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« Mediterraneo », Gabriele Salvatores (1991)
--> “Dedicato a tutti quelli che stanno scappando” (dédié à tous ceux qui ont pris la décision de fuir)

Ce film (bande-annonce) raconte l'histoire de huit militaires italiens qui, au printemps 1941, durant la Seconde guerre mondiale, reçoivent l’ordre de reprendre possession, dans la Mer Egée, de l’île grecque de Syrna, italienne depuis 1920 et depuis peu abandonnée par les Allemands. Ils y débarquent avec prudence d’un petit bateau de guerre, sans trouver aucune résistance : l’île semble déserte. Ces huit hommes sont un échantillonnage pittoresque de braves garçons, inaptes à la guerre : le lieutenant Montini qui en assume le commandement est perdu dans ses rêves de poésie et de peinture, perdu dans le souvenir d’Homère ; son intendant, Farina, timide et « signorsì » ; le muletier Strazzabosco, uniquement concentré sur sa mule boiteuse au pelage miteux, mais pour laquelle il se ferait tuer ; l’homme-radio Colasanti, totalement inepte ; les deux frères Libero et Felice Munaron, deux nostalgiques de leurs Alpes natales qu’ils n’avaient jamais quittées auparavant ; Novanta, qui ne pense qu’à une seule chose, s’enfuir ; le sergent Lo Russo (Diego Abatantuono), le seul qui ait des velléités militaires, largement parsemées de sorties hilarantes.

Dans l’île déserte, il ne se passe rien pendant plusieurs jours, les huit hommes finissent par avoir l’impression qu’on les ignore et qu’ils sont inutiles. Mais quand le bateau coule et que la radio tombe en panne suite à l’incurie de Colasanti, ils sont carrément abandonnés à leur sort.

Mais voici que les rares habitants réapparaissent : vieillards, femmes, enfants et un pope orthodoxe, tous les hommes ayant été déportés par les Allemands. Convaincus que ces nouveaux occupants ne représentent aucun danger, ils sympathisent.

C’est ainsi que le lieutenant Montini finit par s’adonner à ce qu’il aime, occupant ses journées à la « restauration » des fresques de la petite église de l’île ; les deux frères montagnards mis de garde sur les hauteurs de l’île pour contrôler la mer, s’entichent d’une petite bergère, et le peloton tout entier trouve, chacun à son tour, un passetemps fugace avec Vassilissa, la prostituée de l’endroit venue d’elle-même proposer ses services. Intégrés sans s’en rendre compte, ils finissent même par se laisser voler leurs armes par un Turc de passage, par déposer l’uniforme et endosser les vêtements locaux.

Vu que la mère-patrie les a oubliés, ils font leurs les rythmes de l’île, jusqu’à ce qu’en 1944, trois ans plus tard, un avion de reconnaissance en avarie atterrisse à Syrna et que le pilote les informe que la guerre est finie. Dès que la présence du groupe est signalée au commandement, un navire anglais vient les prendre pour les rapatrier, ramenant en même temps dans l'île les hommes déportés. Personne ne semble content, sauf Lo Russo, Novanta ayant réussi à fuir avec une barque à rames. Farina qui entre temps a épousé Vassilissa, décide de déserter et de rester.

Bien des années plus tard Montini retourne dans l’île devenue touristique pour y retrouver Farina, veuf et vieilli, et…. Lo Russo qui, déçu par l’Italie de l'après-guerre, s’est lui aussi retiré à Syrna.

 

 

« Mediterraneo », voilà un nom que tous ceux qui habitent sur ses rives aiment murmurer parce qu’ils en connaissent la saveur, la douceur, les couleurs, la mémoire, les tentations. Les mêmes tentations et désirs que connut Ulysse : la douceur de l’oubli, la tiédeur calme du soleil qui exalte les parfums du maquis au rythme du chant des cigales, la suspension dans le temps, la fuite loin de Pénélope et de l’évidence qu’elle représente : fuite du sérieux des gens engagés, fuite de la stupidité de ceux qui sont dynamiques, fuite du cynisme des mentors, fuite de la vulgarité des profiteurs de bonne ou de mauvaise foi. Ici c’est de la maturité qu’on trouve, de la mesure, de la profondeur, de la « légèreté ». C’est de cela dont parle le film de Gabriele Salvatores, dans une comédie qui fait rire et sourire et où on se reconnaît souvent.

Car le contexte de la seconde guerre mondiale en Grèce n’est qu’apparent. La guerre non combattue de nos huit hommes n’est qu’un prétexte, ou une métaphore, qui consent à Salvatores de tracer, selon son habitude, le portrait d’un groupe en extérieur tout en étudiant cet échantillonnage humain dans une situation close (comme, paraît-il, dans Marrakech Express et Turné que je n’ai pas vus), d’en observer les transformations réciproques, et, dans le cas présent, de tisser au grand jour l’éloge de la fuite, cet éloge énoncé par Henri Laborit dans la phrase qui accompagne le film « Quando il tempo diventa davvero duro, il veliero ha una sola possibilità: la fuga. Fuggire il tempo permette di salvare barca ed equipaggio, ma anche, forse, di scoprire terre nuove, lontano dalle rotte falsamente sicure delle crociere e dei mercantili» (1) », répétée dans la dédicasse finale : « Dedicato a tutti quelli che stanno scappando ».

 

Dédicace qui a une étrange résonnance en ce temps de guerre, il s’agit presque d’une provocation, mais celle-ci traduit bien l’utopie de Mediterraneo. Les incidents de la vie des huit Italiens dans l’île – du dépaysement et de la nostalgie à la parfaite intégration dans une communauté que seule la politique a décrété ennemie, à la découverte de soi-même et à la réalisation, en ton mineur mais heureux, des propres désirs, ont été choisis par Vincenzo Monteleone, auteur du sujet et du scénario, sans jamais perdre de vue l’utopie et les rêves de sa génération : le refus de voir des ennemis là où les règles du jeu voudraient l’imposer, le désir de prendre ses distances d’une bataille dans laquelle il ne se retrouve pas, l’espérance de réussir à bien vivre aux rythmes minimes de la survie.

« Les Turcs sont avec nous ou contre nous ? », c’est la première question que ces Italiens se posent en débarquant dans l’île. Et quand, après trois ans hors du monde, le petit peloton désormais complètement démilitarisé découvre que les ennemis d’hier sont les amis d’aujourd’hui, que ça ne valait pas la peine de s’agiter et qu’il y a désormais de gros intérêts en jeu où on peut gagner beaucoup d’argent, comment peut-on être surpris si trois des anciens soldats choisissent Syrna ?

 

Dans ce film tout est beau, enchanteur, y compris la musique ! Il mérite vraiment le Prix Oscar du meilleur film étranger reçu en 1992 et a été couronné par de nombreux autres prix. Pour moi en tout cas, il a rejoint la tête de liste de mes films préférés. Malheureusement, vous ne pourrez pas le voir en français. Pour ceux qui auraient la possibilité de le voir en DVD, en VO sous-titrée en anglais, évitez la version tronquée (85’ au lieu de 104’). En Italie cette décision arbitraire de l’éditeur a déclenché un tollé généralisé.


 

(1) Texte original : « Quand il ne peut plus lutter contre le vent et la mer pour poursuivre sa route, il y a deux allures que peut encore prendre un voilier : la cape (le foc bordé à contre et la barre dessous) le soumet à la dérive du vent et de la mer, et la fuite devant la tempête en épaulant la lame sur l’arrière avec un minimum de toile. La fuite reste souvent, loin des côtes, la seule façon de sauver le bateau et son équipage. Elle permet aussi de découvrir des rivages inconnus qui surgiront à l’horizon des calmes retrouvés. Rivages inconnus qu’ignoreront toujours ceux qui ont la chance apparente de pouvoir suivre la route des cargos et des tankers, la route sans imprévu imposée par les compagnies de transport maritime.
Vous connaissez sans doute un voilier nommé «Désir». (Avant-propos de l'
Eloge de la fuite)

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Ecrit par ImpasseSud, le Mercredi 20 Août 2008, 17:48 dans la rubrique "J'ai vu".

Commentaires et Mises à jour :

JvH
20-08-08 à 19:09

Ah, Mediterraneo... je crois que je suis heureuse d'avoir appris l'italien rien que pour le bonheur de voir ce film en version originale! Je ne me lasse pas de le voir et de le revoir. 

 
ImpasseSud
21-08-08 à 07:40

Re:

Quand je pense que je ne l'avais pas encore vu.... Il est passé sur La7 lundi dernier. Cecchi Gori s'est décidé à sortir une nouvelle édition DVD, intégrale cette fois, et je crois que je vais le commander.