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De père en fils

Jacob Gerritsz. Cuyp, 1644Hier, non seulement c’était fête en Italie, mais Entre mer et maquis on fêtait un anniversaire. Comme toutes les années nous avions réservé une table dans le même bon restaurant. Il faut faire une centaine de kilomètres en voiture pour y arriver, mais on pouvait s’y rendre les yeux fermés. L’addition y est plutôt salée, mais nous savions que cadre élégant, mets exquis, vins excellents, rythmes et service parfaits, sans aucune obséquiosité, nous attendaient. Un véritable plaisir des sens, et quelques fourchettes dans le guide Michelin. Le père a créé ce local il y a bien des années, ne cessant de l’améliorer, et le fils, tout aussi stylé, est désormais plus présent que le père. La relève étant assurée, il n’y avait pas de quoi s’inquiéter…. Jusqu’à hier.

 

En septembre dernier, on y avait entrepris des travaux, durant les trois semaines de fermeture annuelle. Dans la salle rénovée, le confort et le bon goût avaient encore augmenté, et jeudi dernier, les propriétaires ont finalement inauguré la salle à l’étage, redoublant ainsi le nombre des couverts …., mais aussi, et cela nous a tout de suite frappé, diminuant la qualité et la chaleur de l’accueil, réduisant le choix des mets : la cuisine est devenue quelconque, le service laisse à désirer, et la note est encore plus salée. On a donc lancé un défis à notre fidélité, nous faisant passer l’envie d’y retourner…. A nous, mais aussi à d’autres. La clientèle va sûrement changer et le nombre des fourchettes diminuer, mais je ne suis pas sûre que le fils, exagérément imbu de sa professionnalité, ait déjà mesuré l'ampleur des dégâts.

 

Dans une même affaire, le changement de génération est toujours difficile. Le père ayant rejoint un certain niveau de qualité, et parfois même d’excellence, il n’est pas toujours facile pour le fils de comprendre que cette excellence n’est pas un acquis solide, immuable, sur lequel créer n’importe quoi, mais qu'à l'inverse il n’est que le résultat d’un combat quotidien. Redoubler la capacité d’un bon restaurant ne signifie pas qu'on va gagner le double, mais, au contraire, qu’on bouscule son chef-cuisinier…  au préjudice de la qualité.

 

Par les temps qui courent, au taux de chômage élevé, on pourrait croire que ces fils ont de la chance, que leur voie et leur fortune sont tracées. Mais il n’en est rien, car aujourd’hui, conserver signifie renouveler sans dégrader. Une tâche bien difficile, qui demande beaucoup d’intuition et de doigté. Nombreux sont ceux qui tombent, démolissant en quelques années ce que leur père a mis une vie à créer.

 

En attendant, pour nous c'est bien dommage...

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Ecrit par ImpasseSud, le Mardi 26 Avril 2005, 15:42 dans la rubrique "Bribes perso".

Commentaires et Mises à jour :

samantdi
26-04-05 à 16:04

Cela me frappe souvent, en effet. Ici, on dit que la première génération crée l'entreprise, la seconde la développe et la troisème la défait. Pour les raisons que tu signales : au bout d'un certain temps, la réputation semble acquise, mais il faut un sacré travail, des compétences et de l'humilité pour la conserver...

 
ImpasseSud
26-04-05 à 16:25

Re:

Ici, on dit également la même chose, mais je crois que les temps sont en train d'accélérer le rythme des hécatombes. 

 
tgtg
26-04-05 à 17:07

Re: Re:

Il ne s'agit pas nécessairement de génération.
Je connais beaucoup de commerces (snaks, restaurants, vêtements..) qui fonctionnaient très bien.
Les propriétaires voulaient augmenter les bénéfices.
Ils ont fait des transfomations, agrandissements...
Et, tout en essayant de garder la même qualité et le même service, l'ambiance n'est pas la même....

 
ImpasseSud
26-04-05 à 17:41

Re: Re: Re:

J'ai pensé au problème générationnel parce que ce que j'ai vécu hier m'a rappelé d'autres èpisodes semblables. Celui, notamment, d'un entrepreneur hollandais que j'ai bien connu, qui avait hérité une entreprise avec 177 employés. Il a campé sur les lauriers de son père durant une vingtaine d'années, il a même été élu "entrepreneur de l'année" avec sa photo sur la couverture de l'édition hollandaise de Newsweek, et l'année suivante il a fait faillite.

Mais tu as raison, on retrouve le même déséquilibre chez ceux qui s'agrandissent exclusivement pour gagner plus d'argent, incapables de tenir compte du type de clientèle ou de la capacité qui sont le leurs. En général, ça finit par une fermeture.


 
Gamin
26-04-05 à 19:38

Re: Re: Re: Re:

J'ai connu bon nombre de phénomène de ce genre, mais un me vient en mémoire, à juste titre, d'ailleurs, parce que la qualité de travail ne s'est pas dégradée, elle s'est même améliorée...

L'homme dont je parle est maçon... L'entreprise a été fondée par le père, aujourd'hui disparu, et le fils a donc repris les rênes de l'affaire, tout en conservant la devise de feu son père : travailler à l'ancienne !!

En effet, ce maçon pas comme les autres fait le béton à la pelle (pas de bétonnière), le béton est monté dans les coffrages par seaux (pas de brouette), bref, tout est fait à la main, et évidemment, la qualité est là...

Ses apprentis le connaissent de réputation, ils se bousculent à la porte pour travailler chez lui, il ne fait aucune publicité, tout se fait de bouche à oreille, et pourtant, il roule sur l'or... Je n'ai jamais entendu dire du mal de lui, bien au contraire...

J'ai eu l'occasion de discuter avec lui un jour, en lui demandant pourquoi il n'utilisait pas de bétonnière et de brouettes... Sa réponse fut éloquente : « La bétonnière, c'est pour les fainéants, et la brouette, ça peut faire plus de dégats qu'autre chose... En faisant monter le béton dans des seaux en plastique, je ne risque absolument rien, et mes apprentis le savent, et ils apprennent le vrai métier de maçon !! »

Il a ajouté pour finir « Certains de mes apprentis se sont lancés, et appliquent tous ma manière de travailler... C'est la chose dont je suis le plus fier !! »

Comme quoi, le progrès peut être l'ennemi du bien... comme tu le démontre dans ton article... ;-)


 
ImpasseSud
26-04-05 à 20:08

Re: Re: Re: Re: Re:

Non, je ne pense pas que le progrès soit l'ennemi du bien, mais l'appât du gain peut sans autre pousser quelqu'un d'ambitieux à devenir présompteux et à prendre des décisions hâtives et erronées.

En tout cas, ton histoire est très intéressante. Je crois moi aussi qu'il faut encourager le goût du travail bien fait, ne serait-ce que pour les satisfactions personnelles qu'il procure.


 
PierreDesiles
29-04-05 à 12:49

On ne refait pas le monde à son image...

Très bien décrite, ImpasseSud,  ton observation d'un phénomène malheureusement fréquent, mais qui ne sert pourtant pas de leçon. Chacun pense que ça n'arrive qu'aux autres et qu'en rien cela ne les touche.

L'appât du gain est source de bien des dérives et dans de nombreux domaines, au mépris de la continuité de l'entreprise familiale.

Par contre, les grands "maîtres" en tous genres(cuisine, couture, peinture etc...) et qui durent, savent se faire respecter et surtout ... désirer, n'hésitent pas à faire attendre leurs clientèles, qui de toutes façons seront là, fidèlement attachées à cette rareté de conservation des traditions ou autres savoir-faire, pour mieux en apprécier les services.

J'ai connu à la Réunion, exactement le même phénomène dans un restau près de chez moi, où les clients, tout comme toi, faisaient des kms pour se régaler à un coût raisonnable. Le patron a changé, le nom est resté...mais le bol de riz a diminué de moitié et l'addition a doublé...

= Résultat les clients ne viennent plus etc...etc... comme quoi "le bouche à oreille" fonctionne mieux qu'une bonne Pub !

Je pense que lorsque qu'une personne crée une entreprise à partir d'une de ses idées, elle y met aussi son âme, tout comme les chansons et pour moi, c'est la seule chose qu'on ne peut pas transmettre...


 
ImpasseSud
29-04-05 à 13:37

Re: On ne refait pas le monde à son image...

Tout à fait d'accord avec toi, Pierre. Même quand on le désire au plus haut point et envers les êtres qu'on aime le plus au monde, il est impossible de transmettre son âme. Je trouve cela assez frustant.