« Bonjour, ma tante ». Comme chaque matin Lu me salue en sortant très tôt de la maison. Je suis toujours réveillée quand elle passe, soit en train d’écrire soit en train de corriger des épreuves. Elle, elle fonce à l’université. Son frère Xiao vient juste de rentrer de son service nocturne, le jour, il étudie lui aussi, mais pour l’instant il est portier de nuit dans un grand hôtel et il y a une semaine, il servait aux tables du Kentucky Fried Chicken. Ici, dans la grande maison où j’ai essayé de réunir ce qui reste de ma famille éparpillée dans toute
Parce que Shanghai est la porte de
A vrai dire, à Shanghai, des endroits à moi, j'en ai un ou deux. Ils sont à toutes épreuves contre la famille. Là, personne ne vient me trouver parmi les nombreux parents qui depuis quelques années vivent avec moi dans un grand loft, l’ancien dépôt de lessives et savons d’un commerçant alsacien d’il y a cent ans, au temps des concessions, avec une de ces plaques encore imprimées dans les briques du bas de la maison : Monsieur Bishwiller. J’y habite avec une partie de ma famille et de celle de mon mari, un peintre et sculpteur affirmé qui a fait une exposition à New York. Famille élargie l’appelle-t-on en Occident. Chez nous, tout a toujours été très élargie.
Dans cet étage divisé en trois appartements, il y a presque toute
Mais la fugue de la réalité reste individuelle, aussi parce ce que parfois il est difficile de se concentrer pour écrire dans le chaos d’une maison qui est presque un hôtel. C’est ainsi que j’ai trouvé mon nouveau refuge de la gauche, assez risqué. Et dire que quand j’étais enfant, j’étais obligée d’y aller. Maintenant, je l’ai choisi comme « mon » endroit en ville. Je suis fière de connaître Shanghai comme ma poche, la ville où je suis née, mais j’avoue que ce n’est que grâce à la chaleur que, récemment, j’ai découvert le « Musée du Premier Congrès ». Un peu comme Pirandello, qui fait dériver la religiosité de ses concitoyens de la fraîcheur particulière des églises siciliennes. Ou comme le grand écrivain égyptien Mahfouz, qui fait remonter l’amour pour le cinéma des habitants du Caire au fait que les cinémas, en Egypte, ont été les premiers édifices publics climatisés. Je veux dire par là que moi, j’ai redécouvert le communisme chinois, parce là, au numéro 106 de la rue Xingye, se trouve la zone la plus fraîche et la plus sèche de toute la ville désormais écrasée par la brume invisible et irrespirable de smog gris qui pèse sur grande partie du ciel chinois. Bien sûr, à Pékin c’est pire. De toute façon Shanghai reste différente, elle a toujours le vert de ses parcs si nombreux et ses avenues bordées de mûriers séculaires.
Le Musée du Premier Congrès est sûrement moins beau que celui de Lu Xun qui se trouve dans la partie nord de la ville. Quand j’ai commencé à publier mes premiers récits, je prenais souvent le trolleybus numéro 18 et j’allais jusqu’au terminus qui se trouve presque devant le musée de Lu Xun dans le Parc Hongkou. Là, je restais des heures et des heures à regarder l’immobilité temporelle et la simplicité de son écritoire. C’était mon refuge contre le tumulte quotidien des années soixante. Mais il n’y a aucune comparaison avec mon nouveau point de fugue. L’explication se trouve dans l’épais mystère que j’y ai découvert, si épais qu’il est devenu ma cachette.
Si ! dans la maison où l’Histoire veut qu’on ait fondé le Parti communiste chinois : Le 1er juillet 1921, paraît-il, à la direction de l’école de filles Po Wen, déserte pendant les vacances et confiée à un cuisinier-gardien qui, pour l’occasion, devint le complice d’un évènement historique qui, en plus de révolutionner
Mais les choses se sont-elles réellement passées ainsi ? La question que je me suis posée après les innombrables fois que j’ai traversé, au frais, la cour intérieure de la vieille maison de l’ancienne concession française au numéro 106 de la rue Xingye est quelque chose de plus qu’un doute personnel ou d’une farce. Il s'agit d'une énigme qui traverse la réalité de
Voici les données : l’histoire officielle ne parle plus du 1er juillet comme date fondatrice, quelques sources parlent même du mois d’août. Les premières nouvelles de l’Internationale communiste parlaient d’une présence fournie de délégations d’ouvriers et de paysans applaudissant, mais ce n’était pas vrai. Les délégués du Premier Congrès étaient seuls et ils n’étaient que 12 à représenter les 57 communistes – oui, vous avez bien lu –, les seuls que comptait alors
En somme, j’ai eu le doute que
C’est ainsi que, tandis que j’observe, assise sur ma petite chaise pliante de promenade les intérieurs du Musée du Premier Congrès, que je lis la phrase écrite par Mao : « Une étincelle peut mettre le feu à la plaine », et que j’observe à chaque fois, toujours curieuse, l’ombre des tasses à thé sur la table qu’on cire chaque matin, il me vient à l’esprit que la nuit cette réunion continue dans la clandestinité, contre le temps, au-delà du temps. Chaque nuit la fondation continue, avec les interrogations sur ses raisons. Actuellement, on en aurait tellement besoin d’un Premier Congrès ! De communistes comme si c’était la première fois, au milieu des nouvelles inégalités ! Va savoir ce qu’en pensent Lu qui court à l’Université et Xiao qui va prendre son service de nuit au Grand Hôtel ; et ma belle-sœur et mon beau-frère paysans qui ont débarqué de l’intérieur de
Qing Chun* « C’’è un posto a Shanghai… » publié sur Il Manifesto le 15 septembre 2007.
Traduction de l’italien par ImpasseSud
Ce qui m'a plu dans ce récit, - et bien que les partis communistes ne m'aient jamais plu à cause de leur dérives totalitaires -, c'est non seulement le point de vue honnête de l'auteur, mais surtout ce désir de retour à un monde qui remettrait en tête de liste de ses priorités la recherche de l'égalité des chances pour tous, au lieu du culte désormais universel du dieu-fric. En Occident comme en Chine d'ailleurs...
*Quing Chun est le pseudonyme d’une fameuse écrivaine et scénariste chinoise. De ses romans et nouvelles, ont été tirés les sujets de certains films importants très appréciés dans le monde entier. Actuellement elle vit à Shanghai.