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Dans la prison de Yougo-Scheveningen
--> Cohabitation kafkaïenne des leaders qui ont assassiné un pays.

Scheveningen Prison ONUA mon avis, toute comme la liberté et l’égalité, la « justice » n’est qu’un concept inaccessible. La plupart des torts infligés, surtout quand ils ont touché des personnes, est absolument irréparable quand le mal est fait. Payer le dû que vous réclame la société ne vous absout en aucun cas, quand le mal est fait. Alors quand il y a eu génocide, nettoyage ethnique…. Faut-il baisser les bras pour autant ? L’Occident a cru bon de créer la Cour Internationale de Justice de La Haye, à laquelle elle a ajouté, en 1993, le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. Très juste, pensera-t-on. Cependant, le très intéressant reportage qui suit m’est resté sur l’estomac.

 

« Scheveningen, c’est la plage de La Haye, Den Haag, pendant les deux semaines durant lesquelles la Mer du Nord ne te transforme pas directement en morue surgelée. A dix minutes de taxi de la capitale administrative de la Hollande des crèches et à une soixantaine de kilomètres de la joliment peccamineuse et vivante Amsterdam, Scheveningen est également la seule plage au monde qui est en montée. A ta gauche, tu dépasses le fort-caserne de la prison de l’ONU derrière lequel se cachent les bâtiments hypermodernes de l’hyper-galère gardée par des surveillants hyper-payés, et tu grimpes dans la mer, au-delà du front des digues désormais collines parées de vert, bien plus hautes que les routes que tu as parcourues. On appelle ça les Pays-Bas, et quand on voit la Mer du Nord tout proche, c’est impressionnant. Tout comme le fait de se présenter à l’entrée de la prison. Tu as beau lui changer de nom en version politiquement correcte, ici aussi les agents d’entretien et d’assainissement continuent à ramasser les ordures, les personnels de santé à nettoyer les postérieurs des patients et la police pénitentiaire à user de méfiance professionnelle, contrôles indispensables et clefs d’ordonnance. Filtrage collectif pour les visiteurs et les avocats de tous les détenus, puis les rues carcérales des « droits communs » et des « internationaux » se séparent. Une de mes sources parle de 10 barrages différents, avec ses tours de verrou respectifs, une autre en réfère 17. De toute façon, ton galérien t’attend, qu’on l’appelle Gospodine Predsednice, Monsieur le Président, ou Mon Général.


L’heure du foot

A l’intérieur, les plus hauts moments de tension ont lieu autour des matchs de foot. Foot à cinq. Une fois, Mladen Natelic, dit « Tuta », a commis une mauvaise faute sur Vojislav Seselj, dit « Voja » ; en se jetant à terre de tout son poids, il a fait trembler la salle de sport. Jambe qui saigne, coup de sifflet pour la faute et la polémique de toujours entre Croates et Serbes à propos de ceux qui tapent le plus et les premiers. C’est comme de revenir au Stade Maksimir de Zagreb au cours du match historique entre la Dinamo et l’Etoile Rouge. A l’époque, le 13 mai 1990, les contrastes des supporteurs antagonistes de la place nationaliste furent le début de la désintégration de la Yougoslavie. Ce fut la guerre.
En cette année 2008, au centre sportif de la prison hollandaise de Scheveningen en Hollande, la jambe qui saigne, c’est celle du corpulent Seselj, Serbe parmi les Serbes, ancien vice-premier ministre de Milosevic, ancien secrétaire du parti ultranationaliste et ultra radical en deuxième position aux élections de ce dimanche en Serbie, mais prêt à former sa majorité de gouvernement. Contre lui, les mises en boîte de ce maigrichon de Natelic, Croate d’Herzégovine, moins intellectuel mais nationaliste tout aussi acharné des récentes guerres des Balkans. Une ébauche de l’antique esprit yougoslave, fait d’ironie, mise en boîte et cohabitation essentielle. Comme si les deux groupes « sportifs » de l’heure de la promenade, retombés dans l’enfance du collège carcéral, tous accusés de crimes de guerres, voulaient revenir à la Grande Yougoslavie qu’eux-mêmes, en tant qu’adultes, avaient réussi à mettre en pièces.

 

Les cellules de Scheveningen sont confortables.

Chambre à coucher, petit séjour avec une chaise, une table, la télévision et, sur demande, un ordinateur. Dans la salle commune, un téléphone à carte. Un logement décent trois étoiles. Les douches, malheureusement, sont en commun, tout comme l’espace que, de 7 heures du matin à 20 heures 30, l’heure de retour dans les cellules, les 15 détenus de chaque section doivent partager : séjour, cuisine, espace de lecture, espace d’étude des centaines de kilos de documents judiciaires. A partir de 7 h, la socialisation est dans les faits.

Les soins personnels. J’ai entendu la femme d’un détenu illustre demander à son mari, au téléphone, s’il avait fait sa lessive et repassé ses chemises. Si jamais un jour ces gens-là recouvrent leur liberté, ils seront certainement des hommes plus humbles.

Repas aux horaires d’hôpitaux. Ou la cantine de la prison ou, à tes frais, une commande hebdomadaire de matières premières. Ceux qui en sont capables cuisinent. Les plus doués sont les Croates, peut-être à cause de leur voisinage avec l’Italie, et les Serbes qui ont été soldats. Cellule et sieste durant les heures de repas des surveillants, puis sports, heure de promenade et autres activités. Par exemple, Seselj et Natelic qui sont dans la même section, jouent aux échecs pendant des heures. A présent, le leader ultranationaliste serbe est bien embêté. Il vient de perdre son Croate préféré, condamné définitivement à 25 ans de prison et transféré, pour expier sa peine, dans une prison du nord de l’Italie. Une nouvelle !

 

En prison, ces gouvernants accusés d’avoir armé des assassins et des criminels miraculeusement transformés en patriotes, ce bel échantillonnage de protagonistes de dix ans de carnage balkanique, tendent à ressembler à autant de Peter Pan de la Yougoslavie Perdue de la fable, qu’eux-mêmes, justement, ont transformé en cauchemar. Serbes et Croates, Bosniaques serbes, Croates et Bosniaques, Kosovars serbes et Kosovars albanais, Monténégrins. Avec les fantômes en plus, à partir de celui de Slobodan Milosevic, jusqu’aux invisibles Karadzic et Mladic. 161 incriminés, 43 déclarés coupables, 8 acquittés, 25 non-lieu et 6 en jugement dans l’au-delà. Toute la succession des guerres balkaniques et toutes les variantes possibles de nationalismes contraposés et pourtant tant de similitudes.

Quinze « hôtes » par bloc, à Scheveningen, détention rigoureusement interethnique, espaces communs, et puis, durant les deux heures journalières de promenade dans la cour, les rencontres avec leurs collègues des autres sections. Si ce n’est pas de la Yougo-Nostalgie, il s’agit sans autre de Yougo-Bonnes-Manières, à commencer par l’usage de la langue, le serbo-croate même pour l’Albanais Ramush Haradinaj, ancien premier ministre kosovar, ancien chef de l’UCK et puissant chef d’une puissante FIS (famille), qui, à chaque fois qu’il rencontre l’ancien président serbe Milan Milutinovic dans la cour des promenades, se présente à lui avec un très correct « Dobar dan gospodine Predsednice. Ja sam… » (Bonjour Monsieur le Président. Je suis…). Pour l’instant Haradinaj est en liberté au milieu des protestations unanimes à Belgrade, acquitté en première instance suite au décès des témoins d’accusation qui l’incriminaient des massacres des populations civiles serbes et Rom (le même Tribunal de La Haye qui l’a acquitté va recourir en appel), et il menace déjà de faire tomber le gouvernement de Pristina.

On me raconte que Milosevic aussi jouissait d’une grande considération parmi les autres détenus. Il en a fait du bruit, en mars 2006, le faire-part du décès de Milosevic, mort en prison le jour d'avant, accompagné des condoléances pour leur « compagnon de La Haye » sur les quotidiens belgradois Politika et Vecernje Novosto ! Parmi les signataires, en plus des détenus serbes, il y avait aussi quatre Croates, à commencer par le Général Ante Gotovina. En Croatie, certains parlèrent de « tromperie des médias serbes », de « manipulation politique ». Quand la confirmation de Gotovina arriva, alors on a dit qu’il s’agissait de « solidarité carcérale », des « habitudes qui règnent dans les prisons », mais aussi de « sentiments chrétiens », avec toute la bénédiction de l’Eglise Catholique de Zagreb. Quelques-uns ont rappelé la fameuse phrase sur « la fraternité et l’unité » de Josip Broz Tito, l’ancien Président de la Yougoslavie. Qu'il s'agisse d'un semblant de « titoïsme » de retour, de la rédemption chrétienne de quelqu’un, d'une simple exigence de survie en détention...

 

Une curiosité pour nous Italiens-Vaticanisés : les chambres carcérales pour rapports sexuels, pour favoriser, autant que possible, leurs pratiques entre personnes de sexes différents. Petite cellule étroite, mais avec un lit à deux places. Le détenu avec sa compagne en visite se présente au surveillant, retire des draps propres et s’enferme dans l’alcôve carcérale. Une heure, ce qui n’est pas peu. On me dit qu’à présent les enfants de Scheveningen sont nombreux. Un papa joue avec son petit garçon en visite et, en bon Croate, il le câline avec des « mon petit Oustachi ». L’enfant, désormais éduqué à l’école de Yougo-Scheveningen, se moque de lui : « Non, moi petit Tchetnik », à semer la confusion entre les nationalismes qui ressemblent désormais à des caricatures contraposées. Quand la sonnerie pousse le groupe des visiteurs vers le chemin de la sortie, la femme bosniaque, encombrée d'un autre enfant de Scheveningen en route, a du mal à tirer derrière elle le petit garçon de trois ans qui finit avec bonheur dans les bras du Serbe « Tchetnik » qui s’en charge. Yougo-Scheveningen résiste également hors des murs de la forteresse, semblables à ceux du Moyen-âge. Tout le monde a le numéro de téléphone de tout le monde. Après le carnage sur le terrain, les échanges de solidarité carcérale sont impératifs, en même temps que l’échange de courtoisies à l’intérieur.

 

Les manières courtoises

Pas un anniversaire ou une fête du calendrier qui ne devienne l’occasion d’une Yougo-Courtoisie. Pour son récent anniversaire, Ante Gotovina, le général croate, ancien caporal de la Légion française, accusé des massacres contre les Serbes de la Krajina orientale, a offert du cochon de lait au four à tous les détenus, mais avec la délicatesse de le transformer en poulet religieusement correct pour les musulmans de Bosnie et du Kosovo. Le gâteau traditionnel, c’est l’un des quelques Serbes doués pour la cuisine qui l’aurait fait. Du reste, à Yougo-Scheveningen, on fête tous les Noël : tout d’abord le Noël catholique, et, 13 jours plus tard, le Noël orthodoxe. Pour Pâques, calcul liturgique plus compliqué, les Croates s’amènent avec des œufs en chocolat et les Serbes avec des œufs de poules, mais décorés à la main. Les Albanais et les Bosniaques musulmans convient leurs collègues-galériens au Bajram du sacrifice d’Abraham et à chaque fin de Ramadan.

Il y a quelques temps, me raconte une de mes « sources », quelqu’un a assisté à un litige à l’intérieur de la partie serbe qui, grâce à l’ex Procureure Carla Del Ponte, est largement majoritaire. Un ancien administrateur local discute avec une ancienne autorité du gouvernement national : « Pourquoi as-tu toujours rejeté mes demandes de financement pour restructurer les écoles maternelles et primaires ? » « Si tu nous avais demandé d’améliorer les prisons, les fonds, on te les aurait donné tout de suite. Tu ne croyais quand même pas que la fête finie on nous renverrait à l’école ? »
Boutade amère qui cache d’énormes souffrances, pour les Balkans tout entier, mais aussi à l’intérieur de Yougo-Scheveningen. Encore plus de bouches amères après le test belgradois des récentes élections serbes, avec la participation annexe des résistants serbes du Kosovo, en suivant les mêmes personnages qu’hier, ceux qu’on n’arrive vraiment pas à se figurer comme les constructeurs d’un avenir crédible pour ces pauvres Yougo-Balkans ; à Belgrade comme à Bruxelles. Tandis que pour former le nouveau gouvernement serbe, la seule certitude qui émerge, c’est le dédouanement, non seulement mais pas tant des « nationalistes », ou encore des soi-disant « philo européistes », du Parti socialiste qui fut celui de Slobodan Milosevic. »

Ennio Remondino, « La Jugoslavia di Schevningen », publié dans Il Manifesto le 15 mai 2008

Traduction de l’italien par ImpasseSud


Par rapport aux crimes commis, y a-t-il dans tout cela la moindre justice ?

Mise à jour du 22.07.08 : Lire le premier commentaire

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Ecrit par ImpasseSud, le Dimanche 1 Juin 2008, 14:09 dans la rubrique "Récits".

Commentaires et Mises à jour :

ImpasseSud
22-07-08 à 08:24

Karadzic enfin arrêté

Lire l'article dans Le Monde : Le Serbe Radovan Karadzic, inculpé de génocide, a été arrêté

"Le président de Bosnie-Herzégovine, Haris Silajdzic, a souligné qu'"il s'agit au moins d'une satisfaction pour les familles des victimes" mais que "le projet de nettoyage ethnique [entrepris par Karadzic et Ratko Mladic] est toujours vivace".  "Justice a finalement été faite. Le criminel sera finalement confronté à ses faits", a déclaré à l'AFP à Sarajevo une responsable de l'association des Mères de Srebrenica. Le parti au pouvoir en République serbe de Bosnie s'est réjoui de cette nouvelle : "Il est important qu'il soit traduit en justice pour en finir avec la honte pesant sur les Serbes, qui sont les otages de sa culpabilité.
L'arrestation de Karadzic, "un jour très important pour la justice internationale"

L'inculpé, qui sera très vite transféré à la prison de Scheveningen pour y être jugé devant le Tribunal International, a qualifié la situation de "farce". Je ne sais pas si c'est vraiment le cas, mais cela me donne envie d'aller lire le "Paix et Chatiment" de Florence Hartmann, où l'auteure, ancienne correspondante en ex-Yougoslavie du journal Le Monde de 1990 à 2000 et porte-parole de Carla Del Ponte de 2000 à 2006 révèle "les attitudes équivoques des puissances démocratiques face à une justice internationale émergente".