Renault a promis de rentrer à Sandouville en 2012. Toutefois, tous ceux qui poussent un soupir de soulagement feraient bien de mettre un frein à leur gratitude et d’attendre de voir pour faire la fête. Car il se pourrait bien qu’il s’agisse, là aussi, du second acte d’une globalisation qui vise avant tout à effacer tous les acquits des luttes sociales et à réécrire le « Code du travail ». C’est exactement ce qui est en train de se passer ces jours-ci en Italie à l’usine FIAT de Pomigliano d’Arco, près de Naples.
La première scélératesse, c’est que pour rouvrir Sandouville on enlèvera sans doute le pain de la bouche d’une main d’œuvre actuellement anglaise et espagnole. En ce qui concerne FIAT, il n’y a plus aucun doute : vu qu’il s’agit d’une usine qui n’est plus compétitive, la direction FIAT a tout d’abord annoncé qu’elle allait fermer. Mais comme il s’agit d’une usine à la pointe de la technologie, elle a ensuite proposé aux ouvriers désemparés d’y rapatrier la production de la Panda, délocalisée en Pologne depuis plusieurs années, où, justement, les prétentions ouvrières sont à la hausse.
La seconde scélératesse, c’est que dans tous les cas le « capital » a désormais le dessus sur l’Etat qui, au nom de la crise causée par ce même « capital », le renfloue aux frais des contribuables et des classes les plus faibles. En Italie comme en France les gouvernements ont laissé et laissent que le « capital » délocalise, et en Pologne, c’est à travers une forte subvention de l’Etat qu’en son temps on a « invité » FIAT qui, aujourd’hui, veut mettre la clef sous la porte.
La troisième scélératesse qui correspond au second acte, arrive dès que dans l’esprit des travailleurs salariés, on a réussi, entre chômage, chômage technique, emplois à risque, précaires ou au noir, à faire entrer le concept de la « souveraineté désormais inéluctable de la globalisation ».
Il est clair que nous y sommes.
« La logique est simple », écrit le philosophe italien Paolo Flores d’Arcais dans Il Fatto Quotidiano à propos de ce qui est en train de se passer à Pomigliano d’Arco : « Les capitaux, c'est-à-dire finances plus établissements, peuvent être déplacés librement. De la même façon, il est facile de déplacer la capacité de travail nécessaire, mais en laissant derrière soi tous les droits et les acquits, salariaux et non, que les travailleurs ont obtenu au cours de deux siècles de luttes. De cette façon, il coule de source que la condition de l’ouvrier italien s’approchera progressivement, et dans un rythme toujours plus rapide, de celle des ouvriers de Shanghai ou, au mieux, de Bucarest, vu qu’autrement le patron délocalise sa production toute entière vers les pays où les salaires vous sortent à peine de la misère noire et où les droits syndicaux ne sont qu’un mirage. »
« Si la prophétie de Marx (1) s’avéra tout d’abord erronée », continue-t-il, « ce n’est que parce que les luttes des travailleurs et de l’opinion publique qui les soutenait, obligea les gouvernements à imposer la camisole de force au « capital » et au degré de plus-value de la capacité de travail qui pouvait être « pressuré » légalement, avec, par exemple, les huit heures, l’interdiction du travail des mineurs, puis les conditions d’hygiène, de sécurité, la tutelle des syndiqués, pour en arriver au « Code du travail ».
Ici, il serait inutile d’entrer dans les détails du nouveau « modèle de travail » (2) que FIAT propose aujourd’hui aux ouvriers de Pomigliano d’Arco pour rapatrier la Panda, mais le fait est qu’il fait table rase de tous les acquits. La direction pousse même l’hypocrisie jusqu’à mettre sur pied un referendum : Si le oui l’emporte, elle relocalise à « ses » conditions et laisse tomber la Pologne, si c’est le non, elle ferme. Belle façon de faire endosser aux ouvriers l’entière responsabilité de l’issue du conflit !
Pour le besoin de la vérité, il faut préciser qu’à Pomigliano d’Arco, il y avait certains abus syndicaux à revoir, mais autour de cette usine, il y a des enjeux énormes, entre un taux de chômage bien plus élevé que la moyenne, tout ce que cette usine implique de sous-traitances, le sort de l’usine de Turin. Sous les pressions de toutes sortes, du plus haut au plus bas de l’échelle, et les chantages les plus grossiers et les plus mensongers, les chefs des principaux syndicats ont donné leur accord, sans consulter l'ensemble des inscrits. Seuls ceux de la FIOM résistent, 700 personnes sur les 4.500 personnels de l'usine. Ils sont apparemment les seuls à voir l'llégitimité du referendum et des accords, les seuls à voir que ces conditions sont « anticonstitutionnelles » et qu’elles pourront ensuite jouer le rôle de « précédent ».
« Mais l'accord passera tant que continuera la « guerre entre pauvres », les CDD contre les CDI, les chômeurs contre les CDD, et tout le monde contre les immigrés. » conclut Paolo Flores D’Arcais. « Parce qu’en Italie, l’ensemble des richesses continue à croître, même si au ralenti, mais ce qui croît plus que tout, c’est l'inégale démesure de sa répartition. Contre cette explosion du privilège, toutes les victimes de la crise devraient s’unir plutôt que d’engraisser ceux qui en sont responsables en se divisant. »
La France n’est pas l’Italie se diront certains. Sans aucun doute, mais pourquoi Renault ou ses « confrères en capital » qui ont déjà accompli le premier acte scélérat de la délocalisation devraient-t-il être plus accommodants pour la relocalisation, vu que chez FIAT la refonte en marche arrière du Code du travail est en train d'être acceptée ?
(Les textes en italique ont été traduits de l'italien par ImpasseSud)
(1) qui soutenait que, pour amplifier son profit au maximum, le capitalisme tend à faire précipiter les salaires des travailleurs vers le minimum nécessaire pour la seule reproduction physique de la capacité de travail.
(2) Entre autres : les huit heures à la chaîne deviennent neuf sur un cycle sur 18 jours, avec heures supplémentaires sur demande avec très peu de préavis, les pauses diminuent de moitié, et faire grève peut vous valoir un licenciement.
Mots-clefs : Société, Italie, France, Justice, Sujets brûlants, Union Européenne, Multinationales
Commentaires et Mises à jour :
Dans le Haut-Rhin comme à Pomigliano d'Arco...
Dans le Haut-Rhin, des salariés du textile doivent dire "non" à leur réintégration pour sauver leur entreprise
Apparemment, c'est la nouvelle façon d'agir pour contourner les lois sociales : on met le personnel devant le fait accompli, puis face à deux solutions au chantage, et, par referendum, on l'oblige à choisir entre la perte de ses droits ou la perte de son emploi.
Ensuite, on expulse les récalcitrants.
A Pomigliano D'Arco, 64 % du personnel ayant accepté les nouvelles conditions d'emploi, FIAT y retransférera la fabrication de la Panda (qu'elle enlèvera au Polonais !!!) mais ne réintégrera pas ceux qui ont voté NON.
Les syndicats servent-ils encore à quelque chose vu qu'ils sont incapables de flairer la généralisation d'une tendance dangereuse, incapables de s'unir pour la contrer ?