D’après le très bel article de Marie Huret paru dans L’Express de la semaine dernière (j’en conseille vivement la lecture), selon l’Unicef, en Inde « il y aurait 40 millions de «femmes disparues», niées, effacées, à la suite d'avortements sélectifs, mais aussi d'infanticides, une autre pratique particulièrement fréquente dans certaines régions, dont le Tamil Nadu. »
Les Indiens ne veulent pas d’enfants de sexe féminin parce cela coûte trop cher : tout d’abord il faut les éduquer, et ensuite il faut les marier et payer leurs dotes. Donc, ils préfèrent n’avoir que des garçons qui sont une source de profit. Pour ce faire, cette société aux traditions patriarcales oblige les femmes à faire ce qu’elle appellent « le test » aux alentours de la treizième semaine de grossesse, c’est-à-dire une échographie, afin de connaître le sexe de l’enfant. Ensuite, s’il s’agit d’une fille toute la famille fait pression sur la femme, allant même jusqu’à la jeter à la rue, afin qu’elle avorte. C’est ainsi que Priya qui a près de 30 ans a déjà quatre filles mais a également avorté six fois après six espoirs d’attendre un garçon. Pavani a avorté cinq fois avant d’avoir son premier fils. Les mères sont convaincues que d’avoir une fille est une malédiction et que de ne pas avoir de garçons est une preuve d’incompétence.
Si cette pratique est courante dans les familles pauvres qui n’ont pas les moyens de fournir une dote à leurs filles, elle l’est tout autant dans les familles aisées, dans le Pendjab, par exemple, qui est devenu l’état le plus riche du pays : depuis la Révolution verte des années 60, les couches moyennes se sont enrichies et ne veulent pas que leur fortune finisse dans leur belle-famille.
La conséquence de cette pratique, c’est que l’Inde manque de filles. Alors qu’en Europe, il y a 1050 filles pour 1000 garçons, dans les deux Etats du Nord, le Pendjab et l’Haryana, on compte respectivement 793 et 820 filles pour 1000 garçons. Les femmes y subissent souvent cinq ou six avortements (souvent sans anesthésie) avant de concevoir un fils. Et les fils des villages doivent ensuite « importer » des femmes des états voisins car ils n’en trouvent pas chez eux.
Pour combattre cette tendance, en 1994, le gouvernement indien a officiellement interdit aux gynécologues de révéler le sexe du fœtus, sous peine de radiation, d’une amende équivalente à 1000 euros et de cinq ans de prison. Mais le pays étant vaste, la loi est inapplicable, et il existe mille façons de la contourner. Par contre, cette loi a fait naître la corruption.
Certaines femmes d’une certaine culture comme Shamila, 28 ans, (qui a fréquenté l’université) commencent à se rebeller à cette pratique. Elle a gardé sa deuxième fille contre l’avis de sa belle-famille et elle l’élève de façon à lui donner les mêmes chances que s’il s’agissait d’un fils. Bien sûr son éducation l’a aidé : «Je n'aurais pas résisté, ni gagné cette bataille » , dit-elle, « si je n'avais pas eu cette confiance en moi, en mes deux filles, et en nous, les femmes.»
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Je suis toujours surprise par ces histoires de femmes face à la procréation, alors qu’il s’agit de la chose la plus naturelle du monde. Que ce soit dans une civilisation ou dans l’autre, il y a toujours un problème quelque part, seul son aspect change. Le fond reste toujours le même : la valeur d’une femme est presque toujours cantonnée à ses fonctions d’objet de plaisir et de reproduction. En Inde, on prétend d’elles qu’elles aient des garçons, en Chine la loi limite les naissances à un enfant par couple, en Europe et dans le monde occidental en général, on prétend d’elles une certaine liberté de mœurs, et surtout qu’elles ne soient pas enceintes au moindre rapport. D’où recrudescence des pilules en tous genres, anticonceptionnelles et de celle du lendemain qu’on distribue gratuitement aux mineures. (Voir l’article de Libération du 26.08.2003 « La pilule du lendemain, une urgence chronique »). L’IVG se pratique encore de façon clandestine dans de nombreux pays, et dans ceux où elle est légale on l’effectue, comme en France, tout d’abord avant 10 semaines puis 12 semaines, tout en s’opposant aux 16 ou même 20 semaines d’autres pays. Ces délais n’ont rien à voir avec la femme ou le fœtus, ils sont soumis au désir des hommes de pratiquer ou de ne pas pratiquer des avortements, car il n’est pas vrai que l’abondance des requêtes provoque des listes d’attente dans les hôpitaux, mais la vérité, c’est que les listes d’attente s’allongent à cause du manque de disponibilité, et du manque de personnel à cause de l’absence de fonds. En Inde comme en Europe, on prétend de la femme qu’elle avorte « si et quand » cela convient au système en cours. En fait, que ce soit en Inde ou en Europe, c’est des principes même de la procéation et de l’avortement dont on se moque.
Une fois de plus le progrès porte, non pas à la libération de la femme, mais à un autre genre de manipulation. Nous sommes toujours dans le domaine de l’opportunisme. La contraception devait libérer la femme et lui apporter le droit d’avoir des relations sexuelles à l’abris de l’éternelle hantise d’un grossesse, la légalisation de l’avortement devait lui donner le droit de décider de son corps sans courir de risques. Et l’écographie ne devait-elle pas lui apporter la confiance ?
Les prétextes, invoqués tour à tour, qui poussent à nier, autoriser, retarder ou obliger à un avortement sont tous subjectifs, et tous liés à une notion de calcul mesquin ou de pouvoir sur les femmes. Aucun d’entre eux n’est basé sur une question d’éthique comme on veut parfois nous le faire croire, et aucun d’entre eux ne tient compte à priori du bien-être de la femme et de l’enfant que celle-ci a le pouvoir d’engendrer ou qu’elle est en train de procréer.
Commentaires et Mises à jour :
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En Chine
Voir également cet article « Les autorités au secours des filles » paru dans Le Courrier International
« Pour 100 filles qui naissent en Chine, on décompte 116 garçons. Depuis que les moyens de connaître le sexe des enfants à venir existent, avortements, abandons et infanticides sont entièrement préjudiciables aux filles",
« 99 % des enfants adoptés en Chine par des étrangers sont des filles",
"Elever une fille, c’est la même chose qu’arroser le jardin du voisin"
Les autorités chinoises ont finalement pris conscience des dégâts causés sur l’équilibre de la population par une telle mentalité et des ballons d’essai ont été lancé dans plusieurs provinces : « Prenez soin de vos filles », versant 2000 yuans (= 205 euros) aux parents qui élèvent des filles, avec exemption d’impôts sur les récoltes, prise en charge de 9 ans de frais de scolarité et de certains frais médicaux, et campagne d’information sur l’ « égalité » des sexes.
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En Ouzbékistan, stérilisations forcées
Selon l’Institute for War and Peace Reporting (IWPR), afin d’éliminer les pauvres (plus que la pauvreté), le gouvernement n’a rien trouvé de mieux que de promouvoir une campagne de stérilisation forcée des femmes des régions rurales du pays.
Dans ce pays pauvre (pas pour tout le monde, évidement), le Ministère de la santé a mis sur pied une campagne de régulation des naissances. Mais dans cette société traditionaliste, rurale et de religion musulmane où les femmes se marient aux alentours de 18 ans et ont en moyenne quatre ou cinq enfants, la persuasion n’a pas eu de grands effets. Alors depuis l’an 2000, ce même ministère a émis un décret « réservé » qui suggère aux médecins de profiter des moindres occasions d’hospitalisation pour pratiquer des hystérectomies forcées et l’application des spirales immédiatement après l’accouchement (alors qu’il faudrait attendre au moins trois mois si on ne veut pas courir le risque d’infections… qui à leurs tours créent un prétexte pour une hystérectomie).
Gulbahor Turaeva, directrice du Département de Pathologie de la région de Andijan, a raconté aux journalistes de l’IWPR, que dans cette seule région, entre septembre et décembre 2004, elle a compté 204 cas d’hystérectomies sur utérus sains. Les médecins qui n’arrivent pas à respecter des objectifs de réduction des naissances dans leurs districts sont licenciés, purement et simplement.
(Sources : Peacereporter)
En Russie : Une autre mesure opportuniste sur le dos des femmes
En Russie, l’avortement est légal depuis 1955, mais c’était également jusqu’à il y a quelques années le premier moyen anticonceptionnel. La pilule n’est arrivée en URSS que dans les années 70 et elle été accueillie par les médecins avec une forte suspicion qui n’a pas encore disparu. Quant aux autres pratiques contraceptives, elles y étaient pratiquement inconnues. Les préservatifs russes ( les « galoches ») étaient jusqu’à quelques années en arrière fameuses pour leur manque de praticité et leur faible résistance.
Ces dernières années cependant, en Russie on a lancé des initiatives pour diffuser l’éducation sexuelle et l’utilisation des contraceptifs. Les associations humanitaires sont arrivées dans les écoles et les villages, et le nombre des avortements qui était de 4.600.000 en 1998 est descendu à moins de 2.000.000 l’année dernière.
Et pourtant, le 11 août dernier le gouvernement russe a approuvé un décret qui change les règles de l’avortement légal, passant du délai maximum de 22 semaines de grossesse à 12, et réduisant le droit à l’avortement de 13 à 4 circonstances : viol, emprisonnement, mort ou grave invalidité du mari, personnes sous tutelle.
Le gouvernement russe veut plus de naissance. Il y aurait 15 avortements pour 10 naissances. Le nombre des naissances annuel étant de 1.200.000, il en faut 800.000 de plus pour assurer un développement démographique.
Les organisations religieuses intégristes pour le « droit à la vie » se sont réjoui, mais les mouvements des femmes ont protesté.
« Sur les routes russes », a déclaré Julia Kachalova de l’association « Focus Foundation » de Moscou, « il y a déjà 4.000.000 d’enfants abandonnés à la misère. Et au lieu de les assister et de les protéger, eux et leurs familles, le gouvernement russe pense à promouvoir la naissance d’autres misérables. »
Depuis la nuit des temps, aucune loi n’a jamais empêché les femmes d’avorter. C’est pour cela qu’il était nécessaire de légaliser cette pratique afin de la transplanter en milieu hospitalier. Mais les siècles passent et rien ne change, on continue à manipuler les femmes afin qu'elles fassent des enfants à la demande et sur mesure.
(Sources : Il Manifesto)