Ici on se marie beaucoup en été, car c'est souvent l'unique occasion dans l'année, à cause des périodes de congés, de réunir une famille dispersée aux quatre coins du monde par l'émigration du siècle dernier. Et, en général, on le fait en grande pompe. Le front de mer avec ses gigantesques figuiers de la Baie de Moreton et le panache de l’Etna en toile de fond, dépeint par Gabriele d’Annunzio comme le plus beau kilomètre d’Italie, se prête admirablement aux photos de l’album qui immortalisera ce grand jour. Pour nous, il s’agit déjà d’une histoire ancienne, mais vu que chaque soir, à la nuit tombante, nous allons nous mêler à la foule qui, après les ardeurs du jour, s’y promène à la méditerranéenne, c’est-à-dire en arpentant la promenade du début à la fin et retour (mine de rien, on finit par faire quatre kilomètres sans s’en rendre compte), d’un bon pas ou d’un pas nonchalant, tout en bavardant, conversant, plaisantant, riant, saluant, rencontrant…. sans oublier de regarder tout ce qui se passe autour, à coup de deux à cinq mariages par soirée, nous avons fini par remettre à jour nos connaissances en la matière.
Ceux que nous surnommons désormais les pingouins, - nos points de repère -, sont le premier signe qu’un couple de mariés est à l’approche. La ressemblance de ces « noceurs » en costume sombre (le noir est très à la mode) et cravate à gros nœud avec ces dignes oiseaux tandis qu’ici il fait encore beau et chaud (28-30°) saute aux yeux. Le marié ne s’en distingue guère. Mais la mariée ? On ne tarde pas à la voir apparaître, sortant d’une Rolls, d’une de ces longues limousines américaines, d’une Jaguar tout cuir clair ou d'une voiture d'époque, louée pour la circonstance, gauche dans ses atours exagérés, disproportionnés, robe longue et large, la traîne balayant le trottoir qu’aucune pluie n’a lavée depuis des mois, avec des débauches d’étoffe, volants, mousseline, organdi, tulle, taffetas, soie, dentelles, les épaules nues au-dessus d’un corset rarement bien ajusté. Peu de blanc étrangement, la tendance est décidément à l’ivoire. Le voile, assez rare et encombrant finit souvent dans les mains d’une demoiselle d’honneur. Les coiffures ? Les coiffures ? Que dire des coiffures… Elles brillent souvent par leur absence. Quant aux bouquets, nous en avons vu avec des fleurs noires…. Car il faut bien essayer de se distinguer.
Et c’est là que le photographe entre en scène. L’entourage proche des nouveaux époux (en grande pompe lui aussi avec beaucoup de noir de gala pour les femmes) fend la foule avec ses aides et son matériel, à la recherche des cadres... idéaux, toujours les mêmes, d’une commune banalité. Commence-t-on par quelques photos (parfois les mariés sont contraints à faire la queue) entre les imposantes racines de ces arbres presque centenaires ? Ou devant la fontaine ? Tout de suite au bord de la mer ? Seule ou avec son époux ? Sur cette fausse passerelle ? Ou couchée sur le moteur d’une voiture, son mari sur elle ? Assise dans l’herbe, ou par terre, directement sur le bord du trottoir, accrochée au phare de sa voiture qu’on lui demande de caresser ? Ou tandis qu’elle se prélasse, couchée dans le sable à dix centimètres de la vague ? A moins qu’il ne lui demande de relever sa robe, plus haut que … ou qu’il ne la couche sur un banc et lui demande de lever la jambe….
Elles… (mais lui aussi) acceptent tout !!!!! Sont-ils en train de poser pour un calendrier ?! On finit par se le demander. Les regards, les sourires, les mimiques, les positions, tout est factice ! Entre une photo et l’autre, il arrive que, lasses de l’entrave de tous leurs jupons, ces nouvelles dames s'affalent sur un banc (à cause de la chaleur ? Ici ne sait-on pas qu'il fera chaud si on décide de se marier en août ?) ou prennent carrément la jupe de leur robe sous leurs bras, la soulevant à droite et à gauche comme deux gros sacs de pomme de terre, et se dirigent d’un pas décidé (même pas au bras de leur époux qu’on identifie mal au milieu du groupe de pingouins)... vers la station suivante.
Après un bon mois de ce manège, nous étions convaincus de tout savoir sur les nouvelles modes et tendances. Eh bien non ! Hier soir une mariée nous attendait tout de rouge-sang vêtue, avec autant d’étoffe, de volants, de traîne, de voile et de décolleté que les autres, un bouquet blanc aux grosses roses rouges à la main, avec son grand mari mal fagoté de noir qui, au milieu des passants sur la promenade, l’embrassait à pleine bouche sous les réflecteurs. Tout d‘abord surpris mais sachant que ça se fait (en carmin ou grenat, cependant, et sans les accessoires), nous nous sommes dit qu’ils avaient sans doute recherché l’originalité, qu’ils étaient dévorés par la passion, qu’ils en rêvaient depuis longtemps, ou qu’il s’agissait d’un défi, d’un pari. Ce qu’elle est belle ! s’extasiait sa demoiselle d’honneur. Interdits, nous avons poursuivi notre chemin en silence. Et puis ce matin, l’adjectif que j’essayais en vain de refouler s’est présenté : ils n’étaient pas originaux, ils étaient tout simplement o…, mais il vaut mieux que je garde ça pour moi. Seront-ils encore heureux de leur choix dans dix ans, quand ils auront changé de goûts, mais que leur album, immobile dans le temps, leur renverra des images aussi crues…. ? C’est sans doute moi qui ne comprends rien.
Heureusement, nous avons quand même vu quelques couples frais, naturels, gais, amoureux, tendres, délicats, élégants de simplicité: comme cette jeune mariée à la sobre robe empire dont les bras étaient recouverts d’une dentelle très légère, cet autre couple pédalant dans un rickshaw plein d’humour, ou encore ces joyeux époux qui ont insérés tous les jeunes couples de leur noce dans une chorégraphie hilarante ; ces mariés plus que rondelets qui riaient aux éclats, ou encore l’unique mariée en robe courte qui jouait à cache-cache avec son époux entre les grands arbres ; sans oublier ce couple sur la soixantaine (elle, en costume-pantalon blanc flottant) aux regards pétillants d’esprit…… Décidément, je suis trop romantique.
Conclusion : le très grand défilé auquel nous avons assisté (aucun défilé de mode ne présente autant de modèles à la fois), a démontré que le résultat n’est pas fameux quand tout en optant pour la tradition, on ignore tout ce que cela implique, dans le choix de la robe mais aussi dans les accessoires, le maintien et les comportements. Quand on réalise un conte fée, n’est-il pas préférable de le vivre dans toutes les règles de l'art ? Pourquoi l'élégance, la finesse, le bon goût doivent-ils être de sortie? A moins qu'il ne s'agisse que de respecter la coutume qui, sur tout le pourtour de la Méditerranée, tient particulièrement au faste de l'apparence. Mais, que diable, l'un n'empêche pas l'autre! Tout à coup, de ces mariés-là, nous en avons une indigestion.
Mais au fond ce ne sont pas mes affaires. Comme je le disais plus haut, c’est sans doute moi qui suis trop romantique, car l’important n'est-il pas qu’ils vivent heureux et aient beaucoup d’enfants ?
Photo : Le sarcophage des époux, Museo nazionale etrusco, Villa Giulia, à Rome
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Commentaires et Mises à jour :
Une cérémonie d'enfer
Je te raconterai en deux mots, celui auquel j'ai assisté fin août en tant qu'observatrice extérieure.
Je ne me souviens même plus beaucoup du mien :-)))!
Ah! les cérémonies!
Il semble donc que ton récit (que j'attends avec impatience) viendra corroborer mon étude approfondie.:-))) Hier soir, un photographe a arrêté une voiture de police qui pratrouillait de façon débonnaire sur le voie basse du front de mer. Il y a fait monter les mariés et les y a photographés. Nous nous sommes dits qu'il ne manquait plus que les
Quand je repense à mon mariage, simple et en petit comité, je me dis qu'il n'était pas mal du tout. Il n'y a eu qu'une petite fausse note qui me pèse encore aujourd'hui. Dans la confusion du moment, j'ai oublié d'inviter le curé à l'apéritif. Bien que n'étant déjà plus pratiquante (mais un peu obligée de me marier à l'église quand même : après tout je n'en suis pas morte !) il avait accédé à toutes nos requêtes comme de ne pas trop en demander, comme l'ouverture d'une petite église dans la campagne pour l'occasion et de se déplacer personnellement. Compte tenu du fait de cette gentillesse et que je le connaissais depuis toute jeune, cet oubli était tout à fait impardonnable. Après coup, une de mes belles-soeurs est venue me dire : "Quand j'ai vu que le curé partait, je me suis demandée pourquoi tu ne l'avais pas invité." Ne pouvait-elle pas parler quand il en était encore temps !!! grrrr... Ensuite, je lui ai envoyé un mot pour le remercier, mais ce n'est pas pareil. Même réparé un oubli reste un oubli.
Re: Ah! les cérémonies!
Pour les mariages italiens, ce que je trouve le plus incroyable (en tous cas au Nord de l'Italie) c'est à quel point les couples doivent s'"embourgeoiser" pour pouvoir se marier: nos amis Italiens ne voulaient pas nous croire quand nous les avons invités à notre mariage alors que nous n'avions pas encore d'appartement, de voiture, de chien, de travail fixe...
Re: Ah! les cérémonies!
Pour les mariages italiens (c'est la même chose au sud, ou encore pire), moi je suis effarée par toutes les dépenses que cela implique, qui risquent de faire passer pour radin ou fauché ou même rompre des fiançailles si on n'est pas disposé à les faire. Nous en avons vu des exemples.
En ce qui me concerne, j'ai déjà annoncé la couleur : donner un coup de main à ses enfants, c'est une chose normale, mais je n'irai certainement pas m'endetter pour qu'ils puissent se marier dans le plus grand des conforts. D'autant plus que je pars du principe qu'un couple doit absolument construire sa vie seul, que ça donne des bases communes, les excès de cadeaux de la part d'une famille ou de l'autre servant un jour ou l'autre comme argument de litige.
Septembre d'enfer !
Si les salles de restaurant et voitures le sont déjà, comment se fait-il que notre société de consommation n'ait pas encore inventé les costumes et robes de mariés climatisés ?