S’il y a un système qui a le don de m’exaspérer, c’est bien celui-là, car il est toujours la cause d’une sélection arbitraire. Après le numerus clausus à l’entrée de certaines facultés, après celui réservé aux immigrés, etc., il s’abat désormais sur le tourisme. Il faut reconnaître que l’explosion du tourisme de masse n’a pas que des côtés gratifiants. Moi, je veux bien que tout le monde voyage à bas prix vers les lieux les plus enchanteurs, les plus riches, les plus renommés, mais les masses qui débarquent en troupeaux ou en blocs compacts, sans aucun intérêt réel pour l’endroit, imperméables aussi bien à ce qui les entoure qu'à la population locale, bruyantes, ne recherchant que ce qu’ils ont déjà chez eux (avec éventuellement un peu plus de soleil) et critiquant tout le reste, laissant souvent derrière eux un sillage d’antipathie et de détritus, empêchent, gâchent désormais l’accès du voyageur, qui, même s’il ne dispose que d’un ou deux jours, savoure son temps, pose un regard neuf sur ce qu'il découvre, se laisse gagner par l’ambiance, les habitudes, les horaires, le dépaysement, saisit les occasions de sentir, goûter, deviner, comprendre, échanger. Alors on en vient au numerus clausus, avec tout le despotisme violent et souvent injuste que cela comporte.
Un bon dossier et une excellente note en math suffisent-ils à faire un bon médecin ? Il y a beaucoup de qualités, d’humanité, d’écoute, etc… qui sont tout aussi nécessaires, mais que n’ont pas forcément ceux qui passent la sélection. A 18 ans, on encore « vert ». Alors de quel droit ferme-t-on les portes à un candidat un peu moins brillant mais vraiment désireux de soigner, d’alléger les douleurs des autres ?
Quant au tourisme, et bien cette fois-ci le numerus clausus touche les Iles Eoliennes, ces perles de la Méditerranée au nord de la Sicile. En effet, bien que très petites et avec une capacité d’accueil fortement limitée, chaque jour, en été, en provenance des côtes calabraise ou sicilienne toutes proches, on assiste au débarquement par bateaux entiers de « mordi e fuggi » comme on les appelle sur place (qui bouffent et foutent le camp), avec des pointes, au mois d’août, de 8000 personnes par jour, génératrices d’un chaos insupportable et d’un apport de déchets impossible à éliminer. Contrairement à ce qu’on pense volontiers (que le tourisme apporte de l’argent), cet afflux excessif ne peut qu’endommager l’environnement et déranger les véritables habitants, jaloux de préserver le cadre de vie dans lequel il ont choisi de vivre, de rester (en hiver ce choix n’a rien de facile), mais aussi tous ceux qui ont programmé des vacances à l’heure méditerranéenne, avec ses horaires, ses pauses obligatoires, ses saveurs, ses parfums, ses silences. Sa « culture » en un mot!
C’est ainsi que le maire de Lipari (l'île principale) qui a aussi le titre de commissaire délégué aux urgences touristiques, vient de signer un arrêté qui prévoit que de juin à septembre, les bateaux privés en provenance de
Bref, moi je vois la question ainsi : les touristes qui ne vont là que pour faire la queue chez les marchands de « pannini », de portions de pizza, de souvenirs et de cartes postales, vont, de juin à septembre, c’est-à-dire la période de vacances pour le plus grand nombre, empêcher l’accès aux voyageurs qui, eux, avaient une réelle envie de voir, de marcher à pied, peut-être même de fouiller dans le passé, de découvrir les deux îles depuis la mer, de faire l’ascension partielle du volcan de la seconde, de s’immerger dans un monde enchanteur, hors du temps, indifférent, orgueilleux de sa beauté pure, mais dont il est tout à fait possible de saisir quelques bribes en une seule journée.
Le tourisme de masse, à quelques exceptions près, est le tourisme le plus bête qui soit. Enrégimentés, les gens passent à côté de presque tout ce qu’il faudrait voir, ressentir, humer, goûter, et le développement immodéré des Tour-opérateurs est une sérieuse menace envers les beautés de notre planète. Je ne vois pas bien quelle pourrait être la solution à ce problème, mais je continue à être contraire au principe du numerus clausus. Seriez-vous d'accord qu'on en mette un sur les ascensions au Mont-Blanc, sur la Vallée blanche, sur l'accès au Mont Saint-Michel, ou sur tout autre lieu merveilleux devenu, à l'improviste, trop touristique ?
Mots-clefs : Planète Terre, Europe, Méditerranée, Société, Italie
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Re:
Numerus-clausus 2
Difficile de contrôler le nombre de touristes arrivant dans une zone donnée (pour une île ça passe, encore que pour cet exemple il suffit de multiplier le nombre de bateaux pour contourner la règle). En pratique le numerus-clausus risque de passer par des taxes suplémentaires sur l'hébergement, le mouillage des bateaux, l'accès à la montagne...pour filtrer les touristes sur une base économique (comme ça se fait déja pour l'Everest).C'est plus facile à organiser et ça rapporte du pognon.
La protection des sites fragiles est-elle à ce prix?En tout cas, dur de favoriser le "bon" touriste sur le "mauvais".Et puis le touriste qui s'en fout du site qu'il visite, en général il dépense plus de fric (glaces, pédalo, souvenirs...).On est pas près de le rejeter à la mer!
Re: Numerus-clausus 2
Contourner le numerus clausus ne sera pas facile, car cette norme vise surtout les embarcations privées.
Belle analyse.... mais bien décourageante. Les bons touristes seront-ils bientôt condamnés à rester chez eux? Pour ma part et vu que j'aime les volcans, que je connais déjà l'Etna, Vulcano et le Vésuve, ça fait des années que j'aimerais aller à Stromboli. Mais avec ou sans numerus clausus, je trouverais tout à fait insupportable de me retrouver coincée dans la foule. Il va donc falloir que je combine les jours fériés, la disponibilité et la forme de ceux qui aimeraient m'accompagner avec un beau temps assuré (en hiver les Eoliennes sont très souvent isolées par les tempêtes) hors des mois d'été!!!!
Panarea ne sait plus où mettre ses ordures
Bien que le numerus clausus soit entré en vigueur depuis quelques jours (jusqu'au 30 septembre prochain), l'île, cet été, risque de devoir affronter une crise.
Voir la joilie vidéo de La Repubblica