« Ingrid Betancourt a été libérée... », a-t-il dit d’une voix forte dans la pièce d’à côté, pour que je l’entende. « Ah, oui ? » ai-je répondu. J'étais occupée à autre chose et tout en est resté là. Ce n’est que plus tard, la nuit bien avancée et sous
« Ce que ça peut m’énerver ! » s’est-il exclamé. « Ingrid Bétancourt par-ci, Ingrid Bétancourt par-là. Depuis le temps que ça dure : elle est peut-être morte, elle est malade, elle est moribonde, elle a besoin de médicaments, sa dernière lettre déchirante, etc…, comme si ça intéressait le monde entier. Sa famille qu’on reçoit partout, le président de
Surprise par une déclaration aussi tranchée dans la bouche d’une personne plutôt modérée, j’ai répliqué :
« Comment ça ?! Là, tu exagères ! Je comprends que ça puisse te laisser indifférent, mais aller jusqu’à dire qu’on n’aurait pas dû la libérer… Sa famille s’est battue de toutes ses forces. »
« Non, je ne suis pas indifférent, je suis carrément indigné ! Les souffrances qu’elle a endurées m’inspirent un véritable sentiment de compassion, mais pour le reste, - je le répète -, elle n’avait pas plus droit à la libération que tous ceux qui sont encore dans les mains des FARC depuis aussi ou encore plus longtemps. On ne saura jamais ce qu’il y a eu derrière, ni si la mort du terrible Manuel Marulanda dit "Tirofijo" y est pour quelque chose, ni "ce qui", tout à coup, a finalement décidé l’armée et le gouvernement colombiens à ce bien douteux blitz sans morts ni blessés et même sans un coup de feu !!! L
Puis le silence est tombé entre nous. Je ne savais pas quoi répondre car il était loin d’avoir tort. La fin des guerres contre l'Iraq et l’Afghanistan serait une victoire, la fin du drame du Darfour serait une victoire, la fin de Mugabe et de tous les dictateurs africains et asiatiques serait une victoire, la fin de la faim dans le monde serait une victoire, la fin des massacres et dictatures au Tibet et en Tchétchénie serait une victoire, la résolution du problème palestinien serait une victoire, la fin de tous les abus en Amérique latine serait une victoire, un efficace revirement face au saccage de la planète serait une victoire, etc…. mais la libération d’Ingrid Bétancourt ?
L’art du kidnappeur, c’est avant tout de déclencher, dans un ordre progressif classique, une inquiétude mêlée à de l'incompréhension tout d'abord ; la pitié à travers des photos ou des vidéos déchirantes à souhait pour remuer les foules en un second temps. Et ensuite, si les otages sont des VIP ou deviennent importants grâce aux médias, de chatouiller l’amour propre des grands de ce monde. En ce qui me concerne, je dois dire que les enlèvements de Florence Aubenas, Giuliana Sgrena ou Alan Johnston m’ont autrement dérangé. J’y ai même mis du mien car nombreux sont les journalistes qui n’ont pas eu ou n’auront pas la chance de s’en sortir. J'ai participé de tout coeur à la lutte pour la libération de Rhamatullah Hanefi. Mais en ce qui concerne Ingrid Bétancourt, sans jamais avoir été indifférente ni à son terrible sort ni à la douleur de ses proches, j’avoue qu'il y a longtemps que j’avais décroché.
Heureusement pour elle et pour tous ceux qui l’aiment, tout est bien qui finit bien, et elle semble même en bonne santé. « D’ici quelques temps, tu verras qu’elle va remonter sur la scène politique … » avait conclu mon interlocuteur.
Qui vivra verra. En attendant, il serait temps de retrouver le sens des proportions et celui de priorités, celles des petites gens ou des causes piétinées par de flagrantes injustices, par exemple, mais qui n'ont personne de leur côté. Ce sont elles qui ont besoin de battage médiatique car, ceux de « la caste » ont déjà tellement de personnes "intéressées" à leur côté qu'ils retombent toujours sur leurs pieds. Des éternels privilèges de « la caste », en Italie, on en sait quelque chose(1).
(1) Lire dans Le Monde Diplomatique : Impunité à l'italienne
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