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« Une fois que tu es né », Marco Tullio Giordana (2005)
--> Titre original « Quando sei nato non puoi più nasconderti »

« Une fois que tu es né tu ne peux plus te cacher » explique Marco Tullio Giordana, « est vraiment, comme on le dit dans le film, un nom de famille africain. Là-bas, on a pour habitude de donner des concepts comme noms de famille. Et c’est le nom réel d’un clandestin que j’ai rencontré et interviewé ».  

 

A une époque comme la nôtre, faite d’immigration de masse, de démagogie et de stéréotypes qui alimentent peurs et incompréhensions, de films pour la télévision pleins de caricatures grossières ; en cette période où nos hommes politiques mais aussi bonne partie des gens désignent volontiers les immigrés comme les fauteurs de tous nos maux, où le Parlement européen vote des lois scélérates comme la directive retour, où en France on s’enorgueillit du forcing à l’expulsion tout en montrant du doigt l’Italie qui prend les empreintes digitales des enfants Rom, lundi dernier sur RAI Uno et à ma grande surprise vu le conformisme éhonté des médias italiens, on a passé ce film de Marco Tullio Giordana (en concours au Festival de Cannes 2005), réalisateur de « Les cent pas », « Nos meilleures années », etc., et dont le grand talent n’est plus à démontrer. Des immigrés invisibles, c’est ce que beaucoup d’Occidentaux voudraient, mais voilà, une fois que tu es né, non seulement tu ne peux plus te cacher, mais il te faut trouver le moyen de vivre, même quand les plus nantis font tout pour t’en empêcher.
Un film comme celui de Marco Tullio Giordana est sans doute nécessaire, dans la mesure où, sans être un film à thèse (1), il réussit à prendre la température de notre perception du phénomène-immigration, et à enregistrer les modifications de nos comportements ainsi que la position qui est la nôtre dans le monde neuf et différent dans lequel nous vivons.

Que ce film ait eu cette intention au départ (dans le cadre d’un cinéma social) et qu’il ait eu l’effet escompté, à chacun d'en juger. En attendant, en voici la trame. (2)

 

Librement inspiré du livre-enquête de Maria Pace Ottieri, journaliste et écrivaine, l’idée narratrice de fond est louable : elle nous montre l’Italie d’aujourd’hui, avec la présence des immigrés au travail, dans les écoles et dans la société, à travers les yeux « innocents » d’un adolescent de douze ans, assez grand pour vouloir comprendre mais pas encore assez pour être pris aux pièges des schémas mentaux des adultes.

Sandro (Matteo Gadola) habite à Brescia, au coeur de l’Italie prospère. Son père a une entreprise où travaille également sa mère, et, au sein d’une famille aimante, il est habitué à une certaine aisance et à un certain bien-être qui incluent des étrangers comme les ouvriers de son père et ses camarades d’écoles. Chez lui, ceux-ci suscitent une curiosité sincère, typique de son âge, mais ce qu’il partage avec eux tout en acceptant le mystère de leur diversité, ce sont surtout des espaces et des activités. Jusqu’à ce qu’une nuit, en croisière en Méditerranée avec son père et un ami de celui-ci, il tombe à la mer sans que ceux-ci s’en aperçoivent immédiatement, et qu’après de longues heures de désespoir, il soit recueilli par une barcasse pleine d’immigrés clandestins en route vers un monde qu'ils croient meilleur, sur laquelle il est obligé de feindre d’être étranger de peur que les « scafisti » (nom donné en Italie aux passeurs de la Méditerranée), laids, sales et méchants, n'aient l’idée de le séquestrer et de demander une rançon à sa famille. Il s’éprend d’amitié pour deux jeunes Roumains, frère et sœur, Radu (qui l’a sauvé de la noyade) et Alina (petite Lolita déjà consciente des pouvoirs de son corps), et avec eux il partage la soif, la fatigue, la promiscuité et la solidarité. L’odyssée de cette petite arche de Noé comble d'espèces humaines se termine dans un CPT (Centre de Permanence Temporaire) des Pouilles. Sandro retrouve ses parents qui pleuraient sa mort et il réussit à les convaincre à essayer d’obtenir que les deux jeunes Roumains soient placés chez eux, dans le but d’une adoption future. 

Mais tout s'achève comme dans les chroniques auxquelles nous sommes habituées : Alina finit comme prostituée-baby dans une usine désaffectée de la périphérie de Milan transformée en tour de Babel pour parias ; Radu (sans doute le souteneur d’Alina, sans doute sans être son frère) poursuit sa carrière de voleur et de fugitif ; et Sandro, devenu homme prématurément dans un terre du milieu, réfractaire aux préjudices des grands parce qu’il a partagé le calvaire des “autres” mais impuissant face aux choix, au destin et à l’éthique de ceux qu’il croyait ses amis au-delà de toutes barrières, découvre qu’ils ne sont pas comme lui et ne peuvent pas vivre comme lui.

 

 

Pour moi qui, au sud de l'Italie, suis presque tous les jours confrontée à ces débarquements d’immigrés avec tous les drames que cela implique souvent, voilà un film qui n’a pas tenu ses promesses. Mais que pouvais-je donc bien en espérer !? Malgré quelques scènes bien réussies (comme celle où Alina-la-prostituée parle à Sandro à travers la chanson « Un’emozione per sempre » (Une émotion éternelle) d’Eros Ramazzoti, dont le texte banal prend le ton d'une confession déchirante, et l’équilibre délicat entre réalisme et intimisme, malheureusement il ne va pas au-delà de l’incapacité des intellectuels mais aussi de nous tous à comprendre les transformations sociales et psychologiques que nous sommes en train de vivre. Dans cette optique, l’idée de prendre un enfant comme pivot du film, - qui devait le protéger de la rhétorique commode, du bonnisme de gauche, et offrir une approche vierge sur la question –, se révèle un artifice d’écriture, car il tombe quand même dans les clichés qu’il voulait éviter (les Roumains sont des voleurs et des souteneurs, les noirs sont des travailleurs) et déclare même sa faillite dans un final ouvert qui complique les questions auxquelles il ne sait pas répondre. S’agit-il du reflet de la complexité des temps présents ? Non, c’est plus sûrement la radiographie involontaire de notre manque de préparation face à cette complexité. Restent la distance, le mystère intact de la diversité et nous, qui, tout comme Sandro, nous retrouvons face aux doutes et aux peurs que la rencontre avec « ces autres » fait naître sans les résoudre. Ce film englobe toutes nos limites, mais est-ce une qualité ?

 

A voir, ne serait-ce que parce qu’il est émouvant et sans lourdeurs ; pour la terrible odyssée en mer, en été et par mer calme (qu'on se l'imagine en hiver et au milieu d'une tempête!), tout en sachant que les centres d’accueils d’aujourd’hui sont beaucoup moins rutilants ; pour saluer le courage de Marco Tullio Giordana car dans une société conformiste comme la nôtre il faut du courage pour aborder sans détours et sans partis pris le problème de l’immigration ; et, pour finir, pour ne pas oublier qu'à ce nouveau monde, il faudra nous y faire, que nous le voulions ou non.



(1) Le 6 mai 2005 Marco Tullio Giordana déclarait au quotidien Il Corriere della SeraNon è un film a tesi sul problema multietnico, voglio capire le ragioni dei singoli. Onesti o truffatori, egoisti o volonterosi, morali o amorali, bisogna conoscere l'epopea di questa gente, ascoltare quello che vogliono raccontarci e pensare che un giorno saranno loro a raccontare noi. Togliamoci le maschere, siamo un Paese che nel '900 ha avuto 60 milioni di emigranti» (Il ne s'agit pas d'un film à thèse sur le problème de la multiethnicité, je veux comprendre les raisons des individus. Qu'on soit honnêtes ou arnaqueurs, égoïstes ou pleins de bonne volonté, moraux ou sans morale, il faut connaître l'épopée de ces gens-là, écouter ce qu'il veulent nous raconter, et penser qu'un jour ce seront eux qui raconteront ce que nous étions. Bas les masques, nous appartenons à un pays [l'Italie. NdT] qui au XXe siècle a eu 60 millions d'émigrés).

(2) Ici, j'ai en partie récupéré et traduit une critique italienne qui serre de près le sujet sans s'en éloigner ni extrapoler.

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Jeudi 31 Juillet 2008, 17:30 dans la rubrique "J'ai vu".