Chaque jour, dans la mesure du temps dont je dispose, j’essaie de faire le tour de la presse on-line dans les trois langues qui me sont familières. Il est évident que mon coup d’œil est assez rapide, mais il me permet néanmoins de « prendre le vent », car, il ne faut pas en douter, dans l’ensemble de la presse occidentale il souffle toujours du même côté. Par-là, il faut comprendre que même si les opinions diffèrent suivant qu’elles sont de droite ou de gauche, les centres d’intérêt sont les mêmes, les journaux parlent tous exclusivement de la même chose. Et, en Afrique, depuis que Charles Taylor a démissionné, depuis qu’Amina a été sauvée… et bien il n’y a pratiquement rien à signaler.
J’en ai pris conscience grâce à un quotidien italien de moindre importance, Il Nuovo pour ne pas le nommer, qui dans sa rubrique « Esteri » (étranger) possède cinq pages, une par continent, l’Asie comprenant l’Océanie et une pour le Moyen-Orient. Les articles des derniers évènements en cours y sont recensés par groupe de cinq à dix. Alors que les frasques de Bush, les conséquences des malversations de ses multinationales et le succès de Schwarzy font courir les nouvelles dans la page de l’Amérique, que les évènements en Iraq et en Palestine font avancer au galop celle du Moyen-Orient, que le nombre d’articles sur l’Europe et l’Asie avance à un rythme régulier, la page de l’Afrique ne comprend la plupart du temps que cinq titres et le plus récent date souvent de plusieurs jours, voire parfois de plusieurs semaines.
Dans ce qu’on pourrait appeler la « grande » presse, c’est pareil. Il suffit de faire un tour d’horizon dans leur rubrique internationale pour s’en convaincre. Le Monde conserve ses trois titres, The Indipendent ses quatre, Libération ses cinq, Le Figaro arrive à un peu plus; La Repubblica conserve les titres des cinq derniers évènements importants; sur The Times, en première page il n’y a qu’un seul titre sous la rubrique « World », tout comme Il Corriere della Sera sous la rubrique « Esteri », etc… Je laisse volontairement de côté la presse américaine, d’une part parce que le fait de devoir décliner nom et prénom pour la lire m’indispose, mais que quand il m’arrive de pouvoir le faire, c’est pour découvrir que seul son nombril l’intéresse. Et bien, sur tous ces journaux on parle de la Palestine, de l’Iraq, des Etats-Unis, depuis quelques jours de la Bolivie (à cause de son gaz !), avec, de temps à autre, un rappel plus précis sur les problèmes sans fin tels que celui de la Tchétchénie ou des conflits asiatiques que je regrouperai sous le néologisme d’« ethno-religieux ». Mais on parle très peu de l’Afrique : il faut donc en déduire qu’il ne s’y passe rien.
En attendant, au Libéria on continue à combattre et en Côte d’Ivoire c’est loin d’être terminé. Tout comme en Sierra Leone, au Congo, en Uganda, au Ruanda, en Ethiopie, en Erythrée, en Somalie, etc… Mais nous n’en saurons quelque chose que si les marchés de l’or, des diamants, du coltan ou autres matières premières courent des risques.
Au Zimbabwe, comme dans le reste de l’Afrique australe, la famine a pris de telles proportions que les gens sont en train de décimer les réserves où ils ont abattu plus de 80 % des animaux. Mais on n’en parlera que s’il s’agit d’aller y placer des récoltes OGM en excédant ou des semences stériles.
Au Soudan, il y a finalement une petite trêve, mais cela intéresse-t-il quelqu’un ? En Angola aussi les choses se sont un peu calmées, mais qu’est-ce que ça change vu que les réserves pétrolières se trouvent en mer… Qu’ils s’arrangent avec leurs millions de mines !
Au Nigeria, même si Amina a été sauvée, l’interprétation extrémiste de la sharia est toujours en application. Alors à quand la prochaine pétition ? Pour l’homosexuel qui est en train de risquer, lui aussi, la lapidation ? Ne faut-il pas qu’un pays soit vraiment désespéré pour conserver ce moyen de chantage dans le but d’attirer l’attention internationale pendant que les multinationales le vident de son pétrole ?
En Afrique, quand on ne meurt pas de faim ou de la guerre, on continue à mourir de la malaria, de la tuberculose ou du Sida, car les médicaments à bas prix n’y sont toujours pas arrivés. Quant aux boucheries fondamentalistes de l’Algérie…..
Un continent entier, plus de 800 millions d’habitants, se déchire et meurt sous nos yeux, mais il semble que son rôle soit réduit à celui d’un supermarché que, comble du bonheur, il suffit de dédommager en pots de vin, en armes ou avec nos excédants. Va-t-on perdre son temps à faire la chronique d’un supermarché, surtout quand il est rentable ?
La presse continue donc sur la même ligne préférentielle. S’il en était autrement, il y a de grandes chances qu’on la rappellerait à l’ordre, car, de droite ou de gauche, elle est obligée de suivre la tendance. D’ailleurs, n’a-t-elle pas déjà un tas de scoops à fouetter ?
Ici, il ne s’agissait que d’un interlude, que d’une constatation : En Afrique, rien à signaler.
Commentaires et Mises à jour :
Re:
Marco, ton commentaire me révèle des dessous de table que j’ignorais complètement, surtout en ce qui concerne les multinationales. Je n’aurais jamais imaginé que l’on pouvait risquer le licenciement pour une critique de Nike, de Danone ou autres.
Personnellement, je boycotte systématiquement quelques marques justement à cause des licenciements en masse suite aux fermetures pour transplantation de certaines de leurs « boîtes » dans les paradis fiscaux. Mais apparemment, ma petite action n’a pas encore égratigné leur arrogance. Je pense que les gens devraient être un peu plus conscients du pouvoir d’achat, mais aussi du pouvoir de non-achat qu’ils ont entre les mains.
Par contre, j’imagine sans peine les comportements douteux du « reclassement ». L’Italie en vit depuis plus de vingt ans avec sa fameuse « cassa integrazione » et ses fameux cours de formation qui enrichissent les gens qui nagent en eaux troubles.
Pour ma part, ça fait longtemps que je ne me fie plus aux médias télévisés, surtout depuis que la plupart d’entre eux sont privés, et que le public est entré dans le mécanisme de la publicité, ou, comme en Italie, public et privé sont entre les mains d’un seul homme. Aujourd’hui, malheureusement, « privé » ne signifie plus « indépendant », mais de plus en plus « vendu » ou « acheté » suivant le côté où on se trouve. Mais la constatation que je viens de faire au sujet de la presse écrite me déçoit vraiment, car même s’il est clair qu’un quotidien comme Le Monde n’est plus ce qu’il était, elle était un peu mon point de repère dans le domaine de l’information. Heureusement qu’il reste encore quelques petits quotidiens, sans trop gros tirage, où les journalistes ont encore envie de faire vraiment leur métier sans se laisser museler ou circonvenir.
Info
Nouvelle de l'Afrique:
gaz-naturel , c'est une preuve de bonne coopération entre deux pays dirigés différemment, la Lybie et la Tunisie. Mais tu as raison, ImpasseSud, il ne se passe rien en Afrique, tant qu'il n'y a pas la guerre!
Personnellement, je lis le Monde sur le web je le trouve pas mal. Pour conserver des marchés , pour simplement garder du travail à ses employés, c'est une lutte perpétuelle avec acharnement pour décrocher des marchés pour vendre( avec tous les sens du mot "lutte" qui va jusqu'à l'espionnage industriel). Pour cela, j' essaye de dynamiser toute mon équipe, jamais je lâche un employé comme cela, c'est comme cela que je suis aperçu que les femmes seules ne peuvent pas vivre avec un salaire 1400 euro net en provine. je lutte contre l'administration qui n'admet pas en France qu'une petite société puisse marche.Et ce qui les vexent le plus, c'est que dans le privé on puisse gagner plus qu'eux. C'est dire le niveau,une seule fois quelqu'un m'a aidé dans l'administration;Les autres fois, c'est toujours pour m'enfoncer, pour ricaner, faut voir le niveau de compétence, c'est 99% du temps perdu parce que on interprète le texte selon une forme de culture, il ne faut pas gagner d'argent, si on gagne c'est donc qu'on est malhonnête;et si je n'en gagne pas comment je les paye les salariés. C'est sûr je n'ai pas le temps de lire tous les journaux et je m'en tiens au Monde pour ma culture générale. Désolé de te décevoir sans doute mais quand pour certains se bougeront le cul au lieu de se lamenter sur leur sort, j'aurais plus le temps d'investir dans d'autres domaines plus humanitaires. le monde de l'argent est là, je pense qu'il faut pas se focaliser sur la poignée de gens connus mais penser également sur l'ensemble des créateurs de ressources, qui se réduisent quelque fois à une simple compagnie de théâtre. Je sais je connais mal les problèmes de l'Afrique.
là si tu es fonctionnaire, je suis viré....................;
Re: Info
Ton lien rejoint ce que je viens à peine d'écrire sur ton article sur Lampedusa. J'ai bien peur que seuls les Africains puissent sortir l'Afrique de son marasme.
Re:
Re: Re: Info
Re: Re: Re: Info
Re: Re: Re: Re: Info
Voici l'article en question, traduit de Il Manifesto. Il s'agit d'une interview faite lors de la dernière réunion de la FAO à Rome à un Sénégalais, Saliou Saar, producteur de riz, président du ROPPA Réseau des organisations des paysans producteurs de l'Afrique subsaharienne) alors qu'il présentait son projet "Afrique comme source"
« Laissez l’Afrique s’en sortir seule, elle a toutes les possibilités pour nourrir sa population ». …. Tous les continents sont touchés par la faim, mais l’Afrique est une des victimes privilégiées, et cette situation de sous-alimentation a comme première victime les populations rurales. Une telle situation d’appauvrissement n’est pas le fruit du hasard mais d’une logique d’exclusion développée en particulier durant les dix dernières années. Le libre échange et les négociations internationales ont fait leur part, réduisant de beaucoup la richesse de l’Afrique durant le siècle dernier. En plus, de tels échanges n’ont pas comme fond un vrai marché mondiale, mais un résidu qui implique 10 % des produits, surplus des agricultures fortes. Il s’agit d’une compétition déloyale qui est à l’origine des prix de production bien plus bas qu’ils ne sont en réalité portant nos paysans à la faim. Et comme si cela ne suffisait pas, en 30 ans ce système a transformé nos habitudes de façon radicale. Le pain est presque devenu un aliment indispensable, alors que notre alimentation traditionnelle n’en avait pas la moindre notion. En attendant, le mil tend à disparaître alors que depuis des siècles il était le pilier de notre alimentation. La transformation de la société est inéluctable, mais quand cette transformation porte à la pauvreté, il faut la bloquer. Ensuite on parle d’OGM, mais laissez-nous donc manger ce que nous produisons, nous pourrons nous nourrir tout seul !
… Il faut bloquer la concurrence déloyale et donner la priorité aux produits internes. Les pays exportateurs doivent réduire leurs subventions aux producteurs, et ils ne doivent pas faire les règles à eux seuls. Il faut faire comprendre aux Africains que leurs produits ont une valeur nutritionnelle capable de les nourrir et qu’ils ne sont pas pires que ceux qui arrivent du nord.
.. Pour l’instant, nous avons lancé une campagne d’information qui durera jusqu’en octobre 2004, date que nous proposons pour une nouvelle rencontre internationale de façon à étudier et lancer ensemble la seconde phase du projet. »
Re: Re:
Salut ImpasseSud,
Quand je dis qu'on peut se faire virer parce qu'on critique Nike ou Danone, c'est un simple exemple. En fait, les organes de presse appartiennent à des groupes financiers (telle que Bouygues, Vivendi, etc.) et sont soumis aux apports des publicitaires : le prix de l'abonnement ou d'achat d'un journal est nettement inférieur à ce qu'il coûte réellement. Et le paradoxe du papier, c'est que plus on en vend, plus ça coûte cher... Donc, il faut surtout éviter de critiquer des marques ou des produits qui appartiennent au même groupe que soi pour éviter de se faire virer et éviter de critiquer les marques et produits des autres groupes pour ne pas perdre un annonceur publicitaire.
Ces deux écueils laissent peu de place à la liberté de presse...
Plusieurs articles sont parus dans le Monde diplomatique sur ce sujet et si tu veux en savoir plus sur les collusions des journalistes et des politiques et sur leur enchaînement au marché, lis le petit livre de Serge Halimi "Les nouveaux chiens de garde" dans la collection Liber/Raisons d'agir fondée par le regretté Pierre Bourdieu. Le fait qu'il ait été ou ignoré ou agréssé par la presse (notamment par Edwy Plenel du Monde, un journal qui appartient au même groupe de le diplo) en révèle pas mal sur les vrais patrons de la presse...
Re: Re: Re: Re: Re: Info
quant aux journeaux, moi je lis le Monde Diplomatique, et on y trouve un peu moins d'infos "a la mode", ou d'infos "pour faire plaisir" et on y parle un peu plus du reste du monde ...
et pourtant, un copain americain qui passait chez moi l'autre jour a pris son tel pour appeler une copine pendant le journal "c'est incroyable, ici, en france, ils parlent effectivement de l'afrique dans leurs journeaux televises" ...
Re: Re: Re: Re: Re: Re: Info
Ce que tu racontes, Iza, rejoint absolument tout ce que je lis depuis près d'un an, à droite et à gauche, dans une certaine presse sérieuse comme Le Monde diplomatique que tu cites, dans un petit livre sorti en Italie "Il vizio oscuro dell'Occidente" qui examine le problème tel qu'il est avec chiffres à l'appui :
(" L’Afrique, par exemple, allait beaucoup mieux quand elle s’aidait elle-même. Au début du XX siècle elle était autosuffisante du point de vue alimentaire. Elle l’est encore en bonne partie (à 98%) en 1961. Mais depuis qu’elle a commencé à être agressée par l’intégration économique - avant on considérait qu’elle était un marché absolument marginal et peu intéressant – les choses se sont détériorées. L’autosuffisance est descendue à 89 % en 1971, puis à 78 % en 1978[3]. On n’a pas besoin de statistiques pour savoir ce qui s’est produit ensuite, il suffit de regarder les images qui nous arrivent du Continent Noir. Il ne s’agit plus de misère mais de faim brutale. Et pourtant durant cette même période la production mondiale de céréales de base, riz, blé et maïs, a augmenté respectivement de 30, 40 et 50 %, et, même en Afrique il y a eu une croissance, bien que modeste, dans la production de ces trois aliments. Mais les Africains, comme bien des gens du Tiers-monde, meurent quand même de faim, parce que dans une économie mondiale intégrée, de marché et monétaire, la nourriture ne va pas où on en a besoin, elle va où il y a de l’argent pour l’acheter. Elle va aux porcs des riches américains et, en général, au bétail des pays industrialisés, vu qu’il est vrai que 66% de la production mondiale des céréales est destinée à l’alimentation des animaux des pays riches[4]. Les pauvres du Tiers-monde sont contraints à vendre aux bêtes occidentales la nourriture qui pourrait leur permettre de manger à leur faim. C’est la loi du marché et de l’argent. (….) ")
et dans un quotidien italien, Il Manifesto.
Je suis de plus en plus persuadée que pour s'en sortir, les Africains doivent flanquer toutes les multinationales à la porte, refuser catégoriquement de rembourser leur dette (comme est en train de le faire le président argentin Kirschner) et se débrouiller seuls.
D'après l'AFP...
... le peu d’information sur l’Afrique serait dû au fait que les journalistes ne sont plus respectés : voir Le Monde : « les difficultés d’informer sur le continent africain »
Chère ImpasseSud,
De fait, il ne se passe rien en Afrique : tout baigne.
La réponse à toutes nos interrogations sur la presse occidentale tient en une question : à qui appartient-elle ?
A des groupes transnationaux privés (et dans ce cas, on peut lapider - métaphoriquement - les hommes politiques, mais il devient dangereux pour son emploi de critiquer Danone ou Nike...). A des Etats. Et les journalistes qui ont leur carte politique ou fréquentent le gratin de l'intelligentsia n'ont pas plus envie que toi ou moi de se retrouver au chômage...
Depuis plusieurs mois, je vis une expérience pénible de schizophrénie médiatique. Je dirige un centre créé par les deux principaux syndicats belges et, à ce titre, je participe à la gestion de la cellule de reconversion des ex-travailleurs de la Sabena (ancienne compagnie aérienne nationale) de la région de Charleroi. Ces cellules sont des dispositifs de reconversion et de reclassement des personnes victimes d'un licenciement collectif.
Depuis un peu plus d'un an, je suis effaré par le traitement que les médias font subir à leurs informations sur le sujet. J'ai l'impression que chaque reportage ou chaque journal télévisé ou radio nous diffuse un feuilleton du genre "Hôtesses et pilotes", alors que le personnel navigant représentait 5 % du personnel total : ce sont donc 95 % de personnes qui vivent une indifférence totale de la part des médias et de la population, ce qui ajoute à leur souffrance d'avoir perdu leur emploi.
Mais en plus, les chiffres annoncés de reconversion sont aberrants : on parle de plus de 75 % de personnes "reclassées"... alors que mes chiffres dépassent avec peine les 55 %. Mais je ne compte pas les gens qui sont en formation de trois jours, les gens qui s'inscrivent au dispositif mais qu'on ne voit jamais, etc.
Cette dichotomie entre mon expérience personnelle et le rendu des médias fait que j'ai perdu toute (ou, du moins une grande partie) de la confiance que jusque-là j'accordais aux médias...
Donc, il ne se passe rien en Afrique : tout baigne.
Bisous, Marco.