Jamais mort d’homme, ou plutôt agonie vu que Jean-Paul II est encore en vie, ne m’a parue plus indécente. Sous les réflecteurs des médias depuis deux mois, on le manipule jusqu’à la nausée, exhibant, parait-il avec son consentement implicite, sa souffrance, son impuissance, la douleur de son désarroi, etc., lui prêtant même, en une incroyable suite d’informations inexactes ensuite démenties, approximatives ou additionnées de « probablement », des pensées, des gestes, des phrases, des états d’esprit, des sentiments, voire même des situations ("Le pape voit et touche déjà le Seigneur", a déclaré, vendredi soir, un demi-sourire sur les lèvres, le cardinal Camillo Ruini qui sera chargé d’annoncer sa mort), comme si tout cet entourage papal, proche lui aussi de ce qu'on pourrait appeler une échéance, donnait déjà libre cours à un soulagement longtemps attendu mais toujours renvoyé, après un pontificat aussi long (depuis 1978).
Au niveau des médias et des hommes politiques italiens, l’hystérie collective est bientôt à son comble. Impossible de parler d’autres choses, impossible d’interrompre les déluges de louanges, les visages en bernes et les phrases de circonstances avant l'heure. On a même interrompu la campagne électorale en cours pour les élections de ce dimanche. "Toutes" les chaînes de télévision restent, sans interruption, en contact direct avec le Vatican, les journalistes de service débitant inlassablement les mêmes ritournelles sans nouvelles, retransmettant une messe, des prières, un débat sur le pape, un film sur la vie du Christ, renvoyant à plus tard tous les programmes sans teinte profondément catholique. Et je ne parlerai pas des manifestations exagérées d’une foule éplorée sur la place Saint-Pierre, à Rome, des jeunes qui crient le nom du pape en battant des mains en cadence, des religieuses issues du XIXe siècle qui donnent l’impression qu’elles vont perdre leur raison d'être, de la multitude qui prie avec une ferveur enragée comme si celui qui est sur le point de mourir était le plus grand des pêcheurs ou l’unique personne pour qui il vaille la peine de prier, des scènes de pleurs lors de ses dernières apparitions à travers les fenêtres de l’Hôpital Gemelli ou aux fenêtres de son appartement.
Exaspérée au plus haut point mais aussi hébétée, je regarde sans comprendre. Je ne trouve rien d’anormal à la préoccupation des catholiques et je suis parfaitement consciente du fait qu’un changement de pape réserve de grosses inconnues, religieuses mais aussi politiques et éthiques. Je sais également que la perte d’un chef, surtout plein de charisme comme celui-ci, peut être douloureuse. Mais cet étalage est-il nécessaire ? Les sentiments en sont-ils plus vrais, ou bien suit-on, là aussi (et là, je retrouve le goût prononcé de Jean-Paul II pour la médiatisation), la mode actuelle de l’exhibitionnisme ?
Pour ma part, il y a une chose que je reconnais à ce pape, c’est sa prise de position claire et nette contre la guerre, et en particulier contre la guerre préventive en Iraq. Mais le reste ? Les femmes ont-elles gagné une plus grande reconnaissance durant la gestion de son pontificat ? Ces femmes qui avec leurs enfants remplissent presque à elles seules la plupart des églises, ont-elles vu leur statut s’améliorer au sein de l'Eglise catholique? Leurs droits, leurs pouvoirs, la qualité du rôle qu'on leur réserve, leurs prérogatives ont-ils augmenté ? Ce pape a-t-il eu une influence réelle et décisive sur les riches de son troupeau pour qu’ils allègent les souffrances des plus pauvres ? Ou bien, suite aux choix discutables de ses béatifications et canonisations, a-t-il au contraire libéré l’intégrisme catholique et fait reculer le mouvement œcuméniste lancé par Paul VI ? Et le spectacle de sa maladie repoussée et allégée par les soins les meilleurs, n’est-il pas un soufflet pour ceux qui souffrent dans la misère la plus noire sans pouvoir se soigner? Ou bien s’agit-il d’un ultime acte de prosélytisme, basé sur le pouvoir de l’émotion, pour amener quelques brebis de plus au bercail ?
De toute façon, je trouve cette situation insupportable et je souhaite qu’il passe au plus vite, car comme disent les Italiens (qui, sous la pression d'un pontificat de 26 ans semblent l’avoir oublié), « morto un papa, se ne fa un altro »*. Jean-Paul II n’échappera pas à cet adage, et d'ici quelques années, on sera certainement plus à même de faire la part des choses.
* « Si un pape meurt, on en fait un autre ».
Mots-clefs : Religions, Médias, Europe, Iraq, Femmes, Italie
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Re:
En tous cas, ce n'est pas l'impression que j'ai eue en voyant, en gros plan à la télé et sur tous les journaux, la grimace d'impuissance qu'il a faite de la fenêtre de son appartement le jour de Pâques. On aurait dit un gros bébé qui va pleurer de dépit. J'ai été scandisée et je trouve que ce jeu de massacre (probablement terminé, heureusement) était d'une grande cruauté.
Re: Re:
Entre chapelle ardente, enterrement, un deuil de 9 jours, la convocation du conclave (15 jours env.) et l'élection du prochain pape, il faudra attendre encore un mois pour qu'il puisse reposer en paix.
Re: Re: Re:
Impassesud, en Italie il y a aussi du bon vin (avec les bons petits restos) ! Par quel hasard en ce dimanche, à la maison, nous avons un "Merlot del veneto" (en promo !), (et pas de choucroute) ! Bon, cela me permet d'avoir une pensée pour toi et pour Nymes (Où est gamin ?)
A bientôtRe: Re: Re: Re:
Je sais très bien qu'en Italie il y a beaucoup de bonnes choses. Et ceux qui me lisent depuis longtemps savent que je le sais :-)))). L'Italie me manque dès que j'en sors. Si, dans mes archives, tu vas faire un tour dans ma rubrique Méditerranée tu pourras t'en rendre compte.
Seulement que du côté religion... Ici, plus que d'une foi, il s'agit d'une tradition inscrite dans l'ADN. Même l'air qu'on respire en est imprégné. Mais l'odeur n'est certainement pas celle de la sainteté.... En fait, il faut habiter en Italie pour comprendre comment ça marche.
Re: Re: Re:
« Jean Paul II est décédé ce soir à 21 heures 37, et la foule de la Place Saint-Pierre, à qui on vient de l'annoncer, .... a commencé à applaudir !?!? »
Ca ne m'étonne guère... J'ai un peu l'impression que le "peuple" de la Place St-Pierre est quelque peu "conditionné", et ne se rend pas tellement compte de l'énormité de la situation... Bref, quoiqu'il en soit, cet étalage dont tu nous fais part dans ton article est tout simplement caricatural (je l'ai regardé un moment sur la TSR (édition spéciale, programmes coupés tout simplement, idem sur TF1... ce que n'ont pas fait d'autres chaînes !!), mais bien réel... hélas !!
Je me doute bien qu'étant Pape, Jean-Paul II avait des obligations, mais là, tout portait à croire que ses dernières "obligations" lui avaient été imposées, et que jamais il ne pourrait mourir en paix... D'ailleurs, vu son état de santé, je suis d'avis qu'on aurait pu le laisser tranquille depuis longtemps !!
Mais bon, les "lois" du Vatican étant très strictes et, de plus, le "protocole" devant être respecté à la lettre, la mise en terre n'aura lieu que dans 9 jours (aberrant) et l'élection d'un nouveau Pape pas avant 1 mois, le temps que tout soit fini... Bref, je suppose qu'on en aura pas encore fini avec le battage médiatique dont sont capables les chaînes télévisées...
En tout cas, même si je suis athée, paix à son âme... Il aura "combattu" la guerre à sa manière, mais sa position par rapport aux femmes a été et restera ambigüe...
Re: Re: Re: Re:
Gamin, non, je ne crois pas que les gens qui étaient sur la Place Saint-Pierre étaient conditonnés. Ils avaient envie d'être là. Aujourd'hui les foules applaudissent pour tout et pour n'importe quoi, que la situation soit gaie ou triste !? Il doit s'agir d'une nouvelle façon d'exprimer ses émotions.
Re: Re: Re: Re: Re:
Oui, pour moi aussi, la seule chose positive de ces 26 années de pontificat aura été ce non à la guerre en Irak. Il aura fallu attendre longtemps pour voir un engagement réel au coté des plus faibles. Car bien que parlant en leur nom, il a surtout été du coté du plus fort...
Re:
Là, je reconnais bien ton talent de journaliste! En quelques mots, tu as parfaitement cerné ce personnage, et intutile de dire que je suis d'accord sur tous les points.