Si je publie cet article après une traduction douloureuse, - de par son contenu -, du texte italien traduit de l'article russe pour Peacereporter, ce n’est pas tant (ou pas seulement) pour dénoncer une fois de plus les tortures infligées au peuple tchétchène et dont les témoignages abondent déjà, ni la pratique de la torture de la part des Russes, (pour cela voir « Tchétchénie »), mais surtout en hommage à une grande dame russe, Anna Politkovskaïa, journaliste comme il n’en est plus guère, en un geste d’union avec tous ceux qui, dans le monde entier, désirent que le silence ne tombe pas immédiatement sur son assassinat, le 7 octobre dernier, et, encore mieux, espèrent qu’elle ne sera pas morte en vain.
« Tout le monde nous a demandé : "L’assassinat d’Anna Politkovskaïa a un rapport avec l’article sur les tortures en Tchétchénie qu’elle était en train de préparer et dont elle avait parlé au cours de l’émission de Radio « Liberté » le jeudi 5 octobre, deux jours avant sa mort ? "
Aujourd’hui, nous publions deux fragments du matériel qu’Anna était en train de préparer, sans aucune correction de notre part. Le premier est un texte qui contient les premières déclarations des victimes de la torture, confirmées par des données médicales. Le second est composé de photos (celles que vous voyez dans l'article en italien, ndr), sur lesquelles auraient dû se baser un second texte, jamais écrit. Nous savons, grâce à l’homme qui lui a remis ces témoignages, que sur le disque dur de l’ordinateur séquestré chez Madame Politkovskaïa il y avait les récits des tortures subies par des citoyens dont l’identité nous est inconnue. Les enquêtes pour découvrir les meurtriers sont encore en cours. Certaines hypothèses affirment qu’il s’agit des fonctionnaires d’une structure gouvernementale tchétchène.
La rédaction de Novoya Gazeta.(en français)
« ON T'APPELLE TERRORISTE.
L’usage de la torture dans le programme antiterroriste dans le Nord du Caucase.
Tous les jours, j’emporte avec moi des dizaines de petits dossiers. Ce sont les copies du matériel qui concerne les procès de personnes que nous accusons de "terrorisme", dont un grand nombre n’a pas encore été condamné définitivement. Pourquoi est-ce que je mets le mot terrorisme entre parenthèse ? Parce que la grande majorité de ces personnes est qualifié de terroriste. Et cette habitude de "qualifier de terroristes" n’a pas seulement supplanté, à l’aube de l’année 2006, toutes les autres formes de lutte contre le terrorisme, mais a également commencé à créer un nombre assez important de personnes qui veulent se venger, donc de terroristes en puissance. Quand les magistrats et les tribunaux travaillent non pas sous l’égide de la loi, mais aux ordres de la politique, avec, pour objectif de seconder les désirs du Kremlin en matière d’antiterrorisme, les crimes croissent comme des champignons.
La production en série de confessions "spontanées" fournit d’excellentes données au programme de "lutte contre le terrorisme dans le Nord du Caucase".
Voici ce que m’ont écrit les mères d’un groupe de jeunes dissidents tchétchènes : " … en réalité, ces colonies correctionnelles sont de véritables camps de concentration pour les dissidents tchétchènes qui sont soumis à la discrimination sur le sol national. Ils ne peuvent ni sortir de leurs cellules ni des blocs d’isolement. La majorité des dissidents, pour ne pas dire la presque totalité, est en détention sous de fausses accusations, sans qu’il existe aucune preuve pour les confirmer. Le fait d’être détenus dans des conditions terribles, de voir sa propre dignité humiliée, génère en eux de la haine envers tout et tout le monde. Ce qui rentre chez nous, c’est une armée entière dont on a compromis l’avenir… "
C’est clair : j’ai peur de leur haine. J’en ai peur parce cette haine s’éloignera de
Il n’y a pas très longtemps, l’Ukraine a extradé, sur demande russe, un certain Beslan Gadaev, de nationalité tchétchène, arrêté début août au cours d’un contrôle d’identité en Crimée où il résidait. Voici quelques lignes de sa lettre du 29 août :
" … après avoir été extradé depuis l’Ukraine jusqu’à Groznyï, on m’a traîné dans un bureau où on m’a demandé si j’avais tué des membres de la famille Salichovyi, un certain Anzora et un de ses amis. J’ai nié, disant que je n’avais tué personne et que je n’avais jamais fait coulé une goutte de sang, ni russe, ni tchétchène. Eux, ils ont répondu : " Non, tu les as tués." J’ai de nouveau nié. Alors ils ont immédiatement commencé à me battre. Tout d’abord, ils m’ont frappé deux fois avec un bâton près de l’oeil droit. Quand je me suis ressaisis après ces coups, ils m’ont fait tourner, m’ont attaché les mains et mis des manettes, ensuite ils ont enfilé un bâton entre mes jambes de façon à ce que je ne puisse pas bouger mes mains. Puis ils m’ont empoigné, ou plutôt, ils ont empoigné ce bâton et ils m’ont suspendu à deux petites armoires, à environ un mètre du sol. Tout de suite après ils ont entouré mes auriculaires avec un fil électrique et, quelques secondes plus tard, ils ont commencé à faire passer le courant tout en me frappant partout avec une matraque en caoutchouc. Comme la douleur était insupportable, j’ai commencé à crier, à appeler le Très Haut, et à les supplier d’arrêter. Pour toute réponse, ils m’ont mis sur la tête un sac en plastique noir, de façon à ne plus entendre ce que je disais. Je ne sais pas exactement combien de temps ils ont continué, mais à un certain point, j’ai commencé à perdre connaissance de plus en plus souvent à cause de la douleur. Quand ils s’en sont aperçu, ils m’ont ôté le sac de la tête et m’ont demandé si j’étais prêt à confesser. J’ai répondu que oui, bien que je ne sache pas de quoi ils étaient en train de parler. Je l’ai fait seulement pour qu’ils arrêtent de me torturer pendant un moment."
"Alors, ils m’ont décroché des armoires, ils ont enlevé le bâton et m’ont jeté à terre en me disant : "Parle !" J’ai répondu que je n’avais rien à dire. Sur ce, ils ont recommencé à me frapper sur l’œil droit. Les coups m’ont fait rouler sur le flanc, et alors que j’étais presque inconscient, ils m’ont bâtonné. Puis il m’ont de nouveau pendus aux armoires et ils ont recommencé depuis le début. Je ne sais pas pendant combien de temps cela a duré, ils continuaient à me ranimer avec de l’eau.
Le jour suivant, ils m’ont lavé et bandé le visage et le corps. Plus ou moins aux alentours de l’heure du repas de midi, un fonctionnaire de la commune est entré. Il m’a dit que des journalistes allaient venir, qu’il fallait que je confesse trois homicides et quelques vols, et que si je ne le faisais pas, ils recommenceraient à me torturer, passant même aux abus sexuels. J’ai accepté. Les journalistes m’ont interviewé et, quand ils sont parti, les hommes qui m’avaient torturés m’ont fait promettre de ne rien raconter, me menaçant, si je parlais, de m’arrêter à nouveau et de tout recommencer. Ils m’ont également obligé a déclarer que tout ce que j’avais subi était la conséquence d’une tentative d’évasion."
« Zaur Zakriev, avocat de Beslan Gadaev, a dit à ses collègues de "Memorial" que dans le territoire de Groznyï, les violences physiques et psychologiques comme celles qu’a subi son client sont à l’ordre du jour. Zakrev continue en affirmant que son client a admis d’avoir participé, en
D’après l’avocat, les tortures subies ont eu de profondes conséquences sur la vie de son client. Les médecins de la structure SIZO-1 de Groznyï dans laquelle est actuellement détenu Gadaev (accusé d’ "association criminelle" d’après l’article 329 du Code pénale de
Pour toutes ces violations des droits de l’homme, Zaur Zakirev a présenté un recours au procureur général de
Anna Politkovskaïa
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