Le détroit est tranquille, même si le trafic qui le franchit ce matin de dimanche est soutenu. Non loin de nous, quelques écueils recouverts d’algues sombres, à vingt mètres de la rive, les restes d’une ancienne jetée probablement. Sous le soleil rasant, l’un d’eux, plus plat que les autres, est occupé par une cinquantaine de mouettes resplendissantes, le bec au vent. Sur celui d’à côté, un oiseau d’un brun noir, nettement plus grand, mince, au long cou flexible et au bec effilé. Tout à coup, arrivant de nulle part un second oiseau noir se pose, après un splendide virage, juste à côté des mouettes indifférentes à cette présence imposante et inhabituelle. Il déploie tout de suite ses ailes dans l’air piquant et il attend.

Nos connaissances en ornithologie sont nulles et c’est la première fois que nous voyons ce type d'oiseaux par ici. Quel est leur nom ? Au bout de quelques minutes, cependant, une image commence à se dessiner dans mon esprit. Mais voilà deux petits, puis un troisième qui, autour des rochers nagent avec décision entre deux plongeons. Puis ils sautent au sec, et eux aussi, ils mettent leurs ailes au vent. Quelle beauté dans cette adresse innée ! Tandis que les seconds reprennent leur vol vers le nord, l’image de mon cerveau se précise et un nom m’échappe : des cormorans ! La silhouette du premier est exactement celle du malheureux oiseau du Golfe Persique devenu célèbre en 1991 parce qu’immobilisé sous sa chape de pétrole. J’en aurai le cœur net ! Mais très vite ils se rejettent à l’eau, se remettent à nager, à plonger, à voler, à se sécher, car il semble que l’appétit soit grand.

Nous reprenons notre promenade à pied, vers le nord, là où les deux rives se rapprochent. Le temps est au beau fixe, un léger souffle de tramontane ride la surface de l’eau et de nombreuses barques de bois ont pris la mer. Les pêcheurs à pied sec s’affairent eux aussi depuis le bord, mais il semble qu’aujourd’hui le butin soit bien maigre. Nous marchons lentement. Soudain un éclair argenté m’arrête. Est-ce une impression ? S’agit-il d’un reflet ? Non, cela recommence, il s’agit bien d’un poisson qui saute hors de l’eau à dix mètres de nous. En l’espace de quelques secondes, juste à l’embouchure, là où les courants sont forts, une multitude de petits thons d’une trentaine de centimètres se met à sauter très haut hors de l’eau, sans raison apparente, pendant quelques minutes, comme dans un bal improvisé, comme s'ils avaient été dressés pour s’exhiber dans un zoo aquatique. Le temps que les barques arrivent sur place, tout est rentré dans l’ordre, comme si ce spectacle surprenant avait été le fruit d’un rêve.

J’aime nos promenades du dimanche, le pouvoir de la mer dans le détroit. Ulysse l’a traversé, Charybde a attiré des centaines de navires dans ses tourbillons et Scylla a vu les rescapés s’écraser sur son éperon rocheux. Mais même aujourd’hui où la mythologie a laissé la place à une réalité moins poétique, il est toujours riche de mille surprises, et des plus inattendues. Il efface les soucis pour quelques heures et éveille la curiosité. Ah ! A propos, il s’agissait bien de cormorans, probablement en provenance des pays de l’est. Alors que de nombreuses colonies de « corvi marini », comme on les appelle en Italie, se fixent en hiver au nord du pays, ils descendent rarement jusqu’ici. Ils ont effectivement un solide appétit, car leur régime journalier ne prévoit pas moins de 400 gr. de poisson frais.

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