J'ai été franchement choquée par l’article d’Hyppolite Simon à propos du dernier livre de l’Abbé Pierre, « Mon Dieu,… pourquoi ? ». Je me demande même dans quel but Le Monde a délibérément omis, dans le titre, de faire précéder son nom par « Mgr » ? Faire un ajout en bas de page n’est pas suffisant, car en bas de page, tout le monde n’y arrive pas. J’aurais tout de suite compris de quel pupitre arrivait la critique. Cet article qui se veut "charitable" est, au contraire, un tissu de perversion, et me rappelle les manoeuvres "salissantes" qu'utilise la mafia quand elle veut discréditer un prêtre engagé. C'est en tout cas le plus malveillant de tous ceux que j'ai lus à propos de ce petit bouquin. Combien je regrette de ne pas pouvoir le lire en entier ! Quelqu’un, depuis le Vatican, a dû souffler à l'oreille de notre monseigneur, lui envoyer un message, lui impartir un ordre d’intervention, pour ramener à des dimensions « de sénilité » les déclarations incommodes d'un vieil homme influent qui ose la sincérité, prend parti contre le célibat obligatoire des prêtres, prône l'accès à la prêtrise pour les femmes, aborde franchement la question de l'homosexualité et du Sida, etc.
Moi, je ne suis ni jeune ni vieille, mais à un âge où on est à même de faire la différence entre les personnes âgées qui souffrent effectivement de sénilité, tiennent des discours incohérents, éprouvent des difficultés à gérer leurs propres vies, et celles qui, au contraire, jusqu’à leur dernier souffle, et même si elles sont pénibles, malades ou fatiguées, conservent une lucidité d'une grande acuité. Alors est-il absolument impossible que l’Abbé Pierre, à la fin de sa vie, ait tenu, non pas à « faire des confidences » à quelqu’un (et dans quel but ?), mais plutôt à laisser un message important, une humble critique face à l’intégrisme actuel de l’Eglise catholique, étayés par la longue expérience d’une vie de sacerdoce et d’altruisme ?
Cet homme-là a certainement ses défauts, mais qui n’en a pas ? Il a certainement commis des erreurs, mais qui n’en commet pas ? En tous cas, pour moi, il conserve et conservera la figure d'un homme de grande bonne volonté. Mgr Simon connaît-il personnellement l’Abbé Pierre ? Il semble que non. Alors comment se permet-il d’en démolir, ou tout du moins, d’en amoindrir la crédibilité ? Je ne sais pas quel âge a cet évêque, mais faut-il lui souhaiter d’être traité de la même façon quand il aura 93 ans ? A condition qu’il y arrive, bien entendu, et… sain d’esprit.
Mise à jour du 30 avril 2006 : J'ai finalement réussi à me procurer ce petit livre. Il est vraiment bien mince et on peut dire que les extraits publiés par Le Point lors de sa sortie sont bien choisis et vont à l'essentiel. Cependant ils laissent dans l'ombre le fait que l'Abbé Pierre, cet homme que tout le monde croit connaître, est dévoré, avant tout, par une profonde foi en Dieu. Sinon, pourquoi aurait-il choisi ce titre ? A cela, je tiens à ajouter qu'au cours de cette lecture qui ne m'a donc pratiquement rien appris de neuf, j'ai été extrêmement touchée par l'immense bonté et la grande humilité des jugements de ce vieil homme.... pas sénile du tout, je vous l'assure!
Mise à jour du 22 janvier 2007 : L'Abbé Pierre est mort ce matin. Lire ci-dessous les commentaires 5 et 6.
Mots-clefs : Société, Femmes, Religions, Sujets brûlants, Europe, Livres, France, Hommes de bonne volonté
Commentaires et Mises à jour :
Il m'a paru parfaitement lucide et responsable. Il savait très bien ce qu'il faisait, même s'il regrettait qu'on focalise sur sa sexualité. Le procés fait au co-rédacteurs du livre me parait complètement absurde, aussi absurde que le célibat des prétres et la mysoginie sans fond du catholicisme...
Re:
L'Abbé Pierre est mort
Il s'est éteint cette nuit et j'éprouve une grande tristesse.
Lire l'appel au secours qu'il lança en 1954.
En hommage à celui que je considérais comme un Juste
«... Il est absolument vain d’espérer une sécurité pour les nations heureuses si elles ne prennent pas conscience de la détresse des nations moins heureuses. La paix qui nous hante tous, elle est d’abord une question de justice, dans la participation aux richesses mondiales, pour tous les peuples du monde, si l’on calcule les multitudes qui dans des régions si nombreuses de la terre n’ont absolument pas le minimum nécessaire pour vivre humainement. (...) En vérité, le fond du problème, il est extrêmement simple (...) Il s’agit de savoir si la communauté humaine, la société, le pouvoir, le gouvernement, seront conçus en fonction des heureux ou en fonction de ceux qui souffrent. Une civilisation, qu’elle soit à l’est ou à l’ouest, qui finit par être conçue en fonction de la défense et du maintien de la condition privilégiée de ceux qui sont heureux, et qui n’attache qu’un intérêt extrêmement minime à la détresse de ceux qui souffrent est une société maudite, qu’elle soit rouge ou blanche...»
L'Abbé Pierre, le 31 mai 1954, archives TSR
Aujourd'hui comme hier...
N'ayant pas encore lu le livre de l'Abbé Pierre, mais seulement quelques extraits, j'ai bien hésité avant de publier ce billet. Ce qui m'a décidée, finalement, c'est la réponse à Mgr. Simon que Fréderic Lenoir, le rédacteur du livre, a publiée dans Le Monde : L'Abbé Pierre a-t-il perdu la tête?
Heureusement, il arrive encore que la mauvaise foi, la malhonneteté intellectuelle aient les jambes courtes.