Tous ceux qui suivent la politique italienne étaient au courant de l’importance de ce 14 décembre, date à laquelle, après des mois de crise au sein de son propre parti, le Popolo della Libertà, la motion de « censure » contre Berlusconi devait être approuvée ou rejetée par le Parlement. Après des semaines les plus ignobles qui soient, au vitriol médiatique le plus vil et le plus dévastateur, aux chantages et aux pressions de toutes sortes, où on a même été jusqu’à spéculer sur la date d’accouchement de trois députées enceintes proches du terme, le « caïman » s’en est sorti une fois de plus, grâce à deux députéEs dissidentes qui ont tourné leur veste au dernier moment. Va savoir sous quelle soudaine impulsion ! Mais à quoi fallait-il s’attendre dans une étrange démocratie où les parlementaires ne sont plus élus par le peuple, mais nommés par les partis, donc contraints à obéir pour garder la place qui leur donne accès aux privilèges ? A quoi fallait-il s’attendre dans un pays où la corruption sous toutes ses formes est une pratique ancrée à tous les niveaux, ce qui fait que chaque vote, chaque adhésion a son prix ?
Mario Monicelli, le dernier des très grands cinéastes italiens s'est suicidé le 29 novembre dernier. A quelques exceptions près(1), ses films ne m'ont jamais beaucoup plu. Le sourire trop amer, vite insupportable, de la comédie humaine à l’italienne de celui qu’on appelait parfois le Balzac du cinéma, cette société d’un conformisme immuable vu à la loupe que rien ne réussit jamais à ébranler, comment cela peut-il faire rire indéfiniment ? Lui-même s’étonnait de son succès, y voyait un malentendu : « J’ai presque toujours décrit des personnages monstrueux. A l’étranger, on n’en revient pas que les Italiens les trouvent aussi sympathiques. » Par contre et bien qu'il soit misogyne(2), de la sympathie, moi j'en éprouvais pour l’homme qu’il était, tout le contraire du monde qu’il dépeignait.
Un Ministre des finances, Giulio Tremonti, qui, pour justifier ses coupes budgetaires aux biens culturels, s’écrie : « La culture ne se mange pas. », « Faites-vous donc un beau sandwich avec la Divine Comédie ». Propos qu’il aurait démentis par la suite, mais peut-on nier ce que le pays tout entier a entendu de sa bouche ? Un Ministre des biens culturels, Sandro Bondi, qui met à la tête de la gestion des musées l’ex administrateur délégué de McDonalds Italia, lui conseille de s’adresser au grand archéologue Amedeo Maiuri pour l’inviter à collaborer avec le Ministère sans savoir que celui-ci est mort en 1963 ; refuse d’aller au Festival de Cannes à cause de la sélection d’un film – Draquila - qui, sans qu’il l’ait vu ne lui a pas plu (sic) ; menace de s’occuper personnellement du jury du dernier Festival de Venise parce que Quentin Tarantino est un représentant de la culture relativiste ; traite les acteurs qui protestent contre les coupes de « communistes serfs et mendiants ! » (1) . Faut-il en rajouter ? Ici, il ne s’agit plus seulement de l'abandon des vestiges de Pompéi. Ici, l’inculture qui gouverne l’Italie va jusqu'à bafouer, piétiner la substance même, qui, depuis plus de deux mille ans, modèle sa civilisation. En réponse à tout cela, ce 22 novembre, tous les théâtres sont restés fermés, du nord au sud du pays, en grève pour protester contre les coupures de fonds au monde du spectacle (2) sans lesquels celui-ci ne peut pas survivre. Toujours en réponse à cela, voici, parmi les cris qui se sont élevés de toute part, les avis de deux hommes de culture éminents :
L’’Italie a l’un des plus grands patrimoines de biens culturels au monde, et ce 7 novembre, le monde entier s’est ému en apprenant l’écroulement de la Schola Armaturarum Iuventutis Pompeianae, la fameuse Maison des gladiateurs de l’antique cité romaine de Pompéi. « Fallait-il aussi sacrifier les Gladiateurs de Pompéi pour hurler à l’Italie et au monde le drame de la débâcle des biens culturels italiens depuis des décennies ? Il semble que oui, vu que le vacarme des récents écroulements dans la Domus Aurea de Néron et au sein même du Colisée n’ont pas été suffisants ! », s’est écriée Ilaria Borletti Buitoni, la présidente du FAI (Fondo Ambiente Italiano). La goutte d'eau qui a fait déborder le vase de l'indignation italienne déjà plein après ces deux écroulements, en mars et mai 2010. « Pompéi s’effondre, symbole d’une Italie en état de catastrophe culturelle », titrait Philippe Ridet dans Le Monde de vendredi dernier. On ne pouvait pas trouver meilleur titre !... bien que l’article, trop complaisant, témoigne une fois de plus qu'il ne comprend pas grand chose à l'Italie d'aujourd'hui. L’Etat dit ne pas avoir d’argent pour la manutention et la restauration de son patrimoine, mais, dans le cas présent, la privatisation est-elle la bonne solution ? Pas si sûr, quand on sait que Berlusconi (Président du Conseil de 2001 à 2006, puis de nouveau depuis 2008), sans attendre l’excuse de la crise, l’a déjà instituée en 2004, en sourdine, et qu'en Italie le terme de « privatisation » n’a pas forcément le même sens que dans les autres pays occidentaux.
La télévision, en principe je n'ai rien contre, mais je suis contrainte à ne pas la regarder, car la télévision italienne !!!!... 7 chaînes nationales dont 3 chaînes publiques RAI, 3 chaînes de Berlusconi et 1 chaîne privée, La7, toutes sous le monopole politique et/ou financier (à travers la publicité) de Berlusconi, qui, sauf de rares exceptions qu’on peut compter sur les doigts, sont la plupart du temps terriblement mauvaises. Ne serait-ce déjà que pour la longue invasion publicitaire dont elles sont l'objet tous les quarts d'heure, qui cassent continuellement l'attention. Autour de JT venimeux ou serviles, le culte de l'exhibitionnisme, du jeu et de l'argent facile, l’abondance des « veline », ces filles plus ou moins dénudées partout et à toutes les heures, et le monde des auditions et des complaisances, talk-shows-rixes, émissions de télé-réalité-voyeurisme et autres divertissements « dont la vulgarité n’étonnera que ceux qui n’ont jamais capté une chaîne italienne », ont fini par inciter un Italo-Suédois, Erik Gandini, à en faire un film documentaire, « Videocracy »(1-2-3). Présenté à la 66ème Mostra de Venise en 2009, titulaire de plusieurs prix, sa bande-annonce n'a cependant jamais pu passer sur les petits écrans italiens. Une télévision qui répond à la demande populaire, répète la rumeur à la suite du petit Président du Conseil. Et bien moi, je passe au contraire mon temps à répéter que ce n'est pas vrai, qu'il n'est pas possible que 60 millions d'Italiens soient tous satisfaits par cette grossièreté, ce casino, ce jeu de massacre permanents. Finalement, une nouvelle émission vient de le confirmer !
Mon premier billet de cette série racontait la résistance à la corruption du droit de vote démocratique. Celui-ci est sous le signe de la résistance à la corruption, à la destruction du territoire, car Naples et sa région sont de nouveau sous les ordures. De nouvelles explosions de colère, des camions qui brûlent dans la nuit, des affrontements avec la police, des mamme qui montent au créneau. Mais comment cela ?! Berlusconi n’avait-il pas, en 2008, fait un de ses habituels « miracles » ? N’avait-il pas résolu définitivement ce problème d'ordures vieux de 14 ans, le balai à la main dans les rues de Naples, une jeune femme à ses côtés, devant une claque complaisante et des médias à ses ordres pour les scènes nationale et internationale ? Mais en Campanie, les gens savaient bien qu’il n’en était rien, qu’il s’était contenté de faire disparaître les ordures des beaux quartiers, sans rien nettoyer en périphérie, sans bonifier les campagnes empoisonnées(1), que l’ouverture de nouvelles décharges allait continuer, et que le nouvel incinérateur imposé à Acerra (un modèle obsolète ?) malgré les protestations et inauguré en grande pompe avait au contraire eu du mal à démarrer, qu'il ne fonctionne jamais à plein régime mais est souvent en arrêt, est déjà sous enquête de la magistrature pour la nocivité de ses émissions.
A L'Aquila, 18 mois après le séisme du
Quand on sait qu’en 2050 et pour cause de natalité, les Africains pourraient représenter 80% des francophones, imaginez un peu le grand vide que cela ferait. En fait, l’article du Temps auquel je me réfère a pour titre « Et si les Africains quittaient le Sommet de Montreux ». Le « Sommet de Montreux », késaco ? se demandera-t-on sans doute en France. Car en France, je me demande si beaucoup de monde est au courant qu’aujourd’hui, justement,
Malgré les échos qu'on en a un peu partout dans le monde, l'atmosphère empoisonnée qui règne dans l’Italie d’aujourd’hui est difficile à imaginer pour ceux qui n’y habitent pas. Le pouvoir en place ne supporte plus la moindre critique, plus aucune entrave à ses business et magouilles, ad personam pour la plupart, et tous ceux qui osent, sans aucune arme de chantage en réserve, s’opposer, dénoncer cette terrible dégradation, deviennent immédiatement des cibles à abattre ou à rendre inoffensives, en les traînant dans la boue si on ne peut pas les acheter, quitte à fabriquer des faux infâmants. Certains médias sont désormais des spécialistes en la matière et la liste des victimes est déjà longue. Mais il y a ceux qui résistent, avec courage et bien organisés, qui continuent à raconter les choses telles qu’elles sont, soutenus par cette partie honnête de la population dont le pouvoir a peur. La légalité, la liberté d’expression et le droit de vote, ces trois points fermes mais parfois bouées de sauvetage de la démocratie, sont au plus mal. Comment conditionner des élections, vous demanderez-vous ? On peut arracher des promesses, mais chacun n'est-il pas seul dans l'isoloir ? Roberto Saviano, journaliste et auteur de Gomorra, un de ces courageux résistants que j'aime, va vous l'expliquer.