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A propos des « révoltés du boulot »

Depuis quelques années, j’observe, incrédule, la dégradation des relations de travail, pas spécialement aux niveaux les plus bas de l’échelle, mais surtout dans les sphères moyennes et hautes. La vie professionnelle des 25-40 ans qui ont fait des études supérieures, à qui tout semblait ne pouvoir que sourire, apparaît, au contraire, de plus en plus sombre. Ils n’arrêtent pas de « se conformer », de se « conformer » et encore de « se conformer », allant parfois jusqu’à se demander, tellement la confiance qu’il avaient en eux-mêmes s’est effritée, si la couleur de leur chemise est conforme aux capacités qu’on attend d’eux. Bien sûr, ils n’ont pas connu les relations privilégiées, même si bien imparfaites, dont jouissaient leurs aînés, et il leur est donc difficile de faire une comparaison. Mais je me demandais quand même jusqu’à quel point il faudrait en arriver pour que ces « élites » se rendent compte qu’elles ne sont bien souvent que les « esclaves de luxe »  du nouveau système. Et bien ça y est. Il semble que quelque chose commence à bouger. J’en veux pour preuve l’article « Les révoltés du boulot », paru fin septembre dans le n° 2081 du Nouvel Observateur. Il a fait couler beaucoup d’encre, ou plutôt, il a généré une grande activité sur les claviers de la blogosphère francophone. Moi aussi je l’ai lu, il m’a beaucoup plu et je ne peux que m’en réjouir. Et finalement je peux écrire ce que j’en pense avec de sérieuses références à l’appui.

 

Nous vivons dans une société qui a commué bon nombre de ses nouvelles élites en esclaves. Ceux-ci ont fait des études universitaires ou sont sortis des grandes écoles, et, plein d’espoirs, ils ont suivi consciencieusement la filière la meilleure, mais, au bout du compte qu’ont-ils trouvé ? Une recherche d’emploi interminable et vexante, où on reste dans le flou tant il est difficile de comprendre ce que l’employeur recherche exactement, ou/et, pour les plus chanceux, un boulot décevant, parfois ennuyeux, humiliant ou même infâme, sans rapport avec le niveau d’étude atteint, au service d’une direction capricieuse, versatile ou tyrannique, sans possibilité de projet à long terme, de construction de carrière mais avec des obligations à la mobilité, condamnés à jouer les marionnettes dociles par peur de perdre une place que beaucoup leur envient…. Tout cela pour le seul bien d’actionnaires avides, car un travail inutile et avilissant ne semble jamais assez bien payé, quels que soient le salaire ou la quantité de stock-option qu’on touche.

 

L’article est bien conçu, explicite, et ses auteurs donnent l’impression d’avoir fouillé le sujet. Mais obnubilés eux aussi par le seul dieu qui compte aujourd'hui, le dieu-économie, ils ignorent deux aspects importants de la question.  

 

1)  Ils ne se sont pas demandé pourquoi la majorité de ces révoltés restent passifs, continuant, stressés, amers ou dans l’ennui, à se couler dans le moule des sélections arbitraires, de la précarité ou du servilisme à tout va.

N’y a-t-il pas eu un vice de forme au départ ? Ces sélections injustes, sur dossier au collège puis au lycée, par des tests à la porte de l’université, à l’âge où la personnalité et les capacités n’ont pas encore eu le temps d’émerger ? Cette mentalité qu’on leur a inculquée très jeune, par un rabâchage incessant, à l’âge où l’esprit est malléable, qu’on ne peut pas gâcher le denier public pour donner des chances à tout le monde ? Que seuls les meilleurs (eux !) y ont droit, qu’ils ont mérité d’être les « élus » du système, qu’ils doivent en être fiers, laissant les refoulés (qu’ils peuvent qualifier de frustrés ou de paresseux) crier à l’injustice ?

Alors, ces fameux « élus » d’hier mais « révoltés » d’aujourd’hui, ne sont-ils pas le résultat d’un long formatage ? Et ne sont-ils pas, à leur tour, les victimes d’un système dont ils croyaient pouvoir jouir en privilégiés, mais dont ils n’avaient pas compris le mécanisme infernal ?
Et qu’on se le dise, là il ne s’agit que d’un début, car le pire est encore à venir. Nos gouvernants sont en train de le concocter. Sans parler de l’apparition du coaching (ou fignolage du formatage) dans les grandes écoles, qui, maternant les pupilles à chaque difficulté, ne fera que retarder leur maturité d'adulte. Car le formatage, c'est confortable et il n’est pas facile de s'en libérer, et ses victimes, même conscientes, sont souvent atteintes du syndrome de Stockholm.

 

2) Maintenant, passons à ceux qui se révoltent vraiment et quittent leur boulot, mais qui, pas encore assez adultes (ou trop gâtés par la vie ?) pour assumer les conséquences de leur décision, rentrent tout simplement et sans scrupules chez Papa/Maman. Le père de Minh ne comprend pas ? Bien sûr que si qu’il comprend ! Il comprend que son fils, malgré toute l’instruction qu’il a voulu qu’il reçoive, est incapable, à 31 ans, de s’assumer dans une situation difficile, et à l’âge de la retraite, quand il devrait commencer à pouvoir jouir de la vie sans arrière-pensées, il se retrouve avec un fils sur les bras, à sa charge, qui probablement ne l’écoute pas ou plus, et dont il ne sait ni si ni comment il s’en sortira.

 

L’article se termine par la question suivante : "Le jour où nous serons tous des antiboulot, qui fera donc tourner notre économie? Question on ne peut plus pertinente, mais il est à déplorer qu'elle ne soit pas suivie par des questions de fond:

Est-il normal que 15 ans d'études débouchent sur un mal-être aussi généralisé ?

Est-il normal qu’un Bac + 15 débouche sur un contrat de chercheur précaire et un salaire de misère ?

Le denier public relatif à l'Education a-t-il été/est-il bien dépensé ?

L'Education nationale d’un pays doit-elle adapter ses programmes en fonction des requêtes des grosses entreprises ou transmettre au plus grand nombre un savoir acquis, dans le plus large éventail possible, afin de permettre une meilleure utilisation des connaissances et leur progrès?

 


Alors combien de temps faudra-t-il encore pour que les « révoltés du boulot » se décident à comprendre que ce n’est pas le monde de la finance qui doit gérer un pays ou leur vie? Car si eux, qui ont le bagage nécessaire pour le faire, restent passifs, qui s’en chargera ? Heureusement quelques-uns l'ont déjà compris et espérons que leur exemple fasse boule de neige.

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Jeudi 14 Octobre 2004, 13:26 dans la rubrique "Actualité".

Commentaires et Mises à jour :

tgtg
14-10-04 à 15:22

tout est à re-voir :

"L'Education nationale d’un pays doit-elle adapter ses programmes en fonction des requêtes des grosses entreprises ou transmettre au plus grand nombre un savoir acquis, dans le plus large éventail possible, afin de permettre une meilleure utilisation des connaissances et leur progrès?"

question posée par les enseignants depuis de nombreuses années....... :-(

 
ImpasseSud
14-10-04 à 16:47

Re: tout est à re-voir :

... mais qu'on continue à ignorer, ne pensant qu'en matière de finances....

 
tgtg
14-10-04 à 17:21

Re: Re: tout est à re-voir :

exactement!!!
:-)

 
sophie
14-10-04 à 21:26

8 ans d'études pour...faire autre chose

Faut dire c'était de ma faute : un DEA de philosophie, qu'avais-je donc en tête ? Je suis "sortie" du système presque indemne mais plus de retraite, de salaire assuré et de collègues agréables ! Des fois, j'ai l'impression d'être une miraculée !

 
ImpasseSud
15-10-04 à 09:54

Re: 8 ans d'études pour...faire autre chose

Il est vrai que la philosophie laisse un peu à désirer comme source de revenu, mais n'est-elle pas essentielle au genre humain? (A 18 ans, je voulais moi aussi faire une licence de philosophie, mais la vie en a décidé autrement). Perdre un peu de temps pour penser ne fait de mal à personne, au contraire! Désormais on semble considérer cette matière comme désuète, tenant uniquement compte du dieu-finance, mais il ne me semble pas que les choses aillent mieux. 

Aujourd'hui, les options "définitives" sont de plus en plus rares, et pour ma part j'en sais quelque chose, parce que si toi tu désires ne pas changer, ce sont les personnes de ton entourage, celles qui te sont chères, qui t'obligent implicitement à le faire. 
En ce qui te concerne, par exemple, même si tu as ou as dû couper court avec le "système" pour des raisons personnelles, rien ne t'empêche, un jour ou l'autre, plus tard, quand tu en auras l'envie, le loisir ou la possibilité, de devenir journaliste free-lance, mettant à profit ton DEA dans ta façon de rapporter des faits et des idées. Ceux qui font/ont fait ce choix sont de plus en plus nombreux. J'ai bien peur que désormais, qu'il faille dire adieu au confort professionnel des années 70/80.