes et des dogmes toujours plus éloignés de l’essence de l’Evangile.

29 juillet 1914 : Toujours plus que jamais des bruits de guerre. Hier je me suis endormi difficilement, l’imagination reprise par les souvenirs de 1870. Reverrons-nous ces temps lugubres ? Qu’est-ce que le clergé a fait depuis pour rapprocher les individus et les peuples ? Rien. Toujours l’aigre rappel des principes, l’esprit combatif, une religion faite pour les cloîtrés, et en même temps des manifestations qui remplacent la vie intérieure, tout le "Génie du Christianisme" ramené au Sacré-Cœur, à l’Eucharistie, à Lourdes, au pape. Aucune main tendue à l’incroyant. Des anathèmes faciles, obstinés. La charité oubliée. Rien d’élevé, de généreux. Le zèle dans le rite, dans la sacristie. Je ne regrette pas d’être étranger maintenant à cette administration sans génie ni entrailles.

Voilà un abbé qui dénonce l’immoralité de la guerre :

11 août 1914 : On est si sévère contre l’homicide – non occides ! Et puis, on trouve tout naturel de tuer des milliers de personnes ! Oui, mais c’est pour une juste cause. Il n’y a pas une cause assez juste pour vouloir tant de sang répandu. Ah ! comme on fait bon marché de la morale, quand on le veut ! Et vos congrès eucharistiques ont-ils rapproché les peuples ? Ils ont lieu à Vienne, en Allemagne, en Angleterre, en France. La religion et la vie suivent des marches parallèles. Jamais ou presque jamais de confluent !

Voilà un abbé qui…. aime la nature, les voyages, a le culte de l'amitié, sait se tenir à table et apprécier la délicatesse des mets, a un immense don d'observation et ne perd pas de vue la politique sociale, dénonce l'usage du latin à l'église et l'excès des cérémonies, est dénué de préjugés et à qui on reproche de trop comprendre l'humanité et de ne pas donner assez de poids au surnaturel, etc. 

 


Au-delà de l’énorme intérêt littéraire, il y en a vraiment pour tout le monde. Ce qui fait que je ne suis pas du tout satisfaite de ma présentation, qui est loin d'être exhaustive. Vu l'ampleur du personnage, est-il possible de l'être ? Mais il me fallait absolument signaler ce livre dont la lecture est, en plus, d’un grand réconfort pour tous ceux qui l’abordent. La dernière page tournée (après 633 pages avec notes et références qui permettent toujours de s'y retrouver et de combler ses propres lacunes), on en voudrait encore. En outre, on se sent plus indulgent, plus tolérant, comme si, au milieu des difficulté de la vie, on avait approché l'être humain dans ce qu’il a de meilleur. Car même s’il ne cesse de répéter que « tout est manqué sur cette terre », l’abbé Mugnier conclut sa dernière note, celle du 27 novembre 1939 alors qu’on lui fête ses 86 ans, par cette phrase : « L’enthousiasme a été le meilleur de ma vie ».   

 

Un des plus beaux livres que j'ai lus récemment. A lire pour le plus grand plaisir de l'esprit.

 

* Ici, j'ai repris l'intégrité de la citation pour son contenu ciblé, mais pour autant que je m'en souvienne, l'expression "histoires de cul" ne fait pas partie du vocabulaire de l'abbé. 

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Jeudi 27 Septembre 2007, 16:32 dans la rubrique "J'ai lu".