Pour bien saisir l'atmosphère heureuse dans laquelle se déroule la petite histoire qui suit, il faut savoir qu’Emergency, désormais, fait quasiment parti du patrimoine afghan, et avoir suivi un tant soit peu cette sale affaire, ce bras de fer de trois mois. Il y a deux jours, elle a rouvert le service de chirurgie de son hôpital de Kaboul, effectuant deux opérations le matin même, dès 8 heures. Et alors ? me dira-t-on. Alors ? Moi j’exulte, car c’est un exemple de la victoire de l’Homme dans ce qu’il a de meilleur, avec une intelligence bien utilisée, du bon sens et de la ténacité, le sens de la solidarité, de la justice et de la parole donnée, contre le mensonge, la vénalité, la fourberie, la mauvaise politique et la corruption, l’imbécillité, la lâcheté, le fanatisme et l’étroitesse d’esprit.
« Un jeune homme de vingt-deux ans à qui une balle perdue a fait sauter deux doigts de la main droite. Et un homme qui s’est chopé une balle dans le bras cette nuit, alors que, de la province de Wardak, il venait à Kaboul : "Sur la route, on nous a arrêtés. Peut-être des talibans. Ils nous ont dévalisés et ils ont tiré. Allah, Allah, Allah. Ça fait mal !" Une longue barbe. Très noire. Il parle du brancard des urgences d’Emergency à Kaboul, tandis que le chirurgien de garde examine le trou : « Entrée et sortie. Emmenons-le dans la salle ». Deux patients sans gravité, des cas classiques, mais toute l’équipe de l’hôpital d’Emergency se souviendra d’eux comme des premiers : aujourd’hui, le centre de chirurgie de Kaboul rouvre ses battants, après que toutes les activités de cette ONG en Afghanistan aient été suspendues pendant près de deux mois.
A Kaboul, aujourd’hui il fait chaud, trafic et poussière. Dehors, devant le portail d’entrée un groupe de parents attend. Ils sont quinze à avoir voulu accompagner Gul Mohammad. Un infirmier leur explique comment il va, répond à toutes leurs questions, et leur demande s’ils veulent donner leur sang. Un des cousins rappelle aux autres qu’un autre parent, un jour, a été hospitalisé dans le shafakhana emergency, et qu’on lui avait donné beaucoup de sang pour le sauver. Brève consultation. Et trois des parents se dirigent vers le laboratoire pour les analyses, tandis que des urgences, on transporte Gul Mohammad au bloc opératoire. «Emergency is back » sourit l’infirmier en fermant la porte blanche et rouge.
Le centre chirurgical n’avait pas encore annoncé sa réouverture officielle, mais ce matin déjà tout était prêt pour accueillir les patients pour la chirurgie et les blessés de la guerre. Ces derniers jours [après la libération de Rahmattullah Hanefi le 19 juin, NdT], l’information circulait dans les rues de Kaboul : à l’hôpital, il y a les cleaners, à l’hôpital, il y les docteurs. Des centaines de turbans, voiles et chadori sont venus voir, demander, pour savoir si c’était vrai. C’était vrai.
Une première partie du personnel – les plus fidèles, les gens qui sont avec Emergency depuis le premier jour à Kaboul [1999, NdT] était au travail depuis quelques jours. Réactiver les salles opératoires et deux grandes chambres pour l’instant, et tous les services de l’hôpital. Les blanchisseuses se répandaient en embrassades et « Merci Allah, c’est tellement beau qu’on rouvre ». Khanum Gul n’a pas de mari mais elle a six enfants, tous aveugles suite à l’explosion qui a dévasté sa maison à Kaboul, et avec son voile blanc, elle essuie les larmes qu’elle ne pleure pas. « Je me faisais tellement de souci pour vous, et pour nous tous ».
Cecilia Strada, Peacereporter
Traduction de l’italien par ImpasseSud
Les bonnes nouvelles sont tellement rares aujourd'hui que, même si toutes petites, il faudrait prendre l'habitude de les raconter autour de soi. Transmettre l'image, l'idée d'un sourire, d'un regain d'espoir, ça fait tellement de bien au moral que c'est contagieux, et on a immédiatement envie de donner un coup de main. Ici ou ailleurs, peu importe, peu importe également la façon de le faire, mais ne serait-ce que pour déclancher un autre sourire, un autre regain d'espoir....
Mots-clefs : Asie, Société, Emergency, Italie, Guerres, Hommes de bonne volonté, Afghanistan