Je dois avouer que des drames et des poésies d'Harold Pinter, Prix Nobel de Littérature 2005 « qui dans ses drames découvre l’abîme sous les bavardages et se force un passage dans la pièce close de l’oppression », je ne connais pas grand-chose à quelques exceptions près. Ce qui j’appréciais beaucoup chez lui, par contre, c’était le courage et l’acuité sans équivoque de ses prises de position politiques contre l’hypocrisie des gouvernements-phares de l’Occident, USA et Grande-Bretagne en particulier, avec un mépris des droits de l’homme qu’ils cachent sans scrupules sous le mot « Démocratie ». Une voix forte vient donc de s’éteindre et j’en suis vraiment désolée. Il en faudrait tellement d’autres par ces temps de plus en plus sombres au conformisme bêlant, qui étouffent, l’une après l’autre, toutes les libertés et les générosités de nos pays libres. En hommage à ce grand homme et pour que sa voix continue à résonner, j’ai donc récupéré ici et là quelques extraits de ses écrits et discours.
Tout d’abord cette définition du silence qui s’applique si bien à l’Italie criarde d’aujourd’hui: « … Il existe deux silences. L’un quand aucun mot n’est prononcé. L’autre, quand on recourt peut-être à un torrent de paroles. C’est sa référence continuelle. Le discours qu’on entend est un signe de ce qu’on n’entend pas. C’est une esquive nécessaire, un écran de fumée, violent, sournois, angoissé ou moqueur, qui maintient l’autre à sa place. Quand le vrai silence tombe, on garde encore des échos mais on est plus proche de la nudité. Une manière de voir le discours, c’est de dire qu’il constitue un stratagème permanent pour cacher la nudité…». (1)
Un second extrait (2) qui, tout d’abord adressé à la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher, me fait penser à l’aridité de la France d’aujourd’hui :“… Le discrédit dans lequel est tombé le langage et le mal qui ronge en profondeur l’esprit et l’intelligence morale donnent au gouvernement carte blanche pour faire ce qui lui plaît. Ses représentants peuvent désormais procéder à des écoutes, entrer par effraction, détourner des fonds, cambrioler, mentir, diffamer, brutaliser et terroriser en toute impunité. A dénoncer de tels agissements on se retrouverait tout simplement en prison alors que les serviteurs du gouvernement pourraient rester au-dessus des lois, n’ayant de comptes à rendre ni aux citoyens de ce pays ni à ses représentants devant le Parlement. (Les services de sécurité ont bien entendu toujours été au-dessus des lois, mais cet état de fait est à présent comme sanctifié par le droit). Les lois sont brutales et cyniques. Il n’y en a aucune qui prenne en compte une quelconque aspiration démocratique. Elles n’ont toutes pour objet que l’intensification et la consolidation du pouvoir étatique. A moins que nous ne nous décidions à affronter franchement cette réalité en face, ce pays libre court le danger très grave de mourir étranglé”.
Le troisième, un court extrait que je cite à l’adresse de nos journalistes dont la plupart ont oublié leur mission première, c'est-à-dire informer, et à nous tous de l'UE, dont la plupart des habitants a oublié le degré de responsabilité qu'implique la démocratie, tiré du magnifique discours « Art, vérité & politique » qu’Harold Pinter, déjà malade, enregistra devant une caméra pour qu'il puisse être projeté à Stockholm au cours de la cérémonie de la remise des prix le 7 décembre 2005, discours audacieux que j'encourage tous ceux qui passent par ici à lire en entier :
« En 1958 j’ai écrit la chose suivante :
« Il n’y a pas de distinctions tranchées entre ce qui est réel et ce qui est irréel, entre ce qui est vrai et ce qui est faux. Une chose n’est pas nécessairement vraie ou fausse ; elle peut être tout à la fois vraie et fausse. »
Je crois que ces affirmations ont toujours un sens et s’appliquent toujours à l’exploration de la réalité à travers l’art. Donc, en tant qu’auteur, j’y souscris encore, mais en tant que citoyen je ne peux pas. En tant que citoyen, je dois demander : Qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est faux ?
(…)
Le langage politique, tel que l’emploient les hommes politiques, ne s’aventure jamais sur ce genre de terrain, puisque la majorité des hommes politiques, à en croire les éléments dont nous disposons, ne s’intéressent pas à la vérité mais au pouvoir et au maintien de ce pouvoir. Pour maintenir ce pouvoir il est essentiel que les gens demeurent dans l’ignorance, qu’ils vivent dans l’ignorance de la vérité, jusqu’à la vérité de leur propre vie. Ce qui nous entoure est donc un vaste tissu de mensonges, dont nous nous nourrissons.
(…)
Je crois que malgré les énormes obstacles qui existent, être intellectuellement résolus, avec une détermination farouche, stoïque et inébranlable, à définir, en tant que citoyens, la réelle vérité de nos vies et de nos sociétés est une obligation cruciale qui nous incombe à tous. Elle est même impérative.
Si une telle détermination ne s’incarne pas dans notre vision politique, nous n’avons aucun espoir de restaurer ce que nous sommes si près de perdre – notre dignité d’homme. »
(1) "Ecrire pour le théâtre", 1962, via La République des livres
(2) "L'érosion du langage de la liberté", 1989, via La République des ivres
P.S. Intéressant l'article paru sur Le Temps : "Harold Pinter, l'écrivain assoifé de vérité s'est tu"
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