Tout le monde a déjà entendu prononcer ou lu ce terme, devenu plus ou moins générique pour désigner quelque chose de douteux, de malhonnête. Pour ceux qui en connaissent la définition exacte, c’est, comme le dit le Larousse une « organisation criminelle sicilienne dont les activités, exercées par des clans familiaux, soumis à une direction collégiale occulte, reposent sur une stratégie d’infiltration de la société civile et des institutions ». Sicilienne, elle l’est toujours, mais elle ne l’est plus exclusivement.  Suivant les pays, suivant les régions on l’appelle Cosa Nostra (USA), Camorra (région de Naples), 'Ndranghetta (Calabre), Sacra Corona Unita (Les Pouilles), le milieu, etc… La Russie, pays où elle a pris récemment un essor fabuleux, aura certainement, elle aussi, un petit nom spécifique. En France, le « milieu » est déjà largement infiltré dans le Midi et en Corse. Et puis, il ne faut pas oublier la mafia chinoise, etc…

Il y a une chose de sûre cependant, c’est que tous ceux que ça ne touche pas directement ou indirectement, tous ceux qui ne possèdent pas une connaissance approfondie des pays où elle existe n’ont aucune idée de ce que c’est réellement. Voilà pourquoi on entend souvent des phrases telles que : « Je ne comprends pas pourquoi les gens acceptent ça. Moi, à leur place…. », et il se peut même qu’on finisse par associer le terme de mafieux à tous ceux qui proviennent des endroits où elle existe. L’un et l’autre comportements reflètent une idée préconçue et une absence totale d’information sur le phénomène « Mafia ».

A juste titre on la compare à une pieuvre parce qu’elle s’infiltre partout. Elle n’a pratiquement plus rien à voir avec le code d’honneur, et elle ne se limite ni au trafic de drogue, ni aux trafics d’êtres humains, ni au « blanchissage » de l’argent sale : on la retrouve dans le commerce (même petit avec le racket), l’industrie, le transport, dans la magistrature, dans les services publics et les forces de l’ordre, dans la recherche d’un emploi (surtout dans les régions où il y a beaucoup de chômage), dans toutes les élections, etc…., comme un gouvernement en sous-main.

Ce qui motive mon article d’aujourd’hui, c’est l’histoire récente de Don Paolo Turturro, curé de la paroisse de Santa Lucia à Palerme, et professeur d’enseignement religieux. Cette paroisse se trouve dans le quartier « Borgo Vecchio », où les gens luttent tous les jours contre mille difficultés, la dégradation et l’abandon. Depuis de nombreuses années ce prêtre est fameux dans toute la ville pour ses courageuses dénonciations contre la mafia et pour avoir créer une association « Dipingi la pace » (Fais un portrait de la paix). Parmi ses initiatives on ne compte plus les nombreux appels publics lancés aux boss mafieux leur demandant de « se repentir », et aux enfants de son quartier pour leur demander de détruire les jouets-armes. Ces dernières années, son action avait pris une telle ampleur et il avait été menacé de telle façon qu’on avait même jugé utile de lui fournir un service d’escorte. Et bien, récemment il a été accusé de pédophilie, suite à la dénonciation de deux enfants. Les fidèles du diocèse se sont immédiatement récrié : « Ce n’est pas possible, c’est une idiotie ! ». Mais avant que l’accusation ait pu être prouvée en aucune manière, le Parquet a cependant décidé de jeter sur lui  un discrédit en lui imposant l’abandon de sa paroisse et un transfert hors de la province de Palerme. 

(Ici, je ferai une petite parenthèse, car la pédophilie n’est en aucun cas le sujet de mon article. Quelques-uns ne manqueront pas de faire un rapprochement avec tous les histoires de pédophilie qui sont en train d’investir l’Eglise Catholique, à Boston et ailleurs. J’ai même lu récemment certains articles où (suite à l’accès aux archives) on se pose la question de savoir si le Vatican n’a pas toujours couvert ce genre de méfaits. Pour ma part je pense qu’il y a certainement eu des cas, mais je ne crois pas que tous les prêtes soient des pédophiles comme le veut presque la chasse aux sorcières d’aujourd’hui.)

De toute façon, on ne peut pas se prononcer sur cette affaire avant d’en savoir plus, mais, connaissant bien l’Italie, ce dont je suis sûre, c’est qu’à tous les gens qui habitent dans les régions sous l’empire de la Mafia, il sera venu le soupçon qu’il s’agit là, une fois de plus, d’une manœuvre dont elle est spécialiste, c’est-à-dire « l’assassinat moral ». Le discrédit, la honte, l’alarme sociale, la peur, la menace sur la tête des membres de votre famille, l’impossibilité de travailler, sont des armes très efficaces pour maintenir l’empire de la peur. Et la liste de ceux qui ont déjà payé très cher pour avoir osé s’y opposer est longue. Pour Don Puglisi, le curé d’une autre paroisse difficile de Palerme, l’histoire s’est terminée différemment, on l’a tué. J’y ajouterai les noms du général  Dalla Chiesa, de deux juges Giovanni Falcone et Paulo Borsellino qui « sautèrent » avec toute leur escorte, l’un sur l’autoroute, l’autre en dessous de chez lui, et, également, celui de Giuseppe Impastato, ce jeune homme dont le très beau film « Les cent pas » raconte l’histoire vraie.

Je terminerai par une petite note historique qui ne manque pas d’ironie. Si l’on exclut l’essai de reprise en main du gouvernement italien vers la fin des années 80 jusqu’en 1992, le seul gouvernement qui ait essayé de « nettoyer » le sud de l’Italie de cette pègre a été le gouvernement fasciste de Mussolini, avec son « préfet de fer ». Ceux qui l’ont réintroduite, ce sont les Américains qui, pour pouvoir débarquer en Sicile en juillet 1943, se sont servis des organisations secrètes de la Mafia en rapport avec la « Cosa Nostra » américaine.

Etre honnête quand on naît dans une famille de mafieux est pratiquement impossible. Etre honnête quand on naît dans un pays sous l’emprise de la Mafia est sans aucun doute plus difficile qu’ailleurs, mais être engagé et lui déclarer la guerre requiert un courage sans mesure. Qu’on s’en souvienne la prochaine fois qu’il nous vient à l’esprit un de ces jugements préconçus à l’encontre des personnes qui sont obligées de vivre sous son joug.

Mot-clef : Société, Justice, Europe, USA, Italie