Hier soir nous avons mangé les crêpes, respectant comme il se doit la tradition de la Chandeleur. Je me demande bien souvent pourquoi je tiens autant à cette tradition. Probablement pour deux raisons très simples. Tout d’abord parce que j’aime les crêpes, au fromage, au saucisson, à la confiture, à la Nutella, au sucre, etc… et que j’aime le rite qui tourne autour : la cuisine chaude, l’odeur du beurre fondu, la participation de tous les convives, les « sautages » ratés et les rires qui s’en suivent, etc… Mais aussi parce qu’ "Entre mer et Maquis" cette tradition n'existe pas et que j’adore avoir recours à ce prétexte pour faire un petit tour en arrière, chez mes ancêtres.

Chaque année, ce 2 février est donc l’occasion d’un clin d’œil à un de mes arrière-grands-pères, Auguste de son prénom, que je n’ai pas connu vu qu’il est décédé neuf jours après ma naissance. De lui, j’ai hérité quelques-unes de ses nouvelles, de cinq ou six de ses poèmes, cocardiers ou romantiques (sa plume était très aiguisée), le récit des jours fastes et des manques dont il a entouré sa famille (il jouait aux courses), mais surtout, - et c’est là l’important -, je sais qu’un certain 2 février de je ne sais quelle année, il a mangé 32 crêpes. Non pas de ces petites crêpes qui couvrent à peine le fond de l’assiette, et ni même de ces crêpes bretonnes larges, brunes et fines comme de la dentelle, mais 32 crêpes dorées, un peu épaisses, qui remplissaient le fond des grandes poêles noires chauffées à la graisse de boeuf. Quand je pense que moi je cale après cinq ou six petites crêpes et que les plus gros mangeurs de mes Chandeleurs arrivent à dix ou douze….. je ne peux pas m’empêcher d’exhiber les « exploits » de cet ancêtre inconnu, lui accordant une place d’honneur dans mes souvenirs, prenant la relève de mes parents qui pendant des années n’ont jamais manqué une seule fois de me répéter cet « exploit », ceci de façon à ce que mes enfants en fassent autant.

Dès que la table est desservie, me voilà donc plongée une fois encore dans un vieil album aux photos ternies, m'arrêtant sur le portrait de cet homme aux grosses moustaches cendrées. Je commence même à faire des comptes. Grand-Père B., comme nous l’appelions, a eu une fille qui a eu trois garçons, qui eux-mêmes ont eu dix enfants qui ont donné naissance à onze petits enfants qui ont généré….. Pour l’instant nous en sommes à trente-sept descendants en ligne directe, sans compter les conjoints et les familles des conjoints à qui, un soir de la Chandeleur, on aura certainement rapporté que Grand-Père B., lui, en a mangé 32.  

Qui a dit que pour obtenir la pérennité, il fallait absolument faire une grande découverte, laisser un chef-d’œuvre, être un héros ou un conquérant ? 32 crêpes suffisent amplement. Hier soir, avant de m’endormir, je me suis demandé quel est « le fait éclatant » qui me permettra de voyager à travers les générations futures ?   

Mot-clef : Société