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Tremblement de terre à L’Aquila (11) : à trois mois du séisme vers le Sommet du G8

Dans les suites immédiates du tremblement de terre du 6 avril dernier, l’idée de déplacer le Sommet du G8 du 8 au 10 juillet de La Maddalena en Sardaigne à L’Aquila semblait assez bonne. En effet, tous les gouvernements des principaux pays invités se sont empressés de donner leur accord car cette décision qu’en Italie le Président du Conseil a présenté comme une économie au profit des sinistrés(1), a été perçue à l’étranger comme un geste de participation à la douleur d’une ville, d'un pays tout entier. Au Sommet du G8, nous y sommes presque et l'Italie est déjà en fibrilation avec l'arrivée des premiers hôtes importants. Alors, à trois jours de son ouverture et à trois mois du séisme, qu’en est-il exactement ? Y a-t-il eu économie réelle ? Les Aquilani y ont-ils gagné quelque chose ? Il y a quelques jours, sur La7, la seule chaîne nationale qui ne soit pas aux ordres de Berlusconi (sans pour autant être capable de faire preuve d’indépendance ou de plus de rigueur, car la guerre de l’audimat est serrée et celle des contrats publicitaires désespérée(2)), on a transmis un JT spécial (vidéo qui permet de se faire une idée, même si on ne comprend pas l'italien) qui faisait le bilan de la situation sur place. Il en ressort deux mondes parallèles bien séparés dont l’unique point commun est la localisation géographique.

 

D’un côté, L’Aquila du Sommet du G8, celle dont Berlusconi veut absolument faire une réussite personnelle, ne serait-ce que pour récupérer un peu de crédibilité sur la scène internationale où on oublie parfois de l’inviter (A Corfou, au dernier Conseil de l'OTAN, il a dû s’auto-inviter). De façon fébrile et avec le concours d'entreprises qui emploient de nombreux ouvriers étrangers (en règle ? ne peut-on s'empêcher de se demander ?), en deux mois, autour de l’Ecole della Guardia di Finanza, siège du G8, on a construit ou aménagé une véritable forteresse avec

- un aéroport,

- une route spéciale d'un kilomètre bordée de trottoirs au silicone qui portera directement les puissants de ce monde à la caserne.

- un hôpital de camp.

- un grand nombre de logements pour accueillir le millier de personnes des délégations (26 pour chaque délégation des 39 pays qui seront présents) et les 3.500 journalistes accrédités.

- un musée avec des œuvres d’art italiennes, comme un Code de Léonard de Vinci, un des violons d'Andrea Amati, la partition de La Tosca de Pucini, etc. ; une salle  avec des objets ayant résisté au tremblement de terre, comme deux Madones, celles d’Onna et de l’Eglise de Collemaggio ; la statue de Pietro Cascella, le sculpteur préféré de Berlusconi (celui qui a construit le mausolée personnel qu’il s’est déjà fait ériger dans sa villa d’Arcore), et une Fiat 500 ;

Siège « sobre mais digne », l’a défini le général commandant de l’Ecole... (sources)

Tandis qu'Obama dormira dans l'immeuble de cinq étages baptisé Hotel Roma avec panier de basket adjacent, Berlusconi occupera celui d’à côté, Hotel Milano, avec d’autres puissants de ce monde.

Transformée en forteresse blindée pour l’occasion, personne ne peut plus y pénétrer sans un pass. Deux journalistes anglais y ont cependant réussi. Mais je passerai sur l’aspect sécuritaire de ce show avec batteries lance-missile, radars, drones et forces de l’ordre un peu partout (le monde va-t-il mieux depuis qu’on fait des G8 ? Va-t-on souvent au-delà d'une réunion coûteuse et des projets d'intention ?), d’une part parce que je n’y entends pas grand-chose et, de l’autre, parce que tous les Etats qui reçoivent en font autant.

 

Le gouvernement semble donc ne plus craindre que deux choses. Tout d'abord les protestations des no-global qu’on annonce un peu partout en Italie (l’Italie est provisoirement hors de l’espace Schengen, et depuis avant-hier, à Vicence, on manifeste pacifiquement et violemment (1-2) contre l'extension de la base américaine (No Dal Molin). Et, ensuite, les risques d’un autre tremblement de terre violent que le chef de la Protection civile dément catégoriquement, grand expert en la matière (!) depuis qu’il a laissé que 307 Aquilani meurent sous les décombres, mais pour lequel il a quand même prévu un plan B, d'évacuation si la moindre secousse dépasse 4-4,5 de magnitude. Les manifestations non violentes annoncées par les Aquilani semblent n’inquiéter personne.

 

De l’autre, L'Aquila immobile du tremblement de terre du 6 avril, L’Aquila des Aquilani, ceux dont la ville est détruite, ceux dont la terre tremble encore, ceux dont les médias parlent si peu à moins que les VIP et les spectacles ne l’utilisent sans vergogne en toile fond ou qu’on ait décidé de médiatiser quelque libéralité ; ceux qu’on intimide, ceux auxquels on interdit toute autonomie, ceux qu’on a exclus de toutes les décisions et dont on entrave la reprise économique ; ceux que Berlusconi traite comme des enfants qu'on veut faire taire en leur disant d'imaginer qu'ils sont en vacances, en leur proposant de partir en croisière pour se distraire ou d’aller « prendre les eaux », ceux pour qui il a jugé inutile la fourniture de logements provisoires comme des conteneurs ou les appartements vides très courants dans cette zone estudiantine et touristique, c’est-à-dire (il faut le répéter, le répéter, car le passer sous silence équivaut à l’admettre comme une normalité) :

- les plus de 30.000 personnes qui, trois mois après le séisme, sont encore entassés dans la promiscuité (très coûteuse !?) des tendopoli où on impose presque la loi martiale ;

- les près de 30.000 personnes exilées sur la côte adriatique et pour lequel l’Etat continue à débourser la somme incompréhensible de 45 € par jour et par personne(!?). Quelqu'un serait-il en train d'y faire son beurre ? (3),

- les 14.000 personnes dont personne ne parle parce qu’entre parents, amis et connaissances, elles se sont arrangées toutes seules, sans le secours de l’Etat, mais sans encore voir un sou des 100€ ou 200€ par mois et par personne promis par le gouvernement.

- les quelques centaines de personnes qui ont osé affronter la peur et rentrer chez elles, mais que les secousses incessantes continuent à rejeter sous la tente.

- Sans oublier tous les sinistrés qui ont arbitrairement été exclus de la zone du « cratère » (4), ou ces groupes d’Aquilani courageux qui refusent de se laisser abattre et conditionner et continuent leur sit-in sur les routes d’accès (pleines de policiers) dans l’espoir de rencontrer le Président du Conseil…. (ou en attendant Godot ?)


A exactement trois mois du séisme qui l’a détruite, L’Aquila est toujours aussi spectrale, blessée, figée, désespérée, avec bon nombre de ses rues encore encombrées par les gravats, ses immeubles éventrés, branlants ou fissurés, qui continuent à se désagréger sous l’action des secousses répétées et des intempéries. Mis à part la place centrale, tout est presque comme au matin de ce terrible 6 avril, si ce n’est pour tous les travaux d’étayage effectués par les pompiers (vidéo) qui travaillent sans relâche, tous les jours de 6 heures à 23 heures, tout en faisant preuve, de l’avis unanime, d’une grande disponibilité et d’une véritable humanité envers les sinistrés, mais qui, eux aussi, se sont retrouvés contraints à manifester, parce que les fonds promis par le gouvernement n’arrivent pas et qu’ils manquent de bois et de matériel. Contrairement à ce qu'annonce régulièrement le gouvernement, du côté de la construction des 4.000 logements promis pour 13.000 personnes à l'automne, on est encore en plein cafouillage à propos des zones édifiables. Les villages de la périphérie semblent mieux s'en sortir car leurs tendopoli sont plus ou moins autogérées, avec l'aide de "véritables" volontaires, et certains d'entre eux reçoivent des aides directes et concrètes d'autres régions italiennes.

 

Alors, s'il est évident que l'Etat n'a rien économisé, pour les Aquilani, quels sont les avantages de ce déplacement du G8 ? Pour eux, le G8 signifie qu’on a mieux à faire que de s’occuper de leurs problèmes, le G8 signifie une ville en état de siège, le G8 signifie l’extension des zones rouges inaccessibles avec la fermeture des commerces, restaurants et gites ruraux aux alentours, le G8 signifie une connexion Internet qui va et vient. Dans cette terre d’élevage, le G8 signifie l’interdiction de transit des troupeaux et l’inaccessibilité aux collines avoisinantes. Et vu que suite à la violence des nouvelles secousses de ces derniers jours la Protection civile a prévu un plan d’urgence B pour évacuer les puissants de ce monde, le G8 à L'Aquila signifie (pour tous ceux qui résident en Italie cette fois) que la prévention n’est pas pour tout le monde.

Donc, à moins que je ne sois mal informée, le seul avantage qu’apparemment ils en retireront, c’est qu’à la fin du Sommet, 700 des logements construits au sein de la caserne-forteresse pour cette circonstance permettront de reloger provisoirement environ 2.500 personnes. Sélectionnées selon quels critères se demande-t-on déjà ? Et pour tous les autres ?

 

Obama visitera une des églises de L'Aquila, Mme Merkel se rendra à Onna (martirysée par les Allemands durant la Seconde guerre mondiale), le premier ministre japonais veut aller sur les lieux de la résidence universitaire qui s'est écroulée comme un château de cartes, mais y a-t-il quelque chose à espérer de ces visites guidées qui n'aient pas déjà été convenu, dans la plupart des cas pour une aide à la reconstruction des monuments historiques qui aurait de toute façon été proposée sans le G8 ?

Bref, aujourd’hui il est clair que ce Sommet n'a apporté et n’apportera aucun avantage immédiat et substentiel aux Aquilani, ne sera d’aucune aide à la reconstruction de leurs logements, à la reprise de la vie active. Contrairement à La Maddelena qui se révèle la grande gagnante de ce transfert(1), L'Aquila n'en a retiré qu'un mauvais prétexte de la part du gouvernement pour retarder sa renaissance et tous les désagréments que causent ce type de réunion. Il est clair également qu’on arrive à l’épilogue d'une exploitation scandaleuse quand, en plus, elle n'est pas de mauvais goût, l'occasion d'une parade saisie au vol par le Président du Conseil pour son prestige personnel, au dépens des Aquilani, de leurs urgences, de leurs priorités, de leurs droits. L'Aquila, il semble qu'il va falloir que les Aquilani s'en réapproprient tout seuls.

C’est pourquoi, à exactement trois mois de distance, la nuit dernière, de minuit à 3 heures 32, l’heure fatidique, l'ensemble des comités de citadins a organisé une marche aux flambeaux, sans aucune couleur politique ou d'appartenance, de la Fontana luminosa à la Place du Dôme et au parc de la Villa Communale, pour dénoncer la scélératesse de la gestion de l’après-séisme et réclamer "vérité et justice". « Yes, we camp ! » était le slogan du départ. Malgré les conditions de vie (il est parfois risqué de quitter sa tente si personne ne vous garde vos affaires) et d'éloignement ils étaient entre 3 et 4.000 (photos),  et j'aurais voulu être avec eux.

« Nous tenons à répéter que la marche au flambeau est une occasion qui a impliqué la communauté toute entière dans le souvenir des victimes », ont expliqué les représentants du Comitato 3.32, « pour réclamer la vérité sur tout ce qui s’est passé et la justice contre ceux qui sont responsables de fautes ou de spéculations. Nous ressentons l’urgence de nous réapproprier de notre deuil et nous voulons le faire de façon collective pour reconstruire ensemble le sens et le futur de notre communauté, mis en difficulté par la violence du séisme tout d’abord, et par l’arrogance du pouvoir ensuite. Mémoire, vérité et justice dans un style sobre, le plus loin possible de la clameur des spectacles de places et en ouverte opposition aux parades d'un gouvernement dictatorial ».

 

 

(1) Le côté trompeur de cet argument est tout d'abord passé inaperçu. A la Maddalena, le gros des travaux étant déjà bien avancé personne n'a réalisé qu'ils devraient quand même être terminés, la rupture d'un contrat coûtant souvent plus cher que son respect intégral. Avec Berlusconi, La Maddalena, magnifique aujourd'hui (vidéo, à condition qu'elle montre la réalité), est le grand gagnant de ce G8 dont elle n'a recueilli que les avantages.

(2) En Italie, Berlusconi détient non seulement le quasi monopole de l'information, mais il a également la main mise sur le marché de la publicité. Les chaînes de télévision et la presse vivant surtout de publicité, il suffit d'accaparer le marché pour rendre plus dociles les médias qui ne lui appartiennent pas ou ne sont pas à ses ordres. Dernièrement, il a été jusqu'à conseiller publiquement aux entrepreneurs de boycotter les médias qui critiquent sa personne ou le travail de son gouvernement : "Non date pubblicità ai media disfattisti" Lire l'article publié sur Le Post.

(3) 45 € par jour et par personne, cela signifie qu'une famille de 4 personnes coûte 5.400,00 € par mois à l'Etat et par conséquant aux Italiens. Ne serait-il pas plus économique que l'Etat verse une allocation de ne serait-ce que la moitié de cette somme à chaque famille, permettant aux gens de reconstruire leur vie de façon autonome ? On craignait une infiltration mafieuse, mais n'y aurait-il pas, parmi les décideurs, des gens qui sont en train de faire leur beurre sur le dos des sinistrés ? Comment se fait-il que l'Etat préfère maintenir les évacués en état de dépendance ? C'est ce que se demande avec raison Miss Kappa dans ce billet ?

(4) On désigne désormais par le mot "cratère", la zone des 49 communes reconnues comme sinistrées par la Protection civile.

 

Tous mes billets sur le Tremblement de terre du 6 avril 2009 à L'Aquila 

1 : Jour de Pâques... qui suit le tremblement de terre de L'Aquila

2 : Les risques de la reconstruction

3 : Les lieux communs

4 : Avant et après

5 : Sur la scène et dans les coulisses

6 : L'éclosion des petits malins

7 : La parole aux blogueurs

8 : Là aussi on vote... malgré tout

9 : Ce qu'aucun JT italien ne raconte

10 : Les Aquilani en colère vont protester à Rome

12 : La parade du G8 à son apogée et les réponses des Aquilani

13 : L'erreur d'Obama

14 : Les Aquilani plus isolés que jamais

15 : Vu de loin

16 : La grande confusion

17 : 6 mois après, cahin-caha, mais toujours en dépit du bon sens

18 : Après une longue mise sous tutelle, les Aquilani reprennent possession de leur ville que le gouvernement laisse mourir
19 : Manoeuvres électorales sur Wikipédia
20 : Un dimanche après l'autre et à la barbe des instrumentalisations, le tissu social de la ville se reconstitue
21 : 1 an après !

22 : Un an après, le bilan

23 : Deux films qui racontent la réalité du post-séisme

24 : Vers une Union européenne de sinistrés ?

25 : 15 mois après, les Aquilani sont toujours sinistrés, abandonnés leur sort et... matraqués

26, 27, etc... toute la suite ici

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Ecrit par ImpasseSud, le Lundi 6 Juillet 2009, 09:07 dans la rubrique "Actualité".

Commentaires et Mises à jour :

ImpasseSud
08-07-09 à 07:52

VU DE L'AQUILA

Vu que je suis résolumment du côté des Aquilani, je conseille à tous ceux qui passent par ici d'aller lire ce qu'Eric Valmy, un autre Français en Italie, raconte (en français bien entendu) sur son blog :
Il Corriere Aquilano. Giorno 1/5. Lunedì
Il Corriere Aquilano. Giorno 2/5. Martedì

De mon côté, ci-dessous, j'ajoute ma traduction de ce que Miss Kappa, blogueuse de L'Aquila dont j'ai raconté l'histoire ici, écrit sur son blog :

"Lundi 6 juillet 2009, La marche aux flambeaux
Aucun mot, hormis les larmes, ne peut décrire la marche au flambeau d'hier. C'est l'enterrement par lequel, nous, Aquilani, nous avons voulu rendre hommage à nos morts. L'unique, le vrai. Loin des shows télévisés et des promesses faites sur les cercueils. Nuit et petites flammes. Silence absolu. Plus de tois mille personnes ont défilé, blessées au plus profond de l'âme. Nous avons demandé justice. Justice et vérité. A 3 heures 32, nos coeurs se sont souvenus et se sont serrés en un unique embrassement. Pour les victimes. Pour nos vies de survivants."
A cause du G8, la connexion va est vient. J'espère pouvoir vous informer les jours prochains."

"Mardi 7 juillet 2009, Evacués évacués
Tous le monde sait que les Aquilani sont des évacués. Evacués sur la côte et évacués en ville. Mais maintenant les évacués citadins sont des évacués évacués. Wow... évacués bis. Oui, ceux qui étaient déjà des évacués se sont auto-évacués. Loin de la ville superblindée, loin des contrôles, loin des pass qu'on nous refuse, loin des magasins fermés, loin des forces de l'ordre qui vous empêchent de respirer, loin des hélicoptères qui dansent sur nos têtes, loin des méchants qui manifesteront.. et des matraques. Nous sommes bien peu à rester, et la ville est semi déserte. On se croirait revenus en arrière, dans les premiers jours qui ont suivi le tremblement de terre. Mister B a fait monter un grand plateau sur lequel aura lieu la représentation pour les puissants. Chantiers pour la new town (deux sur les vingt prévus) qui travaillent sans arrêt, jour et nuit, ronds-points nés en un rien de temps et embellis par des plates-bandes fleuries, centre historique avec ruines en annexe, prêts pour les petites photos souvenirs. Je me demande si on ira jusqu'à choisir des sinistrés pour l'occasion. Comme toile de fond.
Tous ceux qui ont causé la crise mondiale seront là en train de prendre des engagements sans valeur, fints comme la scène montée dans cette ville. Ici, de vrai, en plus des décombres, il y a que nos vies réduites à l'extrême. Mais celles-ci, on ne les verra pas. On nous a évacués."