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Du côté de la Guadeloupe (3) : entre responsabilités et incompréhension de l’Etat
--> Fait suite à Du côté de la Guadeloupe (1) et (2)

D’après les commentaires que je lis ici et là, je ne suis pas tout à fait sûre que ceux qui les font, d’une part, sont véritablement au courant de toutes les causes qui ont déclenché, le 20 janvier dernier, le mouvement de grève en Guadeloupe, et, de l’autre, aient écouté, en entier, le discours que Nicolas Sarkozy a tenu sur RFO, à noter, pas sur l’ensemble des chaînes nationales ! Pour ma part, en Guadeloupe, j’ai quelqu’un de très cher qui me raconte la vie sur place depuis plusieurs années (Lire 1-2). Alors quand on associe cette grève à la crise économique internationale, ...

 

... cela dénote soit qu’on ne sait pas de quoi on parle, soit qu’on n'a vraiment rien compris à ce qui se passe dans les DOM, soit qu’on a l’intention de faire du boniment. Personnellement, le discours de Nicolas Sarkozy, je l’ai suivi du début à la fin. Et vu qu’il est arrivé en retard sur l’horaire prévu, j’ai même suivi toutes les discussions qui ont eu lieu dans les studios de RFO à Paris, avant l’intervention, entre le maire UMP du Raincy (Seine-Saint-Denis), seul blanc de l’assemblée, et un certain nombre de Guadeloupéens représentatifs en métropole ou de passage, (élus, radio, associations, spectacle, etc.) qui attendaient tous, encore plus que la résolution des problèmes de vie chère, une reconnaissance identitaire sur un plan d’égalité avec les Français de métropole. Alors, dans cette optique et du fin fond de l'Italie, voici ce qui m'a frappée tout au long de mon écoute  :

1)     Le fait que ce discours ne soit retransmis en direct que sur RFO (apparemment pour que l’Hexagone n’aille surtout pas se mettre des idées en tête ?), alors que la veille au soir dans un discours à la nation, Sarkozy avait pratiquement passé sous silence les questions de l’Outre-mer, confirme une fois de plus qu’en France il y a deux sortes de citoyens, que les populations locales des DOM appartiennent à la seconde zone, et que, bien que "départements", leurs problèmes ne regardent qu’eux-mêmes et non pas la France toute entière.

2)     Le « Chers compatriotes », ne peut que sonner faux après un mois de silence du Président de la République et de la Ministre à l’Outremer, et après l’envoi tardif d’un sous-secrétaire, Yves Jégo, précipitamment rappelé à Paris pour désavouer les premiers accords.

3)     L’entrée en matière appuyée sur la violence de ces derniers jours, a presque quelque chose d’insultant pour le collectif LKP (Liyannaj kont Pwofitasyon, regroupe 49 syndicats, associations et orgnanisations politiques, culturelles, sportives ) qui, - chose absolument admirable et qu’on devrait montrer en exemple -, a réussi, dans la cohésion, à éviter tous les débordements du 20 janvier au 16 février, malgré les ruptures des négociations et l'exaspération des jeunes (45% de chômeurs) frustrés dans toutes leurs aspirations. Si la grève s'est durcie, c'est suite au départ d'Yves Jego, et si les désordres ont commencé le 16 février, c’est suite aux provocations des forces de l’ordre qui, au-delà du contrôle des barrages, ont tabassé un chef syndicaliste et procédé à près de 40 interpellations. Un mort par balle, hélas, a suivi le 18 février. Mais même si la personne qui a tiré (en Guadeloupe on demande avec force une enquête approfondie) n’est rien d’autre qu’un assassin, le gouvernement ne peut en aucun cas nier sa part de responsabilité puisque, une fois de plus, il a délibérément laissé pourrir la situation. Lancer des accusations en-veux-tu-en-voilà sur des points d'interrogation (il ne manquait que la larme à l'oeil), j'ai trouvé cela particulièrement indécent. C’est la raison pour laquelle je m’associe à la protestation de La Ligue des Droits de l’Homme.

4)     Le ton du Président : bien que dans son discours il ait nié toute intention paternaliste, il avait un je ne sais quoi de méprisant, parfaitement perceptible dans sa façon d’assener des chiffres et des chiffres, tout en se gardant bien de s’attarder concrètement sur les questions essentielles telles que la prédominance colonialiste d’une minorité, la politique des monopoles et les discriminations raciales qui sont encore en vigueur en Guadeloupe et dans les DOM en général.

5)     Son association des évènements en Guadeloupe avec la crise économique internationale a démontré qu’il est décidé à ignorer l'injustice des monopoles colonialistes qui continuent à y faire la loi (et la vie chère), et que là-bas, c’est avec un énorme enthousiasme qu’on a accueilli la nouvelle de l’élection de Barack Obama comme emblème d’une possibilité de rachat pour tous les hommes de couleur. Faut-il être assez aveugle pour ne pas voir le parallèle entre la date de son investiture, le 20 janvier, et la date du début de la grève du LKP, le 20 janvier ?

6)     L’annonce de sa visite en Guadeloupe, d’une part quand le calme sera revenu (comme une récompense ?), et d’autre part pour l’ouverture d’Etats généraux pour discuter d’une réforme statutaire, confirme une fois de plus sa peur d’affronter les foules qui contestent et sa prédilection pour les signes d’allégeances et le culte du moi.

 

Bref, ce n’est pas encore aujourd'hui que le petit chef ressemblera au grand homme dont il se réclame. Heureusement qu’il n’a pas osé reprendre textuellement le fameux « Je vous ai compris », lui préférant des phrases entourloupettes, parce que d’une part, celui qui l’a prononcé, quelles que soient les idées qu'il avait en tête, avait au moins eu le courage de se rendre sur place, et qu’ensuite, il est clair, une fois encore et à condition qu’il en soit capable, qu’il n’a aucune intention d'essayer de comprendre les mécontentements.

 

Les réactions à chaud. Celles des élus interrogés à leur sortie de l'Elysée étaient assez mitigées. Quant à celles qui ont suivi dans les studios de RFO à Paris, on peut les revoir ici. Ce n’était pas l’enthousiasme ! Sur place, aux Antilles, en Martinique on a carrément parlé d’hypocrisie, et en Guadeloupe, après ces « habituelles promesses dans le floue », le LKP a décidé de reprendre les négociations interrompues il y a une semaine… mais sans interrompre la grève qui a entamé son deuxième mois. En attendant, la situation se fait de jour en jour plus dramatique, avec les femmes qui n’en peuvent plus des magasins fermés, des provisions introuvables, des robinets à sec pendant plusieurs jours, des coupures d’électricité, des écoles fermées, etc. ; avec les personnes âgés et les malades laissés dans l’isolement et sans soins ; avec les premières dérives de quelques syndicalistes qui vont se faire nourrir au restaurant du cœur, etc… Par rapport à la semaine dernière, il semble qu'on assiste à un retour au calme. Mais la grève, hélas, est en train de se retourner contre les plus faibles. Et si, perdant la clairvoyance qui le caractérise, le LKP ne fait rien pour créer des services palliatifs, empêcher les sabotages ou permettre le retour des services essentiels, ne risque-t-il de perdre de sa grande popularité ? Comment tout cela va-t-il se terminer ?

(Pour en savoir plus : France-Antilles, OrangeCaraïbe Antilles-Guyane, Radyotanbou, Chien Créole)

 

Mes billets précédents :

Du côté de la Guadeloupe (1)... avec un poème,
Du côté de la Guadeloupe (2) : Le manifeste que j'attends depuis si longtemps 
Du côté de la Guadeloupe (4) : Le LKP a-t-il gagné ?

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Vendredi 20 Février 2009, 12:26 dans la rubrique "Actualité".

Commentaires et Mises à jour :

ImpasseSud
08-03-09 à 08:56

Mise à jour du 8 mars 2009

Après 44 jours de grève, un protocole d'accord au nom de "Jacques Bino" (le syndicaliste tué le 16 février) a été signé le 4 mars entre le LKP, l'Etat et une certaine partie du patronat (le texte complet ici). La grève est officiellement terminée, mais la mobilisation continue de façon à ce que se pousuivent les négociations sur les questions encore en suspens, principalement au niveau du Medef toujours réclacitrant ou directement au sein des entreprises. Ce qui est assez bien synthétisé par Elie Domota dans l'interview qu'il a relâchée à France-Antilles Guyanne :

" (...) Beaucoup reste encore à faire, notamment la baisse des produits de première nécessité, des assurances, des matériaux de construction, des livres et fournitures scolaires... Nous nous devons d'intervenir le plus largement possible.
.........
Qu'avez-vous à dire sur le déroulement de cette mobilisation sans précédent?
"Nous en sommes très fiers. Les sociologues, les anthropologues ou encore les journalistes d'ici et d'ailleurs ont remarqué et relayé le côté exceptionnel de ce mouvement. Ils n'ont jamais vu dans le monde une telle mobilisation durer aussi longtemps et porter une telle revendication. Nous sommes fiers aussi d'avoir pu nous rassembler. Quarante-neuf organisations unies pour un même combat, ce n'est pas rien. Mieux, nous avons réussi à rassembler des milliers de Guadeloupéens. Nous avons cassé l'adage « konplo a nèg sé konplo a chyen » . Non. Nous sommes capables d'allier nos forces pour défendre l'intérêt général."

La mobilisation a eu des conséquences économiques graves. Le Medef affirme que de nombreux emplois sont en péril de même que beaucoup d'entreprises. Q'avez-vous à répondre?
"Dans ce dossier, le Medef est complètement discrédité. Le Medef ne s'est jamais occupé du développement de l'emploi en Guadeloupe. De plus, beaucoup d'entreprises affiliées à cette organisation sont prêtes à adhérer à l'accord Bino. Dans les jours qui viennent, lorsque la situation reviendra à la normale, les discussions vont reprendre dans les entreprises.
On ne doit pas nous rendre responsables du dépôt de bilan des entreprises. Pendant plusieurs semaines, nous avons réclamé des négociations, personne n'a fait aucune proposition. Quand ils ont senti souffler le chaud, ils ont sorti des solutions de leur chapeau. Aujourd'hui, ne venez pas nous accuser de quoi que ce soit. Le conflit aurait pu se régler en une semaine. Mais que ce soit l'Etat ou les organisations patronales, ils ont fait le choix du pourrissement. Nous leur avons montré notre détermination. Je rappelle que l'accord Bino est la copie conforme du préaccord négocié le 8 février.

Que dîtes-vous à tous ceux qui n'ont pas signé l'accord Bino ? 
"Je dis que c'est un problème qui va être résolu dans les prochaines semaines! On ne peut pas, dans un petit pays comme la Guadeloupe, avoir deux niveaux de salaires. Les salariés dont les entreprises n'ont pas signé, devront se mobiliser aussi."
...............

En conclusion, je tire mon chapeau au LKP et forme tous mes voeux pour que les négociations en reste aboutissent le plus rapidement possible et sans ruptures. Hier, et bien que la grève soit terminée, 20.000 personnes sont encore descendues dans la rue à Pointe-à-Pitre.
Je pense également que toutes les individualités syndicalistes sans plus aucun poids devraient en tirer une leçon, et ne serais pas surprise si, grâce à la constance et à la ténacité que le LKP a démontrées, le collectif Réunionnais réussissaient à obtenir des réponses positives dans un délais beaucoup moins long.