Dans la bibliothèque de l’Université de Bologne, il s’est produit quelque chose d’incroyable : des livres anciens, jetés au sol, ont été cloués à coups de marteau. La responsabilité de ce délit retombe rapidement sur un jeune mais déjà prestigieux professeur de philosophie des religions (un magnifique Raz Degan), qui, en crise, a décidé de disparaître en faisant perdre ses traces. Après avoir abandonné sa voiture et tous les biens dont il disposait (à part une poignée d’Euros, sa carte de crédit et son ordinateur, se gardant bien d'utiliser les deux derniers), il s’est réfugié sur les rives du Pô, se liant d’une amitié sincère avec les habitants d'un village tout proche qui l’aident à reconstruire la cabane en ruine qu’il a adopté comme toit et qu’il aidera ensuite contre la machine infernale du soi-disant progrès. Sa sérénité récupérée, il se retrouvera cependant face aux conséquences de son acte.
Le hasard a voulu que je voie ce film pendant que j’étais en train de lire l’Evangile selon Jésus-Christ de Saramago. Deux rébellions spirituelles face à face et beaucoup de similitudes, car il ne fait aucun doute que ce jeune professeur, de par son aspect physique, fait très vite penser à Jésus-Christ. Mais alors que le livre est l’œuvre d’un écrivain athée, ce film est l’œuvre d’un cinéaste qui se déclare profondément croyant. Dans cette bibliothèque de l’université la plus ancienne du monde occidental, Ermanno Olmi utilise les cent clous pour crucifier, frapper la pensée écrite, car « les religions n'ont jamais sauvé le monde » va-t-il jusqu'à mettre en exergue. A son avis, qui rejoint celui de Saramago, de son vivant Jésus s’est rebellé aux règles, dans le temple, et à son propre martyr. Deux points que les idéologies et les religions imposent au contraire aujourd’hui à travers la prétendue sagesse des livres, privant l’homme du bien maximum du libre arbitre. Une tromperie, cause de souffrance et d’éloignement de ce qui compte, c’est-à-dire le plaisir d’une vie simple, en l’occurrence merveilleusement illustrée par les coutumes des gens de la plaine du Pô et la beauté des paysages à vous couper le souffle.
Ce que dit le Professorino, comme on le surnomme affectueusement tout le long du film, ne laisse aucun doute : « Que de vérités inscrites dans ces textes… A quoi cela a-t-il servi ? A nous tromper l’un l’autre. Il y a plus de vérité dans une caresse que dans tous les livres » « Tous les livres du monde ne valent pas le café qu’on prend avec un ami ». Au Monseigneur très âgé qui ne comprend pas son geste après qu’il lui ait servi si longtemps de mentor il réplique : « Vous avez aimé les livres plus que les hommes, et les livres peuvent servir n’importe quel patron ».
Dans l’interview qu’on peut lire ici, Ermanno Olmi ajoute: « Depuis toujours, les plus grands despotes déclarent : « Dieu est avec nous ». Moi je suis contre toutes les formes d’Eglises qui donnent plus d’importance aux dogmes qu’à l’homme. Je suis pour la liberté de l’homme. Les religions ont entraîné l’humanité dans des abîmes épouvantables. La religion peut apporter des suggestions qui parfois peuvent guider nos idées, mais il ne faut surtout pas permettre qu'elles deviennent des impositions. (..)
Aujourd’hui, on a atteint les limites de la décence et la religion a produit toute une série d’équivoques, comme la justification du martyr. Le Christ n’a jamais évoqué le martyr pour la foi, il s’est rebellé, il a abattu le temple des règles, des livres écrits, et, dans une certaine mesure, il s’est mis contre Dieu lui-même, ce Dieu qui demande des sacrifices humains. [Olmi le croyant serait-il d’accord avec Saramago l’incroyant ?] Je suis convaincu que Dieu a vécu dans la gaîté et le premier miracle qu’il a accompli en transformant l’eau en vin nous le confirme. Je crois que quand on vit ensemble dans la joie, l’eau peut réellement devenir du vin ».
Présenté au Festival de Cannes 2007, prochainement en France dit l’affiche. Pourquoi n’est-ce pas encore fait ? Alors en attendant si vous ne comprenez pas l’italien, vous pouvez vous rabattre sur la version en espagnol, car ce très beau film est à voir, même si la fin vous laisse un peu sur votre faim.
P.S. Comme l'a annoncé puis confirmé Ermanno Olmi a plusieurs reprises, ce film est et restera son dernier film de fiction, car il a décidé de retourner à ses premières amours, le documentaire, en défense de la nature comme Terra Madre, sans dédaigner la collaboration, à travers des courts métrages, à des projets qui valent la peine d'être défendus... et financés, comme Il premio qui raconte l'histoire vraie de deux jeunes chercheuses qui ont inventé un bracelet utile aux enfants diabétiques, à la fois hautement technologique et d'un look propre à faire baver d'envie les autres enfants.
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