Non, l'image de droite n’est pas une nouvelle photo aérienne d’un camp de concentration de l’Allemagne de Hitler, sortie par hasard d’un tiroir après soixante ans d’oubli. C’est celle du camp-lager de la base USA de Bagram, en Afghanistan. Effectivement, vu de haut, il lui ressemble étrangement, sans doute parce que le même ordre géométrique cache les mêmes horreurs. Arrestations arbitraires, absence de droits, tortures, meurtres, tout y est. C’est ce qui ressort du rapport de Human Right Watch en date de Mars 2004, basé sur une enquête effectuée entre décembre 2003 et février 2004. En voici quelques extraits.
9 mars 2004. Saif-ur Rahman a été arrêté en août 2002. On l’a prélevé dans son village dans la province de Kunar et emmené en hélicoptère à Bagram. Dès l’arrivée, on l’a dénudé et on lui a fait passer une première nuit dans une cellule frigorifique après l’avoir « lavé » avec un jet d’eau froide. Le jour suivant on l’a emmené dans une pièce, enchaîné et toujours nu. Là les soldats USA l’ont couché sur le sol, la face contre terre, en l’immobilisant avec une chaise. Puis ils ont commencé à l’interroger, suivant la dynamique qui leur est habituelle.
Le prisonnier doit se tenir debout, souvent nu, pendant des heures et des heures, un phare très puissant pointé sur son visage. L’interrogatoire ne commence que si le prisonnier reste parfaitement immobile et silencieux pendant une heure entière. Au moindre mouvement, les soldats reportent le décompte à zéro. Durant l’interrogatoire, les militaires hurlent des questions et des injures de derrière leur phare, et s’il n’obtiennent pas les réponses qu’ils veulent, ils passent aux pressions physiques, c’est-à-dire aux coups de pieds et de poings. Mais comme ils savent que les prisonniers ne parlent pas durant les premiers interrogatoires, ils font en sorte de les « rendre plus souples » avec un traitement étudié dans les moindres détails.
On les laisse toujours nus et enchaînés, même durant la nuit. Des nuits sans sommeil, du fait que les cellules dans lesquelles ils sont entassés sont constamment illuminées par un éclairage violent et que les soldats, tous les quarts d’heure, les réveillent en tapant sur les portes métalliques. Cette privation de sommeil dure des semaines. De jour les prisonniers, toujours enchaînés, sauf durant les interrogatoires, n’ont le droit de parler que s’ils sont interpellés par les soldats. Ceux qui transgressent cet ordre sont enchaînés par les mains à une poutre au-dessus d’une porte, restant ainsi pendant des heures les bras au-dessus de la tête dans une position très douloureuse.
A moins que les prisonniers ne passent par « Camp Slappy », c'est-à-dire le camp des gifles, la terreur des prisonniers afghans : « Si t’es pas sage, leur dit-on, on t’emmène à Camp Slappy »
M.S.N. a été arrêté au printemps 2002 et transporté en avion dans ce camp américain de la base de Kandahar : "Après qu’on ait été capturés, on nous a chargés sur un avion militaire. On nous a mis des chaînes aux pieds, on nous a bandés et mis un capuchon sur la tête. On nous a fait asseoir par terre, jambes tendues et les mains liées derrière le dos avec des lacets en plastique. Une position très incommode et instable. Ceux qui bougeaient ou qui tombaient sur le côté suite aux sursauts de l’avion, étaient battus sans pitié par les soldats qui les surveillaient, à grands coups de pieds dans les reins et dans le dos. (….) Quand l’avion est arrivé, on nous emmené dans un édifice, toujours bandés et les chaînes aux pieds, et on nous a jetés au bas d’une rampe d'escaliers. Ensuite on nous a conduit dans une salle où on nous a jeté à terre. Nous devions rester immobiles. Ceux qui bougeaient étaient battus. Puis on nous a emmenés dans les cellules. Un traducteur nous a dit que nous n’avions pas le droit de parler entre nous et qu’il était interdit de dormir. Ceux qui contrevenaient à ces ordres étaient battus. Mon voisin qui s’était endormi a été battu sauvagement et on l’a contraint à passer la nuit dehors couché sur le sol gelé."
Un autre raconte son interrogatoire : "on m’a attaché les mains derrière le dos et on m’a couché sur une table, sur le ventre. Deux soldats m’immobilisaient, un me tenant par le cou, l’autre par les pieds, m‘écrasant de toutes leurs forces contre la table. Deux autres militaires ont commencé à me frapper à coups de poings et à coup coups de coudes dans le dos, sur les bras, sur les jambes. Pendant cinq ou six minutes. Puis ils m’ont obligés à me lever, en m’ordonnant de rester parfaitement immobile et ils ont commencé à m’interroger. Dès que je vacillais les coups recommençaient."
Voilà donc en quoi consiste l’opération Enduring Freedom (Liberté durable) : usage injustifié de la force militaire contre les civils, arrestations arbitraires de simples paysans et d’artisans, parfois de tous les hommes d'un village, même en l’absence de provocation ou de danger, captures avec épisodes de saccages et de dévastation des habitations, emprisonnement dans des lieux secrets, sans aucun droits, tortures et meurtres des détenus jamais suivis d'aucune enquête.
Tous les anciens prisonniers racontent les mêmes horreurs, les même souffrances, les mêmes détails. Et les officiers américains qui ont accepté de parler les confirment. Le porte-parole des forces armées USA en Afghanistan, le colonel Bryan Hilferty n’a pas démenti ce rapport, il a simplement déclaré : "Ce rapport démontre une absence de compréhension des lois de la guerre et de l’environnement dans lequel nous sommes en train d’opérer.”
Une admission implicite de la vérité. En attendant, rien ne change.
Quand en 1945, les alliés « découvrirent » les camps de concentration et qu’ils racontèrent ce qu’ils avaient vu, les gens n’en croyaient pas leurs yeux ni leurs oreilles, beaucoup ont affirmé qu’ils n’en savaient rien, qu’ils n’avaient jamais eu la moindre idée des horreurs qui y étaient commises. Et les peuples, afin que rien de tel ne puisse se répéter, se sont empressés de créer l'ONU, puis de signer la Convention de Genève. Aujourd’hui, tout le monde est au courant de ce qui se passe en Afghanistan, à Guantanamo, en Iraq, etc… De nombreuses ONG continuent à dénoncer les abus, les horreurs, l'absence de droits, mais cela change-t-il quelque chose ? Quel est le pouvoir d'une ONG, de deux ONG, de dix ONG, si aucun Etat ne prend partie, n’élève la voix, s'ils se taisent tous ou s’en lavent les mains ? Ne sont-ils pas tous complices?
Commentaires et Mises à jour :
Re: Et
A propos d'enjeux économiques et politiques, il y a un pays qui n'est pas encore complètement sorti d'affaires, mais qui est en train de faire du beau travail, tenant tête au FMI après avoir "nettoyer" ses horreurs et mis ses coupables sous procès, c'est l'Argentine de Kirchner.
Paradoxalement, je vois plus de courage dans les pays du G20, ceux qui se sont opposés aux USA à Cancun, que dans nos pays riches. Le Brésil aussi fait des progrès.
Et
les enjeux économiques et politiques parlent à leurs place..et tu sais bien que les enjeux économiques et politiques ne sont guère bavards.