En matière de croyances, tous ceux qui me connaissent savent que même si décidée, je suis plutôt tolérante. Non pas que je change d’avis pour faire plaisir à quelqu’un, mais j’accepte toujours les opinions contraires, surtout si elles sont assises sur des bases solides et raisonnables, si elles sont exprimées avec courtoisie. Et il ne m’échappera jamais le moindre mot désobligeant ou méprisant contre ceux que parfois je ressens presque comme des adversaires. Si mon opinion risque de déclencher un conflit, je préfère même garder mes idées pour moi. Toutefois, il me faut ajouter que je n'ai pas un grand mérite à cela, car je suis profondément convaincue que la tolérance est nécessaire, essentielle dans tous les rapports humains. Mais doit-elle s'arrêter là?

Deux évènements ont motivés ce billet. Tout d’abord la violence imposée par la médiatisation à outrance de la fin de Jean-Paul II, - un véritable déferlement en Italie, qui durera jusqu'à la fin du conclave -. Et, ensuite, un commentaire,  lu ce matin sur un de mes articles à propos du port du voile pour les femmes musulmanes.

Nous vivons dans un monde qui a ses règles. Toutes les sociétés, tous les pays ont les leurs, et ces règles ne sont pas apparues à l’improviste, sous le coup d’un caprice ou d’une baguette magique. Elles ne sont pas forcément toutes bonnes, mais un grand nombre d’entre elles est né pour aller à l’encontre des désirs d’une majorité. Vu qu’ici nous sommes en Occident, sous des régimes relativement démocratiques, chacun peut choisir de respecter ou d’aller contre ces règles, à condition, cependant, d’accepter les conséquences de ses choix. On peut avoir envie de changer les choses, lutter pour accélérer leurs modifications, mais on doit également être conscients que certains choix ferment certaines portes, et qu’on n’a pas le droit de crier à l’injustice si on s’obstine à aller à contre-courant. Tout au plus, on peut crier à l’incompréhension.

Toutefois, il ne semble pas que cette évidence en soit une pour tout le monde. Depuis quelques années, la course au prosélytisme reprend du chien, avec violence, exhibitionnisme, agressivité, intransigeance, raisonnements fallacieux et guerres saintes, et je dois avouer que mon esprit de tolérance est de plus en plus souvent mis à rude épreuve, parfois j’ai même du mal à tenir ma langue.

A tous ceux qui voudraient vous imposer leur credo comme une loi suprême, je voudrais raconter ma petite histoire. J’habite en Italie, et, comme tout le monde le sait, c’est le pays du catholicisme. Même si les gens ne sont ni meilleurs ni pires qu’ailleurs, on le respire à tous les coins de rues, mais aussi dans toutes les administrations publiques, à la banque, à la poste, dans les hôpitaux, à l’école, etc… La religion catholique est bien plus qu’une religion, c’est une véritable tradition qui a modelé profondément la façon de penser et d'agir des gens, et si un étranger veut s’intégrer, il n'a pas d'autre choix que d'accepter cet état de fait. Donc, bien que non-croyante, quand mes enfants sont nés, sachant que le fait de ne pas être baptisés leur aurait fermé bien des portes, j'ai accepté de les faire baptiser. Le problème du choix, cependant, s’est représenté dès l’école primaire où l’heure de religion est comprise dans le programme, mais où les parents, non croyants ou d’une autre religion, ont le choix d’y renoncer pour leurs enfants (seulement depuis 1984). Si vous faites ce choix, cela signifie que, chaque semaine, quand arrive l’heure de religion, votre enfant doit sortir de la classe et attendre que la leçon soit terminée. Les directives scolaires prévoient un cours alternatif, mais dans la pratique celui-ci n’existe pas, car on ne met pas sur pied un cours pour un seul enfant. Mais a-t-on le droit d’imposer à un enfant de 6 ans ce qu’il ressent forcément comme une discrimination ? Quand l’âge de la première communion est arrivé, vers 9 ans, alors j’ai dit « non », d’une part parce que cela ne correspondait pas à ce qu’ils vivaient à la maison, mais aussi à cause du côté extrêmement matérialiste que revêt désormais cette cérémonie. La maîtresse de mon cadet lui a bien fait sentir, devant toute la classe, qu'il n'était qu'un paria, mais c'est la seule et unique fois que cela s'est produit, démontrant ainsi que les croyants ne sont pas tous aussi intégristes que leurs chefs religieux, et me donnant, du même coup, l'occasion de lui expliquer ce qu'est l'intolérance. Si bien que mes enfants ont suivi les cours de religion durant toute leur scolarité, et ont suivi leurs copains de classe à la messe chaque fois qu’on les y emmenait à l’église la plus proche.

Tout cela pour leur éviter, pendant 12 ans, d’être discriminés et de se voir fermer des portes qui, ensuite, ont bien du mal à se rouvrir. En plus, suivre les coutumes de leurs copains leur a appris tout ce que moi, étrangère, je n’étais pas en mesure de leur apprendre. Aujourd’hui ils sont parfaitement intégrés, libres du choix de leur croyance et de leurs amitiés. Alors, ai-je bien fait ? Ce choix était-il si difficile ?

Je n’en peux plus de tous ces gens qui veulent vous persuader du bien fondé de leur croyance, de leur foi, prétendant de vous que vous vous adaptiez à eux. Chacun ne pourrait-il pas plutôt s'occuper de sa bonté d'âme afin de rendre sa vie plus vivable, plus acceptable, avec moins d’angles aigus, moins de conflits ? Si moi, en Italie, j’ai réussi à mettre de l’eau dans mon vin sans faire de tort à personne et sans que personne n’en ressorte brimé ou traumatisé, je pense que c’est à la portée de tout le monde.

A force de prosélytisme, on a fini par donner de la rigidité et trop d'importance aux moindres signes d’appartenance, rendant improbables les compromis, la bonne entente, paralysant les gestes spontanés, coupant les ponts, rendant vains les exemples de bonne volonté. On ne recherche plus que l'ostentation de "sa" propre religion, on ne perd pas une occasion d'étaler "sa" vérité, d'imposer "ses" propres convictions, de prétendre le respect de "ses" propres règles, de rester sur "ses" propres positions, et on finit non seulement par froisser, blesser tous ceux qui pensent et croient différemment, mais par s'enfermer dans une gangue interdisant toute communication. Pour ma part, je réfute les prosélytismes, tous autant qu’ils sont et quels que soient leur forme ou leur nom, ceux des minorités comme ceux des masses, parce qu'ils ne laissent aucune place à la tolérance, qui, pour moi est un "confort" dont je ne peux pas me passer.

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