« Ceux qui ont assassiné l’avenir sont très nombreux, mais je suis sûr d’une chose », écrit Massimo Grammelini dans son Buongiorno d'hier, « c’est que tous ses meurtriers avaient un sondage à la main. Managers, journalistes, hommes politiques : depuis un certain nombre d’années, personne n’ose plus prendre une initiative sans l’aval du révélateur le plus trompeur de la volonté populaire. D’après le dernier de ces pièges, la majorité des Américains est contraire à la fermeture de la prison de Guantanamo. J’imagine qu’opportunément titillée, celle-ci résulterait même favorable à l’amputation des mains pour les voleurs. Mais où est-il donc écrit que la poussée émotive du Nombre doive guider les choix d’une nation ou d’une entreprise ? Le peuple des sondages c’est le peuple du j’menfoutisme, parce qu’en l’espace d’un instant, on lui demande de donner des réponses simples à une réalité complexe.
Le sondage a peur de l’avenir. C’est donc l’instrument idéal pour cette dictature de l’éternel présent dans lequel nous sommes empêtrés, avec une classe dirigeante faible et complaisante, qui, n’ayant ni la capacité de vision ni le courage d’innover, trouve dans les opinions conservatrices du public un alibi à sa propre lâcheté. Le sondage représente la négation de la démocratie : les élections servent à déléguer à d’autres le pouvoir d’assumer des décisions en connaissance de cause, mais le sondage leur retire cette procuration et la restitue à ceux qui n’ont ni le temps ni les instruments pour l’exercer. « Les réformes, il faut les réaliser juste avant que les citoyens prennent conscience de leurs nécessités », disait Cavour qui, s’il avait consulté les sondages n’aurait certainement pas fait l’unité italienne, ni même tout ce qu’il a fait d'autre et encore mieux. »
Massimo Gramellini, « Sogno o sondaggi », publié sur La Stampa le
Traduction de l’italien par ImpasseSud
Je ne vois rien à ajouter, si ce n'est qu'il est grand temps que les indécis et les indifférents se réapproprient de leur droit de vote, en toute conscience, et qu'ils osent aller exprimer leur choix.
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