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Une femme seule à pied en Iran (1)
--> Le récit d’un voyage interminable sans jamais prendre l’avion

"Je fouille dans mon sac : j’écarte des pantalons légers qui laissent voir une partie de la jambe, le petit maillot avec des bretelles. Je trouve une culotte de gymnastique qui couvre les jambes jusqu’aux genoux, des pantalons longs et épais et une tunique, et je contrôle qu’on ne voit que mes mains. Et le voile ? Où l’ai-je mis ? J’en ai emporté trois et même si mon guide conseille d’utiliser des couleurs ternes, je m’y suis refusée et je les ai achetés de couleurs vives, fuchsia, rouge et bleu ciel.  Se couvrir le cou et une grande partie des cheveux est une obligation.

 

Derrière moi, le Mont Ararat, imposant, couvert de neige, entouré de nuages qui empêchent d’en voir le sommet. Ici, quelque part, il devrait y avoir l’Arche de Noé, comme le raconte la tradition biblique et comme le racontent les habitants aux quelques touristes qui arrivent dans ce coin perdu de l’Anatolie, en espérant les convaincre à aller faire un tour jusqu’à l’endroit où elle se serait posée il y a des siècles. Devant moi, il n’y a que de la terre, de la poussière, une file continue de camions et trois baraques. Il faut faire un kilomètre à pied, dans la chaleur, alourdie par des chaussures adaptée à l’hiver milanais, par trois épaisseurs de vêtements, par un voile qui m’étouffe, et par mon sac à dos, et ensuite je serai arrivée, à Maku, en Iran, à 242 kilomètres de Tabriz, la première grande ville iranienne, et à 866 kilomètres de Téhéran.

…………..

Arriver en Iran est seulement un long voyage, mais ce n’est pas difficile. Il faut obligatoirement passer par la Turquie.

……………………………………………………

Me voilà arrivée la frontière (….) C’est à mon tour de passer la douane, et je suis une file de personnes, les papiers à la main. L’un derrière l’autre, nous formons une colonne jusqu’à l’intérieur d’une petite cage, grande comme une pièce peut l’être, avec un toit bas et des grilles aux fenêtres. D’un côté, il y a, comme partout en Turquie, le portrait d’Atatuk (le fondateur de la Turquie d’aujourd’hui) et, au fond, le portrait de Khomeiny. Le temps d’entrer et on nous enferme à l’intérieur. On entend en même temps le son métallique des clefs du côté turc et du côté iranien.

Puis une main s’enfile à travers les barreaux : c’est un douanier iranien qui veut les passeports. Quelqu’un à l’intérieur les ramasse tous. Moi, je commence à souffrir de claustrophobie, je pense à un incendie. Dans cette pièce étroite, nous sommes enfermés à l’intérieur, sans possibilité de fuir. Je me pelotonne à terre, j’inspire et j’attends, je ne peux rien faire d’autre. Je regarde autour de moi, il y a des paquets partout et des gens étendus. On voit mal, les fenêtres sont trop petites. Nous avons donné une cinquantaine de passeports. Au bout d'une demi-heure environ, une autre main s’enfile à travers les barreaux : elle tient cinq passeports, dont le mien. Les autres devront encore attendre. Je peux sortir, (…).

Je suis de nouveau propriétaire de mon passeport et je suis finalement en Iran, après au moins dix jours de voyage. Je me dépêche de le remettre dans mon sac : si je le perdais, mon voyage serait terminé. (…) Par prudence, j’ai laissé ma carte de journaliste chez moi : en Iran, on n’aime pas les curieux (…).

En face de moi, il y a un édifice à la structure carrée : c’est la véritable douane iranienne. Il ne me reste que ce dernier passage obligatoire et ensuite, il faudra que je trouve un moyen de transport pour arriver jusqu’à Tabriz. Je passe la porte de la douane avec une certaine résignation : la frontière turque était un vide pneumatique. Il n’y avait rien, seulement une file interminable de camions poussiéreux et des gens qui te proposaient de changer tes dollars en rial, la monnaie iranienne, si possible en essayant de te rouler. Ce n’était qu’un murmure de « good, good change ». Toutefois, le change n’était jamais avantageux. Mais la situation en Iran est complètement différente, je me frotte presque les yeux : l’édifice est très propre. Devant moi, il y a un tapis roulant sur lequel passent les bagages pour être examinés. Sur le côté, une table avec cinq fonctionnaires qui travaillent de façon diligente. Au-dessus une pancarte indique la direction d’un libre-service, qui, quand j’y arriverai me semblera très très bien fourni en nourriture et « zam-zam », la Fanta locale. Je sais bien qu’il fallait se l’imaginer, mais je suis surprise par un petit fait de rien du tout : les étiquettes sur la porte des toilettes pour dames. On y voit le symbole d’une femme distinguée, avec un voile qui lui couvre rigoureusement la tête : je me dis que je suis bien en Iran.

Les contrôles douaniers sont rapides et efficients :  malgré tous les avertissements italiens à propos des livres, objets de censure, et hebdomadaires féminins qu’ici on considérerait comme de la pornographie, on ouvre à peine ma valise. C’est le premier de tous les signes que je trouverai en Iran de la volonté de Khatami d’encourager le tourisme presque inexistant dans le pays. C’est une femme qui contrôle mon sac à dos et j'en trouverai un très grand nombre dans tous les offices du tourisme, aux guichets des gares, à la réception des hôtels, et, naturellement, à l’hôpital où je finirai suite à une banale inflammation de la gorge.

Le visage de la jeune femme de la douane est entièrement entouré d’un voile noir et elle est mon premier contact avec le monde des  : moi aussi, je porte le voile et j’aurais presque envie de lui dire que désormais nous sommes pareilles. Maintenant, cependant, je commence à comprendre ce que ça signifie d’avoir toujours quelque chose sur la tête, que tu dois mettre chaque jour dès que tu as 7 ans si tu es née dans une famille sans instruction. Mais moi, ce voile, je ne le porterai que deux semaines.

 

Pour arriver à Tabriz, je prends un taxi, c’est le moyen le plus rapide : le prix de la course est l’équivalent de 10 Euros, pour plus de 250 kilomètres. (….) Ensuite, je m’embarquerai sur un autobus pour Téhéran et de là pour Ispahan.

 

Les autobus sont l'endroit le meilleur pour observer les gens. Tu es obligé de rester là pendant huit, dix heures, au milieu d’une route qui ne traverse rien, parce qu’en Iran entre une ville et l'autre, il n’y a rien. Et alors il ne te reste plus qu’à regarder les passagers. Ils sont toujours très gentils et ils sont éternellement surpris par le fait que sur un autobus local (parfois sans air conditionné), il y ait une étrangère.

Les filles te regardent avec plus de curiosité, et, sous leur tunique noire elles portent des jeans et des chaussures ouvertes. Les jeunes sont un peu le dénominateur commun de mon voyage. Ils sont si nombreux et il semblent qu’entre eux ils aient fait passer le mot d’ordre de réinterpréter le diktat islamique relatif à la façon de se vêtir, surtout à Téhéran. Plus on descend vers le Pakistan et les Emirats Arabes Unis séparés [de l’Iran, NdT] par le détroit d’Hormuz, plus les femmes sont couvertes. Le voile, les filles le portent de travers, avec des boucles de cheveux qui sortent en désordre. Il leur couvre la tête, mais à peine. Quelques adolescentes plus fantaisistes embellissent leurs cheveux avec des pinces de couleur qui piquètent leur tête ; d’autres endossent des tuniques tellement étroites, avec des jeans tellement collants, que si ce n’était pour le voile, elles ressembleraient à des Italiennes. Il n’y a rien d’étonnant à ce que des désordres aient éclaté dans les universités : les filles - 70 % de la population a moins de trente ans – veulent continuer à mettre des pinces de couleurs et à se faire belles, à naviguer sur Internet (tous les hôtels ont un ordinateur connecté à disposition de leurs clients ). Personne, parmi les plus jeunes, ne porte des bas, et les pieds nus dépassent sous le bord des jeans ou des jupes très longues. Même le voile noir laisse passer timidement d’autres couleurs : du blanc au bleu, tandis que les tuniques changent du vert au marron.

A Téhéran comme à Shiraz, on voit de jeunes couples qui osent se tenir par la main. Mais il est toujours impossible de s’embrasser, même d'un chaste baiser sur la joue. Cependant, qu'il s'agisse des familles ou des jeunes, personne ne renonce au rite des maisons de thé. En Iran, il y en a tant : de petits locaux pour se réunir sous les ponts d’Ispahan, si romantiques, ou dans les jardins de Mahan, dans lesquels résonnent les jets d’eau des fontaines. C’est une joie pour les yeux de les regarder : les jeunes, garçons et filles ensemble, sont étendus sur plusieurs épaisseurs de coussins très colorés, en train de bavarder ou de fumer le narghilé. Ils ont un aspect si érotique dans cet abandon au plaisir du bavardage, au goût des odeurs qui se répandent dans tout le local, qu’on ne comprend pas comment un baiser sur la joue pourrait être plus dangereux.

Mais l’heure de partir est venue : les odeurs s’atténuent, on oublie le goût du thé. Et, sur la Place Khomeiny à Ispahan, il arrive qu’on rencontre les étudiants des écoles coraniques afghanes qui, par milliers, ont trouvé refuge en Iran. Ils t’invitent dans leur madrasa et ils t’expliquent que tu n’es qu’une femme".

(Extrait de « Io, donna sola a piedi in Iran » de Lavinia Capritti, Il Nuovo, juin 2003)

(Traduction de l’italien par ImpasseSud)

(photos : 1 - 2) 

 

A suivre… 

 

Deuxième épisode et fin.

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Mardi 23 Décembre 2003, 18:24 dans la rubrique "Récits".

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