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Amiry Souad, « Cappuccino a Ramallah » (2003)

Comment a-t-on pu, en français, intitulé « Cappuccino à Ramallah » ce livre de la Palestinienne Suad Amiry, architecte et professeur d’architecture à la Birzeit University  alors que le titre anglais est « Sharon and My Mother-in-law », le titre italien « Sharon e mia suocera, diari di guerra da Ramallah, Palestina, et le titre allemand « Sharon und meine Schwiegermutter » ? Comment se fait-il qu'en France, on n'ait pas compris qu'il s'agissait probablement d'un cri du coeur essentiel, les deux composantes étant sans doute les deux choses les plus exaspérantes dans la vie de l'auteur ?

 

Réussiriez-vous à imaginer quelque chose de plus féroce et dévastateur que l’occupation de votre pays additionnée à un sévère couvre-feu imposé durant des mois ? Une réponse négative est escomptée. Mais Suad Amiry, de mère syrienne et de père palestinien, née à Damas, qui a étudié à l'Université américaine de Beyrouth, à Edimbourg et aux USA, connaît le monde et est revenue vivre à Ramallah, réussit par un geste littéraire complètement hors des schémas habituels, à nous bousculer par un journal hilarant mi public mi privé qui enregistre les choses depuis le bas et à l’intérieur. En quelques pages éclatantes d’humour et d’une lucidité politique et sentimentale au vitriol, les coups bas de Sharon et de son gouvernement finissent ainsi par faire un tout avec le tempérament d’une belle-mère insolente, avec qui l’auteur est obligée de subir un involontaire tête à tête de 34 jours.

 

En s’adressant aux Israéliens, Suad Amiry dit qu’elle ne sait pas si un jour elle sera capable de leur pardonner un couvre-feu de 34 jours consécutifs, mais ce dont elle est sûre, c’est qu’elle ne réussira jamais « à digérer le fait qu’ils l’aient contrainte à vivre avec sa belle-mère un enfer qui pour elle dura 34 ans! ».

 

Choquante et sophistiqué juste ce qu’il faut pour rider les eaux de la correction politique et pour éviter le supplice rhétorique qui voudrait les victimes et les oppresseurs dans les camps toujours séparés de façon rigoureuse, Suad Amiry fournit un point de vue différent du conflit israélo-palestinien. Même si elle décrit les rues détruites, les files interminables pour acheter de la nourriture et des médicaments durant les quelques heures où on peut sortir, les habitations envahies et pillées, les dizaines de morts, les centaines d’arrestations, et une société qui s’efforce de rassembler ses propres morceaux, elle chasse les lieux communs relancés par les médias du Palestinien pauvre, ignorant et inerme repoussé dans un coin par l’efficace technologie de l’étoile de David : l’indolence des terres arides et désertiques d’un côté et le zèle des vergers luxuriants de l’autre. Suad Amiry se place sur un plan d’égalité, c’est une femme cultivée et moderne, et ses sentiments envers Israël (dans le livre le pays est transposé dans son armée) vont dans ce même sens : ils semblent sans haine ni rancœur. Les soldats enfermés dans l’impénétrabilité des camionnettes ou des tanks envahisseurs n’ont ni regard ni patrie, ils sont seulement là et il semble que ce soit depuis toujours, pour détruire et semer la terreur et rendre les conditions de vie plus âpres. Suad Amiry est stoïque et supporte la situation. Avec ce document, elle prend part sans renoncer au dialogue, à la complexité d’un confit qui continue à rester ouvert.

 

« Quand je rentre de voyage, ce dont je rêve entre autres, c’est tout simplement de trouver mon mari en train de m’attendre à l’aéroport ou au pont de Allenby (ou Hussein Bridge, point de passage entre la Jordanie et Israël, Ndt ). Mais ceci est un privilège interdit à tous les Palestiniens ».

 


Ce livre vient juste de sortir en italien, et ici,  plus que d’un résumé ou d'une critique, il s’agit surtout de ce que j'ai entendu (de Suad Amiry en personne), vu et lu à son sujet. Mais son point de vue m’a semblé tellement intéressant que je n’ai pas pu m’empêcher d’en parler autour de moi et de le signaler ici. Je vais m’empresser d’aller l’acheter.

 

 

Mise à jour du 22 juin 2007 :

Je viens finalement de trouver ce livre et de le lire. Je ne peux que confirmer ce que j'ai écrit plus haut, il y trois ans et demi, la belle-mère de Madame Amiry, bien qu'emblème des déplacements forcés, étant cependant probablement plus présente dans sa vie que dans ce récit. Le sujet principal, c'est vraiment la vie des Palestiniens (même riches, instruits ou éminents, comme dans le cas présent) sous l'occupation d'Israël, sur de nombreuses années et dans un raffinement de cruauté inimaginable. C'est carrément hallucinant, ça dépasse l’entendement ! Que le problème israélo-palestinien vous intéresse ou non, lisez-le !!!!!... Je ne comprends vraiment plus à quel jeu jouent les médias et les ONG avec leurs éternels clichés... car ça va bien au-delà !

 

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Mardi 2 Décembre 2003, 17:41 dans la rubrique "J'ai lu".

Commentaires et Mises à jour :

ImpasseSud
22-06-07 à 15:34

"Sharon et ma belle-mère"

Un titre qui sent le cri d'exaspération !!! Peut-on se permettre de le changer ?!?!? J'avais tout d'abord publié cet article sous ce titre. Ne sachant pas que ce livre existait en français, il me semblait logique vu que je partais des trois versions anglaise, italienne et allemande dont les titres sont identiques. Evidemment, si j’avais cherché sous le bon titre et en francisant le nom de Madame Amiry, j’aurais peut-être fini par le dénicher. Mais avouez qu’il faut avoir la tête étrangement formatée pour passer de « Sharon and My Mother-in-law » à « Capuccino a Ramallah » qui n’est que le titre du deuxième chapitre (14 pages) d’un livre qui en comprend dix et 281 pages ! Et comment se fait-il que 34 jours en deviennent 40 ? On a pensé que ça ferait mieux vendre ?!!!! Que ce soit pour les livres ou les films, en matière de traductions, on peut souvent dire que ce ne sont pas les scrupules qui étouffent les éditeurs français. Comme si les erreurs dues à l’incompréhension ou à l’inexistence d’un concept dans une des deux langues ne fournissaient pas déjà assez de matières à trahison !
Je viens donc de réécrire le premier paragraphe.