D’ici un quart de siècle, il se pourrait que cela fasse partie de la normalité. Dormir pourrait devenir une option, ou tout du moins on pourrait avoir le choix de ne dormir que quand on le désire. C’est la possibilité qu’offre déjà le modafinil, molécule anti-sommeil inventée en France il y a dix ans et prescrite depuis 1998 aux Etats-Unis (ProVigil) et en Grande-Bretagne (Cephalon) aux patients qui souffrent de narcolepsie.

C’est ce qu’explique Julia Llewellyn Smith dans un article paru le 6 janvier dernier « The 44-hour day » sur The Sunday Telegraph et repris par Le Courriel International. Bien entendu, les militaires l’utilisent déjà couramment. Quoi de plus important que la guerre ? Il paraît qu’il a été très utile dans la marche forcée sur Bagdad, en mars dernier, et que son usage aurait même éviter les bavures (!?). 

Il y a, cela va de soi, des tas d’autres applications possibles, et sans aucun doute plus intéressantes : terminer quelque chose sans être interrompu par un besoin de sommeil, absence de fatigue pour ceux qui travaillent de nuit, pour les jeunes mères, pour ceux qui font de longues gardes, qui doivent étudier; la possibilité de profiter au maximum d’un moment agréable même après une longue journée de travail, celle de pouvoir faire ainsi de longues étapes en voiture sans s'endormir au volant, etc. Et surtout la possibilité de pouvoir récupérer ce tiers de vie que nous passons à dormir.

Quoi de plus tentant, surtout que contrairement au café, aux amphétamines et autres drogues, cette molécule ne cause aucun effet secondaire notable (tout du moins à court terme), pas même un sentiment d’euphorie! On reste parfaitement réveillé et vigilant, c’est tout. 

Ceux à qui j’en ai parlé ont eu des réactions très différentes. Certains ne sont pas d’accord, par principe, mais d’autres affirment qu’ils aiment dormir et n’auraient aucun plaisir à y renoncer. Un ami s’est exclamé : « Mais c’est la pilule de l’esclavage ! On pourra obliger les gens à toutes sortes d’horaires de travail ! ». Pour ma part, même si cet anti-sommeil présente des aspects sans aucun doute positifs, il me semble qu'un usage systématique ou abusif pourrait conduire à un monde où il n’y aurait plus de différence entre le jour et la nuit, avec une activité continue et frénétique, un bruit permanent. Une coupure après seize ou dix-huit heures d'activité n’est-elle pas la bienvenue ? Sans compter que notre cerveau a besoin de repos pour classer les souvenirs et récupérer à travers les rêves. Il paraît que les médecins spécialistes qui prescrivent ce médicament espèrent bien que son usage ne deviendra pas une mode.

(Photo : Le Mythe de Morphée)