En cette veille de guerre qui se souvient encore du Sommet de Johannesburg en août/septembre 2002 ? Des engagements de l'Union Européenne pour réduire de moitié le nombre des assoiffés dans le monde? Engagements génériques, jusqu'à présent, lettres mortes. En attendant l'urgence est à nos portes, le temps presse. Aujourd'hui s'ouvre à Kyoto le 3ème forum sur les ressources hydriques. De quoi y parlera-t-on? Voici ma traduction d'une interview publiée ce matin dans le journal italien La Repubblica :
"Interview à Lester Brown, père du Worldwatch Institute, devenu président de Earth Policy Institute ?Dans un an, ceux qui produiront le plus de blé auront un contrôle géopolitique total » « La guerre de l'or bleu changera l'équilibre du monde ".... Les scénarios dessinés par les climatologues nous renvoient l'image d'un monde aux fleuves desséchés par l'insuffisance des pluies, aux nappes épuisées par des prélèvements excessifs, aux lacs contaminés par les déchets. Et quelle angoisse quand on pense à l'augmentation des maladies liées au manque d'eau propre. Mais il existe une perspective plus menaçante et plus proche : la faim. Moins d'eau veut dire moins d'aliments. Et cette équation qui ne tombe pas encore sous le sens, changera la carte géopolitique du monde » ......... "Attentif depuis toujours à la course continue et parallèle entre l'augmentation de la population et la disponibilité des aliments, Lester Brown est convaincu que d'ici un an nous assisterons à un tournant radical dans le domaine de l'alimentation.
"Qu'est-ce qui changera ? « Les rapports de force entre ceux qui achètent et ceux qui vendent des céréales s'inverseront. Alors qu'aujourd?hui ceux qui achètent peuvent choisir, d'ici un an ce sont eux qui seront choisi. La Chine deviendra le plus gros importateur de céréales du monde et les Etats-Unis décideront s'ils veulent ou non remplir leurs greniers. Ceux qui tiendront les rênes de l'agriculture auront en main la force politique. »
"Pékin est en train d'adopter des choix énergétiques, pour le moins très contestées, qui interviendront de façon radicale sur le cycle hydrique. « La construction d'un système de grandes digues représente, sans autre, un élément ultérieur de préoccupation environnemental. Mais la situation est déjà dramatique aujourd?hui : on est en train d'assécher la moitié nord du pays. Il y a trois ans que la Chine consomme ses réserves de céréales : celles-ci finiront entre la fin de cette année et 2004. A ce moment-là, 1.300.000.000 de Chinois arriveront sur le marché et entreront en concurrence avec les consommateurs américains. Et Pékin a l'argent nécessaire pour acheter : l'excès de sa balance import/export avec les Etats-Unis est de 80 milliards de dollars, et ceci est suffisant pour acheter deux fois toute la récolte annuelle des Etats-Unis. »
Face à une perspective de ce genre, la Chine et tous les pays qui risquent d'être écrasés par le manque d'autonomie alimentaire adopteront des contre-mesures. « Mais il faut du temps pour redresser l'équilibre hydrique d'un pays. D'après une étude de la Banque Mondiale, dans la plaine septentrionale chinoise, il y a un déficit annuel de 37 milliards de tonnes d'eau. Et vu que pour obtenir une tonne de céréales il faut mille tonnes d'eau, ce déficit hydrique équivaut à 37 milliard de tonnes de céréales, somme suffisante pour nourrir 110 millions de Chinois. Ce qui signifie qu'aujourd?hui 110 millions de Chinois mangent en utilisant des réserves hydriques non renouvelables, c'est-à-dire qu'ils privent d'eau leurs enfants. Le déficit hydrique, qui est déjà très grave, deviendra dramatique bien avant qu'on ne l'imagine. »
Quand ? « En septembre dernier, le Canada a déclaré qu'il n'exporterait plus de céréales. Il considère qu'il s'agit là d'une réserve stratégique. L'Australie, peu de temps après, a fait la même déclaration. Dans l'immédiat, cette pénurie a été compensée par un produit de qualité inférieure, le blé de la Mer Noire. Mais ici, il s'agit seulement d'une bouffée d'oxygène. Il y a de moins en moins d'eau, et vu qu'elle est très difficile à importer, on l'achète sous forme de produit fini : acheter du blé veut dire avant tout acheter de l'eau. C?est bien parce que 70 % de l'eau utilisée dans le monde finit dans les champs que le problème hydrique est avant tout un problème agricole. ».
Quelles sont les zones qui courent le plus de risques ? « Dans le monde, on a creusé des millions de puits qui ont produit un prélèvement d'eau supérieur à la réalimentation naturelle de nombreuses nappes. C'est pour ça qu'un nombre toujours plus important de pays a une balance hydrique en rouge. Prenons le cas du Yemen, un des plus emblématiques : le niveau des nappes s'abaisse à la vitesse impressionnante de deux mètres par an. Dans le bassin où se trouve sa capitale Sana'a, on en est à six mètres par an. A ce rythme, la zone restera à sec d'ici dix ans et il devra choisir : ou bien importer de l'eau des dessaleurs installés le long de la côte ou bien transférer sa capitale. Le gouvernement du Yemen, dans son effort pour trouver plus d'eau, a encouragé le sondage des puits jusqu'à une profondeur de deux kilomètres, un niveau auquel on arrive, d'habitude, quand on cherche du pétrole, mais ça n'a pas servi à grand-chose ».
Quel sont les autres pays à haut risques ? « En Iran, les nappes aquifères s'abaissent à une vitesse qui va de 2,8 mètres par an dans la plaine du Cheanaran aux 8 mètres de la ville de Mashad : des villages entiers sont abandonnés dans la partie orientale du pays parce que les puits sont à sec. La situation est également très critique au Mexique, au Moyen Orient, dans tous les pays de l'Asie centrale, en Afrique du Nord. En effet, le Maroc importe la moitié des céréales de sa consommation, l'Algérie et l'Arabie Saoudite 70 %, Israël 90 %. »
Comment peut-on sortir de ce piège ? « Le premier secteur qui devra procéder une réforme draconienne est l'agriculture. En Chine, en investissant une tonne d'eau en céréales on obtient un produit qui vaut 200 dollars, en investissant la même quantité d'eau en activités industrielles le gain est de 14.000 dollars : il n'y a aucune comparaison. » L'agriculture rend moins, mais il est pratiquement impensable de pouvoir s'en passer. « Justement, il faut la changer. Dans les pays dont le balance hydrique est en rouge on doit pointer, au prix d'un changement de type d'alimentation, sur des cultures qui demandent moins d'eau. Ensuite, il faut travailler à l'amélioration des systèmes d'irrigation ». Les améliorations risquent d'être annulées par le changement climatique produit par la déforestation et par l'utilisation des combustibles fossiles.« C'est vrai, malheureusement. Récemment encore, notre regard se portait sur un chiffre impressionnant : les 15 années les plus chaudes dans l'histoire de la météorologie sont concentrées sur une étroite période qui va de 1980 à aujourd'hui. Mais maintenant, nous pouvons ajouter un autre élément. Les trois années les plus chaudes appartiennent aux quinze dernières années : l'évolution de ce processus est extrêmement alarmante et elle est destinée à avoir un énorme impact négatif sur l'agriculture. C'est la première fois depuis que l'espèce humaine s'est arrêtée pour cultiver la terre que le climat assume une instabilité aussi accentuée. Il y a 6.000 ans qu'on utilise l'irrigation, et ce processus n'a pas toujours été indolore, comme l'histoire de la Mésopotamie l'enseigne, mais durant les cinquante dernières années l'utilisation des pompes actionnées par des moteurs diesel a bouleversé les nappes aquifères qui diminuent nettement en Chine, aux Indes et aux Etats-Unis, les trois plus grands producteurs de céréales du monde. Il est temps de repenser radicalement notre rapport avec l'eau. »
Tout le monde sait que la question de l'eau est déjà un grave problème dans certains états des Etats-Unis. Alors ils recourt à leur tactique habituelle, ils achètent... On peut lire dans le Journal Permanent du 8 mars 2003 "La Patagonie mise aux enchères ?" "Afin de rembouser sa dette au FMI, le gouvernement argentin négocierait en sous-main la vente de cette région et de ses ressources naturelles aux Etats-Unis. Cette région dispose en effet d'importantes réserves en pétrole -75% des réserves du pays- eau douce, et en minéraux qui depuis plusieurs années sont convoitées par les entreprises étrangères."
Alors à quand la guerre pour l'eau?
Article publié également sur The Sun of the Web le 16 mars 2003 22:09
Mots-clefs : Planète Terre, Amérique latine, Eau