Ici, malheureusement, le travail au noir est encore une habitude largement répandue. « Après tout », comme m’a dit élégamment quelqu’un l’autre jour, « si un patron se casse le c.. tous les jours pour que sa boîte gagne de l’argent en fournissant du travail, cet argent-là lui appartient et il n’y a pas de raison qu’il doive en reverser une bonne part à l'Etat en charges ou en impôts en tout genres ». Donc, à ce qu’il semblerait pour certains, nous voilà face à de «saints-patrons» ! Par contre, si ces saints-patrons-là ont l’occasion de régulariser la situation d'un ou plusieurs de leurs employés aux frais de l’Etat (c’est-à-dire de ceux qui paient leurs impôts), alors ils deviennent magnanimes et n’hésitent pas un seul instant. L’histoire suivante a de l'incroyable, mais elle est vraie. Par contre les mécanismes en sont si tortueux que je ne sais pas si je vais réussir à bien la raconter.
Dans une ville du sud de l’Italie de 200.000 habitants que je ne nommerai pas, sans usine ou gros pôle d'emploi, peu touristique malgré la beauté de son site, imprégnée par la mafia et le clientélisme, là où le taux de chômage officiel est de 28 à 30 % mais atteint 50 % quand il s’agit des jeunes, mais où, dans les faits, une partie de ces gens-là travaille déjà au noir et pour un salaire de misère, la municipalité vient d’avoir la brillante idée de faire appliquer, finalement, un décret voté en 2003 dans le but de créer 300 nouveaux emplois.
Les ayants droit : les entreprises, collectivités et cabinets régulièrement inscrits sur les registres de la commune, en proportion directe avec le personnel déjà existant, à condition de ne pas avoir effectué de licenciement dans les 12 mois précédant la demande et de n’avoir jamais été l’usufruitier d’une aide de l’Etat. Les employeurs doivent prendre l’engagement formel d’engager avec un CDI stipulé en accord avec les contrats-types des syndicats de catégories en ce qui concerne les horaires et les salaires, et de respecter les normes de sécurité, de santé, urbaines et environnementales.
Les bénéficiaires : 300 personnes défavorisées (les critères de sélection sont assez larges), avec ou sans diplômes, habitant dans la commune depuis au moins 2 ans, inscrits sur les listes des demandeurs d'emploi ou sur le point de perdre leur emploi, à la recherche d’une formation, d’un perfectionnement ou d’une réinsertion, et à condition de n’avoir aucun lien de parenté avec les dirigeants ou propriétaires de l’entreprise qui propose de les engager.
L’intervention de l’Etat : pendant 15 ans, il versera une contribution annuelle de 12.000 Euros par emploi créé aux entreprises ou collectivités qui auront été déclarées idoines.
Les demandes doivent être déposées entre le 19 et le 30 juin.
Les faits :
1) Les vrais chômeurs d’un certain âge, ceux qui ont une carrière derrière eux mais ont perdu leur emploi récemment, ont fait le tour de leurs connaissances et amis ayant la moindre PME, en leur disant : « Moi, ce qui m’intéresse avant tout, c’est de pouvoir toucher ma retraite. Alors si tu fais la demande pour moi, l’Etat te versera 12.000 Euros par an pendant 15 ans, avec lesquels tu pourras payer les charges qui me concernent. Quant à l’obligation de contrat et de salaire, on s’arrangera. » Il faut savoir qu’ici, en plus du travail au noir, un certain nombre d’employeurs « en règle » fait signer à ses employés de faux reçus, qui déclarent un nombre d’heures de travail inférieur aux heures effectivement travaillées et un salaire supérieur à celui réellement touché, obligeant ainsi l’employé à financer de sa poche la part patronale des charges.
2) Les soi-disant « futurs » employeurs qui, depuis longtemps, ont de bons employés au noir, ont sauté sur l’occasion pour régulariser la situation des meilleurs au frais de l’Etat. Dans la mesure où, en Italie, pour être engagé régulièrement, il faut tout d’abord être inscrit sur les listes de demandeurs d’emplois (le temps d'attente et les caractéristiques du demandeur déterminant le taux des charges patronales), et que seul un contrat d'engagement les raie de ces listes, en l'absence de contrôles surprise avec prise en flagrand délit, ces patrons-là sont inattaquables.
3) Le vendredi 16, en fin d'après-midi, c'est-à-dire 3 jours avant l'ouverture du bureau des demandes, les patrons-demandeurs (ou leurs délégués officiels) étaient déjà plus de 1000 à faire la queue, en plein soleil, devant le bâtiment, pour postuler pour un, deux ou trois « nouveaux » employés.
4) Sur le point d’en venir aux mains, les patrons ont organisé un comité directeur, dressé une liste nominale numérotée, et décidé qu’un appel serait fait toutes les 3 ou 4 heures, les absents perdant automatiquement leur priorité. Tout le monde s’est donc organisé avec parents et amis pour se donner le change jusqu'au lundi, dehors, jours et nuits, par plus de 30 °, les « futurs » employés relayant même leurs patrons de vieille date. La municipalité a acheté des chaises pour que tout le monde puisse s’asseoir. La protection civile a apporté des bouteilles d’eau et des sandwichs ; les sandwichs terminés, elle a commandé des pizzas. Des toilettes ont été mises à disposition et l
Les résultats :
1) 300 personnes qui travaillaient déjà au noir (mais peut-être un peu moins à cause des fraudeurs de la retraite) vont finalement voir leur situation régularisée…. ce qui ne signifie pas forcément qu'ils vont toucher régulièrement leur dû. (Les autres entourloupettes, je les raconterai une autre fois.)
2) L’Etat va débourser 54 millions d’Euros sans créer un seul emploi, finançant les fraudeurs avec les contributions des gens honnêtes et encourageant l’évasion fiscale.
Il y a deux ans, en France, dans le cadre de la réinsertion dans la vie active, j’ai eu l'occasion de suivre de près une histoire différente mais semblable dans sa finalité, tout aussi trompeuse, tout aussi « légalisée », mais, là aussi, surtout à l'avantage des employeurs qui avaient adhéré au projet. Dans les faits, on leur envoyait sur demande et sans lui laisser le temps prévu pour chercher un autre emploi, du personnel pour un ou deux mois, bon marché (60 % du SMIC pour 39 h/sem.) et malléable, à qui on pouvait même imposer des déplacements sans prime à l'autre bout de la France, pour, par exemple, aller nettoyer les sanitaires d'un camping. Belle réinsertion ! Qu'en est-il, trois mois plus tard, de tous ces gens-là ? Après, on se demande pourquoi certains chômeurs préfèrent le RMI auquel s'ajoutent les aides de la CAF, de la FSL, etc. Tout cela, ce n'est pas de la politique sociale, c'est de l'exploitation programmée et de l'aumôme mal placée.
Je suis peut-être trop sceptique, mais, en ce qui me concerne, je suis toujours perplexe face à ce genre de mesure exceptionnelle, d'une générosité seulement apparente. Car si un Etat socialement bien structuré doit promulger des lois spéciales pour avoir l'air de s'occuper concrètement du chômage de ses citoyens, n'est-ce pas parce que cet Etat ferme délibérément les yeux sur les abus et les fraudes ? Que peut-on construire de sain et de stable sur de tels fondements ? Aucune distribution d'argent facile ne peut apporter une solution valable, durable. Je crois au contraire qu'elle attire surtout les margoulins.
Si un gouvernement veut réellement faire disparaître le chômage, il faut avant tout qu'il trouve des solutions qui fassent renaître l'espoir, non pas celui de pouvoir tromper quelqu'un ou détrousser l'Etat légalement, mais l'espoir qui permet, même aux plus humbles, de faire des projets à long terme, celui qui donne les moyens de retrouver l'estime de soi-même. Et en cela, si on décide d'ignorer le peu d'ampleur et tous les dessous malhonnêtes, il y a quelque chose de bon dans l'idée italienne, car 300 personnes vont réellement le trouver ou le retrouver. Par contre, si un Etat a vraiment de l'argent en trop (mais j'en doute, ne sont-ils pas tous en rouge ?), au lieu de le distribuer sans critères et sans contrôles, à tort et à travers, pourquoi ne pas financer, pour ne faire qu'un exemple, tous les postes vraiment utiles supprimés ces derniers temps au nom d'un bilan déficitaire ?