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De la mémoire à l’espoir : une histoire...

Stèle de Yad YashemEn Italie, avoir de la mémoire, c’est ne pas oublier qu’en 1938, le Grand Conseil fasciste approuva une « Déclaration sur la race » avec des « lois pour la défense de la race », transformant la vie des quelques 50.000 juifs italiens et immigrés en particulier (les lois discriminatoires contre les Chamites existaient depuis 1936) en cauchemar puis en un enfer fidèlement décrit par Thomas Wieder dans Le Monde (lire le texte intégral ci-dessous, dans le deuxième commentaire), donnant lieu à des persécutions toujours plus féroces qui aboutirent à la mort, à Auschwitz pour la plupart, de près de 8.000 d’entre eux dans le cadre de la solution finale. Mais avoir de la mémoire, c’est aussi mettre en lumière tous les Justes connus ou inconnus (en Italie ils ont caché 29.000 juifs et en ont aidé 5 à 6.000 à passer en Suisse ou au sud après sa libération par les Anglo-Américains en septembre 1943), qui, tout au long de l’Histoire se sont opposés et continuent à s’opposer à l’injustice quelle que soit l’excuse que la bêtise humaine ou la malignité lui collent.  Alors, en cette « Journée de la mémoire », j’ai tout à coup envie de raconter cette petite histoire pleine d’espoir. 

 

Aujourd'hui, les juifs italiens sont environ 35.000 et la plupart d'entre eux habitent à Rome.

Piazza dei Cenci, à Rome justement, dans l'ancien quartier du ghetto (1), non loin du Castel Sant’Angelo et de la Grande Synagogue, Marco S., la quarantaine, a hérité du restaurant de sa famille, mais il hésite à prendre la suite. L’affaire n’était pas très brillante, mais est-il juste de faire disparaître un des quelques lieues où les juifs romains ou de passage peuvent trouver et savourer une nourriture et des spécialités rigoureusement kasher ? La tâche promet d’être rude. Il finit quand même par trouver un coreligionnaire décidé et compétent, et, ensemble, ils peuvent enfin programmer une date de réouverture. Au dernier moment cependant, ce collaborateur a un empêchement et Marco a l’impression que tout est renvoyé aux calendes grecques ou... perdu, car il ne peut absolument pas s’en sortir seul. Il lui faut avant tout un bon maître d’hôtel. Il passe donc une petite annonce, avec des requêtes bien spécifiques pour éviter de perdre du temps en rendez-vous inutiles. Alors qu’il commence à désespérer, le téléphone sonne enfin :

- Bonjour, je suis Monsieur X….. Le poste que vous proposez m’intéresse, et je crois avoir toutes les capacités requises. Seulement, je crains qu’il y ait un problème... Je suis musulman.

- !?..... Qu’à cela ne tienne, lui répond Marco après une minute de perplexité. Pourriez-vous passer ?

Un courant de sympathie passe immédiatement entre Marco et Waheed et, ensemble, ils se mettent à la recherche d’un cuisinier expérimenté en cuisine romaine mais aussi méditerranéenne orientale, et, parmi tous ceux qui se présentent, leur choix commun s’arrête sur Malak, catholique copte d’origine égyptienne.


C’était il y a cinq ans. Aujourd’hui ce restaurant (de viande) marche bien et Marco S. dit même de Malak qu’il cuisine aussi bien que sa mère !!!!... et Waheed dit de Marco que son plus grand défaut, c’est qu’il est trop bon…. Ensemble ils ont même créer un plat qui satisfait les exigences des trois religions.

Cependant, - il faut bien l’avouer -, on ne peut s’empêcher de penser que derrière cette belle entente, il doit y avoir des règles sévères, comme l’interdiction d’aborder certains sujets, par exemple. Si vous osez poser la question à nos trois amis, il vous éclateront de rire au nez et vous répondront que, de religions, il en parlent sans arrêt, qu’une amitié sincère le permet.

 

 

(1) En 1492, après l'expulsion des juifs d'Espagne par Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille, auxquels viennent se joindre ceux du sud de la péninsule et de la Sicile alors sous domination espagnole, à Rome, le nombre des juifs augmente brusquement et atteint près de 120.000, mais une partie d’entre eux remonte vers les communautés du centre-nord. C’est alors qu’on invente le « ghetto », quartiers étroits entourés de murs et transformés en résidence obligatoire pour isoler les juifs des chrétiens, et c’est à Venise, en 1516, que ce mot apparaît pour la première fois. Ils se multiplient, mais c’est par la bulle Cum nimis absurdum que le pape Paul IV Carafa institut celui de Rome en 1555. Enfermés dans ces espaces restreints vite surpeuplés avec l’interdiction d’exercer d’autres professions que le prêt d’argent ou la revente de vêtements usés, les juifs traversent trois siècles très difficiles. Ils conservent cependant leur propres traditions et continuent à étudier : l’analphabétisme y est inexistant. Il faut attendre le XIXe siècle pour que leur situation s’améliore. En 1848, Charles-Albert de Savoie leur concède les mêmes droits civils et politiques qu’aux autres citoyens de son royaume. En cette période qui voit la formation de l’unité italienne, les mêmes droits sont accordées à tous les juifs des régions successivement annexées. A cette époque, en Italie, ils sont environ 39.000. Mais à Rome, Pie IX oblige les juifs à réintégrer le ghetto jusqu’à la chute de la ville et son annexion au Royaume d’Italie le 2 octobre 1870. Onze jours plus tard, un décret royal abolit toutes les différences religieuses. (Sources)

 

P.S. A ceux qui voudraient se faire une idée plus précise du climat de discrimination sous le fascisme, je conseille de lire deux oeuvres de Giorgio Bassani : Le Jardin des Finzi-Contini et Les lunettes d'Or.

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Ecrit par ImpasseSud, le Samedi 27 Janvier 2007, 22:59 dans la rubrique "Actualité".

Commentaires et Mises à jour :

Incognito
12-02-07 à 18:25

Lien croisé

viaggiodinozze : " Après la "Journée de la mémoire" de la semaine dernière, l'Italie célèbre aujourd'hui la "Journée du souvenir". Pour comprendre de quoi il s'agit il faut remonter loin dans l'histoire.Toute la zone de Venise, Trieste, l'Istrie et la Dalmatie a depuis des siècles été le théâtre de mouvements de population. Il est extrêmement difficile de savoir qui était là d'abord et qui aurait droit à la " rel="nofollow"

 
ImpasseSud
13-02-07 à 07:20

Le cauchemar des juifs italiens

Sachant que cet article serait bien vite réservé aux abonnés du Monde, j'en avais sauvegardé le texte. Le voilà ci-dessous :

 

Marie-Anne Matard-Bonucci : le cauchemar des juifs d'Italie

LE MONDE DES LIVRES | 11.01.07 | 12h18    Mis à jour le 11.01.07 | 12h18

 

C'est l'une des pages les plus sombres de l'histoire du fascisme italien. Ce n'est pourtant pas la mieux connue. Notamment en France, où l'on cite souvent en exemple la protection dont bénéficièrent les juifs dans la zone occupée par les Italiens entre novembre 1942 et septembre 1943, cette période où l'on vit des carabiniers empêchant des policiers français d'arrêter des juifs pour les livrer aux Allemands. Mais on oublie parfois que ce qui fut une réalité en France et dans les autres pays occupés par l'Italie (Yougoslavie, Grèce) ne l'était pas de l'autre côté des Alpes, où les juifs étaient traités comme des parias.

 

Longtemps délaissée par les historiens, la politique antisémite conduite par le régime fasciste à partir de 1938 fait l'objet, depuis une quinzaine d'années, de relectures iconoclastes. C'est tout le mérite du passionnant ouvrage de Marie-Anne Matard-Bonucci que d'offrir enfin au public français une synthèse de ces travaux, enrichie de recherches inédites dans les archives italiennes. Les conclusions sont sans appel. Elles remettent en cause l'idée d'une législation imposée par l'Allemagne nazie, appliquée avec indulgence et rejetée en bloc par un peuple soi-disant immunisé contre l'antisémitisme.

 

Pour les juifs d'Italie, 1938 marque bien le début d'une véritable descente aux enfers. Fasciné par la capacité qu'ont les nazis de mobiliser les masses, Mussolini, au pouvoir depuis seize ans, cherche à "donner un nouvel élan à la révolution fasciste". Après la conquête de l'Ethiopie en 1935 et la participation à la guerre d'Espagne, à partir de l'année suivante, le Duce mise désormais sur l'antisémitisme pour "relancer la machine totalitaire". Et fait "du" juif le "négatif de l'homme nouveau italien" que le fascisme se promet de façonner (1). La surprise est d'autant plus vive que le dictateur s'est toujours gardé de fustiger une communauté loyale, dont 20 % des membres adhèrent au parti, soit trois fois plus que la moyenne des Italiens.

 

En quelques mois, environ 50 000 individus sont ainsi mis au ban de la société. Les juifs naturalisés après 1919, déchus de leur nationalité, subissent le même sort que leurs coreligionnaires étrangers, sommés de quitter le pays dans les six mois. Les juifs italiens ne sont guère mieux lotis, sauf quelques milliers d'entre eux, anciens combattants, membres historiques du parti fasciste ou chanceux réussissant à obtenir des passe-droits de la part de fonctionnaires corruptibles. Toutes les administrations sont épurées. Avec une célérité particulière dans l'éducation nationale où, dès la rentrée, élèves et professeurs juifs sont mis à l'écart. La saignée est très nette à l'Université, où près d'un professeur sur dix perd son poste.

 

Aucun secteur n'est épargné. L'exercice des professions libérales est encadré et certains métiers - banque, assurance, notariat - sont carrément interdits aux juifs, qui perdent au passage le droit de diriger des entreprises de plus de cent salariés. Logique totalitaire oblige, l'Etat s'immisce dans la vie privée en interdisant les mariages entre juifs et non-juifs. Le fantasme d'une Italie où toute présence juive aurait disparu conduit enfin à la "déjudaïsation" de noms de rues, à l'élimination des juifs des annuaires téléphoniques et à la disparition de leurs avis de mariage et de décès sur les murs des villes et dans la presse.

 

Sévérité des lois, rapidité de leur exécution : "Le fascisme brûl(e) les étapes, accomplissant en cinq mois ce que (l'Allemagne) avait opéré en cinq ans", remarque l'historienne, qui souligne le peu de résistances que suscite l'adoption de cette politique. Modèle de duplicité, Victor-Emmanuel III se dit solidaire des juifs tout en ratifiant les nouvelles lois. Et Pie XI, qui vient pourtant de condamner, en 1937, le racisme hitlérien dans l'encyclique Mit brennender Sorge (Avec une brûlante inquiétude), se laisse convaincre de ne pas protester publiquement.

 

Les réactions du pape et du roi sont à l'image de celles du pays. Certes, l'Italie ne connaîtra guère de flambées de violence contre les juifs. Et, malgré les subsides de l'Etat, l'audience des pamphlets et des revues rédigés par le "petit lobby des idéologues antisémites" demeurera confidentielle. Mais les protestations resteront isolées. L'heure est plutôt à une froide indifférence, une insidieuse "mithridatisation" de l'opinion qui pousse les fonctionnaires, par devoir plus que par conviction, à s'acquitter docilement de leur nouvelle mission. Et à ne regimber que pour le surcroît de travail généré pour l'occasion...

 

Après l'entrée en guerre de l'Italie, en juin 1940, la fraternité d'armes avec l'Allemagne fait de tout juif un suspect en puissance. Assignations à résidence et internements se multiplient. Le vrai tournant n'interviendra cependant qu'à l'automne 1943 quand les Allemands ramèneront Mussolini au pouvoir un mois et demi après sa déposition. Désormais repliés à Salo, au bord du lac de Garde, les derniers fascistes participent aux spoliations et aux rafles. Au total, près de 8 000 juifs d'Italie périssent dans le cadre de la "solution finale".

L'ITALIE FASCISTE ET LA PERSÉCUTION DES JUIFS de Marie-Anne Matard-Bonucci. Perrin, 600 p., 24,50 €.

 

(1) Voir L'Homme nouveau dans l'Europe fasciste (1922-1945), sous la direction de Marie-Anne Matard-Bonucci et Pierre Milza, Fayard, 2004.

 

Thomas Wieder

Article paru dans l'édition du 12.01.07