Ici, j’ai repris le titre d’un bel article d’Annick Rivoire publié il y a deux jours dans Libération, dans lequel elle essaie de faire le tour de la question à propos des réactions suscitées suite à une campagne publicitaire lancée par la BNF (Bibliothèque Nationale de France) montrant un « Jean-Paul Sartre transformé en icône politiquement correcte, à l'heure de la commémoration du centenaire de sa naissance », c’est-à-dire que sur la photo de la couverture du catalogue qui présente l'exposition* on a délibérément « gommé » la cigarette qu’il tenait entre deux doigts sur l'original….  « pour ne pas contrevenir aux dispositions de la Loi Evin ».

L’article, très intéressants, se termine sur cette opinion : « Certes, l'affaire du mégot de Sartre n'a rien à voir avec les falsifications idéologiques de la photographie du temps de Staline en URSS ou de Mao en Chine. Elle est en revanche symptomatique d'une banalisation de la retouche d'images, facilitée par les outils numériques. Une banalisation qui la vide de tout sens : le pire avec cette clope ôtée à Sartre, c'est que personne n'a vraiment réfléchi à l'enlever, sauf les pubards... »

Si la retouche a réellement eu lieu, pour moi cette photo est un « faux », ni plus ni moins, « sanitairement correcte » ou pas. Si la plupart des photos de Jean-Paul Sartre le montre une cigarette ou une pipe à la main, et parfois même entouré de volutes de fumée, c’est manifestement parce que ça faisait partie de son personnage, avec l’alcool et les amphétamines, comme le rappelle le professeur Benoît Denis. De quel droit ose-t-on faire une dissociation ? Il est évident que ce n’est ni le tabac, ni l’alcool, ni les amphétamines qui ont fait de Jean-Paul Sartre ce qu’il a été, mais il est tout aussi légitime de penser que ces trois composantes ont eu leur poids dans son œuvre. Donc pourquoi vouloir présenter un Jean-Paul Sartre différent? 

Quel besoin a-t-on de ce mensonge ? Personne ne me fera croire que ce sont les clopes des photos de Jean-Paul Sartre qui incitent la population à fumer. Tout le monde sait que bon nombres d’hommes de lettres, bon nombre d’artistes ont mené ou mènent une vie dissolue, mais, en général, ce qui les rend célèbres, ce qui retient l’attention, ce qui fait qu’on les admire, ce qui pousse à l'imitation, c’est leur talent, leur œuvre, et non pas les cigarettes qu'ils ont fumées.

Je crois que désormais nous vivons dans une société mensongère. L'information mensongère a toujours existé, surtout en politique et par rapport à l’histoire, mais aujourd’hui les mensonges se sont élargi, touchant toutes les sphères et tous les niveaux, pour toutes sortes de fausses raisons. Ils se sont institutionnalisé. Et quand ils sont démasqués, ils ne donnent lieu à aucun mea culpa ni à aucune correction, mais au contraire à d’autres mensonges, à des faux-fuyants, à des explications fallacieuses, douteuses, à des syllogismes malhonnêtes.

La BNF ne fait pas exception à la règle avec son excuse « sanitairement correcte ». Et le fait qu’un organisme aussi emblématique suive cette tendance démontre que cette dernière va bien au-delà de « la banalisation de retouche d’images ». Elle est, au contraire, le symptôme évident d’un système désormais bien ancré du tout-permis, sans limites ni scrupules, dans le mépris le plus total des vérités les plus simples que les photos ne suffisent plus à démontrer. Sans parler de tous les points de repères qui finissent par disparaître.

Politiquement correct, sanitairement correct, etc.... Belle façon de s'exprimer! Qu’y a–t-il donc de « correct » dans un mensonge ? Quelqu’un pourrait-il me l’expliquer ?

P. S. Ce faux me rappelle un autre faux notoire....

*du 9 mars au 21 août 2005

Mots-clefs : Société, Médias, Europe