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Tremblement de terre à L’Aquila (14) : les Aquilani plus isolés que jamais

Faute de locaux (à l'exception d'une grande tente) le Parc de l'Unicef à L'Aquila est désormais le point de référence et le lieu de réunion du comité 3e32Le G8 et la propagande populiste post-G8 (avec la transformation du site en musée visitable pendant quelques jours où les gens se bousculaient pour se prendre ou se faire prendre en photos dans les mêmes poses et devant les mêmes toiles de fond que les puissants de ce monde, allant jusqu’à « essayer » le lit d’Obama (rien à faire, ça marche à tous les coups !))terminés, le rideau est retombé sur les ruines et les tendopoli de L’Aquila, plus épais, plus hermétique qu’avant. De nombril du monde vers une planète invisible. Du lieu du tremblement de terre du 6 avril, il ne transpire plus que quelques phrases d’auto-félicitations de Berlusconi ou quelques déclarations officielles du chef de la Protection civile, dans le seul but de faire croire à la population (qui s'en moque) que là-bas le gouvernement fait du bon travail et que tout progresse pour le mieux. A tel point que j’ai un mal de chien à en savoir plus, à tel point que moi aussi j’ai la tentation de laisser tomber. Dans un pays pas bien grand comme l'Italie, comment est-il possible de se désintéresser du sort d’une région toute entière, du sort de 70.000 compatriotes violemment arrachés à leur vie, leur travail, leurs logements, leurs affections et à tous les témoins de leurs souvenirs ? Comment les gens réussissent-ils à ne pas se préoccuper du sort qui, dans un pays à 70% sismique et hydrogéologiquement parlant extrêmement maltraité, les attend dans un an, dans dix ans ou peut-être cette nuit ? A-t-on le droit moral de passer sous silence les suites d'une catastrophe nationale ? Le seul soupirail par lequel s'échappe l’information, c’est Internet, une fois de plus, mais, comme pour confirmer ce que j'ai écrit ici, loin de la blogosphère élististe qui a lancé la grève du 14 juillet, elle aussi silencieuse sur ce chapitre. Alors, voici ce que raconte mon petit tour d'horizon.

 

Tout d’abord, les puissants de ce monde partis, ce sont les sauterelles qui se sont abattues sur un faubourg de L’Aquila proche de l’Ecole de la Guardia di Finanza, le siège du G8. Par millions, pénétrant dans les bureaux et en particulier dans ceux du nouveau tribunal, dans les entreprises, les tendopoli toutes proches, les habitations encore sur pied. Sans être capable d’en déterminer la cause, on a tout de suite procéder à une désinfection, mais après les pluies, les grêlons et les moustiques, certains ont fini par se demander si L’Aquila n’était pas devenu le nouvel endroit choisi par Dieu pour envoyer les dix plaies d’Egypte évoquées dans la Bible.

Ensuite, dans l'affaire G8, on savait déjà que Berlusconi y a récupéré un peu de sa crédibilité sur le plan international et que les Aquilani en ont hérité deux ou trois routes neuves et un aéroport sans grande utilité, mais on ne connaissait pas encore les grands gagnants, passés sous silence jusque-là : les banques une fois de plus. Car dans un pays où, pour remplir les caisses, le précédent gouvernement de Berlusconi (2001-2006) avait bradé les biens publics, dont l’Ecole de la Guardia di Finanza justement, on a tranformé en hôtel 5 étoiles et aux frais des contribuables des locaux qui appartiennent à des banques (dont plusieurs impliquées dans le scandale financier de fin 2008) pour laquelle l’Etat verse déjà un loyer annuel de 13 millions d’euros mais qui peuvent vous congédier du jour au lendemain (on murmure d'ailleurs qu'il y aurait angille sous roche). Une mesure anti-crise des plus classiques ! En parfait style néolibériste.

Et ne parlons pas des facilités promises aux sinistrés dès les 7 et 8 avril, comme

- la gratuité des autoroutes autour de L’Aquila,

- le report du paiement des impôts pour les artisans, commerçants, PME, agriculteurs, éleveurs qui ont perdu leur gagne-pain,

- l'assouplissement des relations bancaires dans les remboursements ou obtentions de prêts.
Il ont tous disparu comme neige au soleil ou sont inappliqués (1-2-3) : « un baiser de Juda » dit la photo.
Mais il y aussi

- le manque de transparence et l’inaccessibilité sur la grande majorité des fonds récoltés (même honnêtement) en faveur des sinistrés à travers SMS ou virements.

- et le blocage des bourses d’étude pour l’année académique à venir dans cette ville universitaire où les étudiants représentaient le tiers de la population. Si l'Ecole de la Guardia di Finanza a pu recevoir le G8, pourquoi ne peut-elle pas servir de siège provisoire à l'Université, se demande-t-on ?

Etc.

Sans oublier que la terre continue à trembler. Si une partie des plus importants biens culturels a été étayée par les pompiers, on n'a rien fait pour les habitations et les évaluations relatives à l’habitabilité « naviguent à vue », comme on dit là-bas. Si bien qu’un immeuble dont les murs portants et les dalles montrent de graves lésions, tout d’abord classé F (irrécupérable), peut tout à coup passer dans la liste des immeubles D, être ensuite erronément propulsé d’office par un bureau municipal dans la liste B (habitable avec quelques retouches du côté des plâtres et sans plus aucun droit à ultérieure vérification), mais retomber, après enquête du propriétaire, dans la liste D dressée par la Protection civile, seule autorisée à faire des évaluations. Le fait est que l’ensemble des sinistrés, du fait que le gouvernement a sciemment renoncé à la phase intermédiaire des logements provisoires qui auraient donné du temps au temps, se retrouvent dans le plus grand désarroi et la peur de l’hiver qui en montagne pointe son nez dès le mois de septembre, face à une bureaucratie kafkaïenne (dantesque et machiavélique) où il est pratiquement impossible de comprendre ce à quoi on a droit, ce que les normes du gouvernement vous permettent d'entreprendre de façon autonome pour entrer dans la catégorie des gens pris en charge, comment faire la demande, où trouver les formulaires, comment les remplir, où s’adresser, etc.

Un chaos dans lequel se débattent presque à huis-clos les comités locaux nés après le séisme et réunis sous le nom de 3e32 (a), tous d’accord pour des préfabriqués en bois mais à qui personne n'a demandé/ne demande leur avis, et qui qualifient de « schock economy le plan C.A.S.E (b) prévu par le gouvernement dans une optique de profit personnel » propre à favoriser la désagrégation de la population puisque les groupes de constructions seront éparpillés dans la campagne et ne prévoient aucune renaissance sociale ou économiquement active.

Vacances d’été : sans que la situation dans les tendopoli ait changé (les derniers chifres de la Protection civile parlent de 140 camps, 5.074 tentes avec 20.745 hôtes, 19.725 personnes dans des hôtels des provinces et régions voisines et 9.638 dans des locations), le nombre des volontaires commence à diminuer, tout du moins dans certains camps, surtout du côté de l’assistance médicale, alors que la chaleur, au contraire, augmente les malaises. On démantèle déjà certaines cuisines, et là où elles fonctionnent, la variété des menus a beaucoup diminué.
Quant au patrimoine culturel à récupérer, on peut s'en faire une idée photographique un peu plus précise ici, [où, si on veut comprendre quelque chose (vive la qualité de l'information qui ne donne plus le temps de vérifier ce qu'on publie !) on est prié de cliquer sur chaque image car toutes les disdascalies sont erronées.]

 

Et du côté positif ? Il doit bien y avoir quelque chose, se dira-t-on. En ce qui me concerne et vu les cocoricos et effets d'annonces mensongers du gouvernement, je ne tiens compte que des sons de cloche qui arrivent des sinistrés, références ou recoupements à l'appui, bien entendu.


Il paraît donc que, sur l'instance des comités, la Protection civile aurait finalement (3 mois et demi après le séisme !) donné l'ordre au Préfet, à travers une norme, d’enquêter à propos de la spéculation sur l’habitat, qui, dans toute la région, a vu le prix des loyers et du m2 augmenter de 100 %. Cette norme permettrait même la réquisition des logements vides et habitables, qui pour l’instant seraient de l’ordre de 1.500. Espérons donc en une issue favorable avant les premiers froids.

Huit communes sinistrées ont finalement réussi à se faire inclure dans le « cratère »(c) délimité par la Protection civile. Ceci porte leur nombre à 57.

L’Union européenne, à condition que le Parlement européen donne son approbation, devrait débourser une aide de 493 millions d’ici la fin de l’année, comme fond de solidarité face au désastre quantifié à 10,2 milliards d’euros. Très bien ! A condition que ces fonds aillent où ils doivent aller, non pas comme la plupart des subventions dont l’Italie profite. Je ne comprends pas que l’UE n’ait pas encore réussi à instituer un organisme de contrôle qui, du début à la fin, exige de suivre l’utilisation de ses financements.

En ce qui concerne la construction des 20 unités  en dur, anti-sismiques et dispersées dans la campagne pour reloger 13.000 personnes avant l’automne, 11 chantiers sont ouverts, les travaux d’urbanisation comme les services d'égoûts étant apparemment reportés à plus tard (!?). Deux d’entre eux vont plus vite que les autres afin que Berlusconi puisse, la semaine prochaine et sous les yeux de tous les médias, aller accrocher son petit drapeau tricolore sur les premiers toits.

Le pemier quotidien financier italien, Il Sole24ore, vient d'éditer un guide à l'usage des sinistrés, distribué gratuitement dès demain, lundi 27, dans les communes du "cratère", pour permettre à ses habitants de se dépatouiller dans le chaos de la bureaucratie et mieux comprendre les droits qui sont les leurs. Petit néo : sauf erreur, il n'en dit pas un mot dans son journal, confirmant une fois de plus l'isolement silencieux dans lequel on maintient L'Aquila.

Suite aux grosses chaleurs (hier à L'Aquila il faisait 35°), insupportables dans les tendopoli, on s'est enfin décidé à transférer un petit nombre de personnes âgées avec les pathologies chroniques les plus lourdes dans des maisons de repos ou dans des résidences; dans quelques camps, au-dessus des tentes on a tendu de grandes toiles vertes pour protéger les tentes du soleil ; à Paganica, un des bourgs les plus durement frappés par le séisme, quelqu'un a fait un don d'une grande tente réfigérée de 40m2 ; six conteneurs-toilettes pour handicapés sont enfin à disposition de la Protection civile. (sources)

Pour finir, en plus des ludotèques et bibliothèques recréées à partir d'envoies de toute l'Italie, il y a de nombreuses manifestations organisées ici et là, pour se convaincre qu'on est encore en vie, que la vie continue, que L'Aquila renaîtra, etc... Initiatives scaramentiques courageuses, méritoires et plus que justifiées.



Ici, en conclusion, j’avais l’intention d’ajouter un récit significatif, qui illustre la qualité de l’information en Italie à propos du post-séisme et la paresse mentale à laquelle on a habitué de la population, mais mon billet est déjà bien assez long. Ce sera donc pour demain ou les jours suivants.


(a) Site à visiter en détail même si on ne comprend pas bien l'italien, parce qu'il permet de se faire une idée à propos de l'intense activité de ces comités, activité souvent passée sous silence et dont ne parle, comme déjà signalé dans un billet précédent, que les feuilles de chou locales comme ilcapoluogo.it ou Il Centro
(b) C.A.S.E. sigle qui a repris le mot italien "case" = maison, et qui désigne le consortium qui s'occupera de la construction des "new-town".
(c) cratère : appellation adoptée par la Protection civile pour indiquer la zone sinistrée

Tous mes billets sur le Tremblement de terre du 6 avril 2009 à L'Aquila 

1 : Jour de Pâques... qui suit le tremblement de terre de L'Aquila

2 : Les risques de la reconstruction

3 : Les lieux communs

4 : Avant et après

5 : Sur la scène et dans les coulisses

6 : L'éclosion des petits malins

7 : La parole aux blogueurs

8 : Là aussi on vote... malgré tout

9 : Ce qu'aucun JT italien ne raconte

10 : Les Aquilani en colère vont protester à Rome
11 : A trois mois du séisme vers le Sommet du G8

12 : La parade du G8 à son apogée et les réponses des Aquilani

13 : L'erreur d'Obama

15 : Vu de loin

16 : La grande confusion

17 : 6 mois après, cahin-caha, mais toujours en dépit du bon sens

18 : Après une longue mise sous tutelle, les Aquilani reprennent possession de leur ville que le gouvernement laisse mourir
19 : Manoeuvres électorales sur Wikipédia
20 : Un dimanche après l'autre et à la barbe des instrumentalisations, le tissu social de la ville se reconstitue

21 : 1 an après !
22 : Un an après, le bilan

23 : Deux films qui racontent l'horrible réalité du post-séisme
24 : Vers une Union européenne de sinistrés ?

25 : 15 mois après, les Aquilani sont toujours sinistrés, abandonnés leur sort et... matraqués

26, 27, etc... toute la suite ici

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Ecrit par ImpasseSud, le Dimanche 26 Juillet 2009, 09:20 dans la rubrique "Actualité".

Commentaires et Mises à jour :

morette
11-08-09 à 16:04

félicitation

bonjour, je m'appelle mélody. je compte faire de l'humanitaire l'année prochaine avec l'organisme du chemin neuf. je cherche actuellement les pays qui ont le plus besoin d'aide. tant de pays qui souffrent et que vois-je ! l'Italie ! Qui pourrait croire qu'à notre époque et qu'avec l'union européenne, cela puisse être possible.

Vos billets sont vraiment très bien rédigés. Félicitation. J'espère que la situation s'améliorera et que d'ici le début de l'automne un toit sera prêt pour tout le monde, ce qui semble dur à réaliser d'après ce que vous écrivez.

Courage à vous, à vous tous ! Je parlerais à mon entourage de cela, nous sommes sensés être des états de communication et de démocratie mais peu de choses circule au final...


 
ImpasseSud
11-08-09 à 18:15

Re: félicitation

Melody,
Merci pour ce commentaire sympathique. Moi aussi, j'ai du mal à croire ce que je vois parfois en Italie. Ce dont les gens de L'Aquila ont besoin, c'est de la possibilité de repartir, de s'organiser comme ils l'ont toujours fait, isolés entre leurs montagnes. Mais aujourd'hui on ne le leur permet pas.
En tous cas, bonne chance dans votre choix humanitaire... à condition qu'il ne vous fasse pas perdre de vue l'essentiel, parfois sous nos yeux contrairement à ce que dit le Petit Prince, - il faut dire que lui, il est d'une autre époque :-))) -, parce que par les temps qui courent, on passe son temps à l'enfouir sous de beaux discours.

 
Charlotte
19-04-12 à 20:36

CASE

Bonjour, 
Etudiante en école d'architecture, je me penche avec stupeur sur le cas de l'Aquila, duquel je ne savait quasiment rien. Je voulais vous remercier pour la clarté de vos articles et en profiter pour vous posez la question suivante : Berlusconi a lancé la construction de CASE, auriez vous une idée de l’endroit ou elle se trouve par rapport à la banlieue de l'Aquila ? Impossible de les trouver sur une carte...
Bonne continuation, 
Charlotte. 

 
ImpasseSud
22-04-12 à 10:05

Re: CASE

Bonjour Charlotte,

Vous avez raison de vous intéresser aux 19 "new town"( = C.A.S.E) de Berlusconi, car s'il y a eu quelques innovations du côté anti-sismique, c'est un des pires exemples du point de vue environnemental et urbanistique, et emblématique comme dispersion démographique et entrave à la RE-construction post-séisme qui n'est toujours pas repartie, dans le désintérêt politique le plus total : 3 ans après (6 avril 2009) L'Aquila est toujours dans ses gravats, blindée, mal et excessivement étayée, les new town sont toujours des dortoirs isolées l'une de l'autre et au milieu de nulle part, sans infrastructures, sans commerces ou le moindre centre d'aggrégation, etc.
Voici quelques liens :

- Les sites du projet Piano C.A.S.E. de mai 2009 avec la carte.
- mai 2010 : ce qui a été effectivement construit avec la carte.
- Infographie : http://ilcentro.gelocal.it/infografica/3656896
- La vidéo d'une émission de la RAI (TV d'état italienne) qui fait le point à 2 ans du séisme : on parle des C.A.S.E. à partir de la 29'. (En espérant que vous compreniez un peu l'italien)
- Vous pourrez également vous faire une idée des différents types de constructions en entrant "C.A.S.E. L'Aquila" dans Google images.
vidéo RAI du 29.02.2012 : le point à 3 ans du séisme. On y parle des C.A.S.E. à partir de la 22'.

Si je trouve d'autres liens intéressants pour vous, je les rajouterai ici.
En espérant vous avoir été utile...
bonne recherche et bien amicalement.
ImpasseSud